LIV.-LE LIÈVRE ET LA TORTUE. Rien ne sert de courir; il faut partir à point: Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point Ma commère, il faut vous purger Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire; 5 ΙΟ J'entends de ceux qu'il fait lorsque, près d'être atteint, Ils s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes, 15 Et leur fait arpenter les landes. Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter, Pour dormir, et pour écouter D'où vient le vent, il laisse la tortue Aller son train de sénateur. Elle part, elle s'évertue; Elle se hâte avec lenteur. Lui cependant méprise une telle victoire, De partir tard. Il broute, il se repose; 20 25 Il s'amuse à tout autre chose Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit Que l'autre touchait presque au bout de la carrière, 30 35 LV.-LA TORTUE ET LES DEUX CANARDS. Une tortue était, à la tête légère, Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays. Lui dirent qu'ils avaient de quoi la satisfaire. Nous vous voiturerons, par l'air, en Amérique : Maint royaume, maint peuple; et vous profiterez La tortue écouta la proposition. Marché fait, les oiseaux forgent une machine Dans la gueule, en travers, on lui passe un bâton. De voir aller en cette guise L'animal lent et sa maison, Justement au milieu de l'un et l'autre oison. -La reine vraiment oui: je la suis en effet; 20 25 Ne vous en moquez point." Elle eût beaucoup mieux fait Car, lâchant le bâton en desserrant les dents, Imprudence, babil et sotte vanité, Et vaine curiosité, Ont ensemble étroit parentage: Ce sont enfants tous d'un lignage. 30 LVI.—LE VIEILLARD ET LES TROIS JEUNES HOMMES. Un octogénaire plantait. "Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge!" Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage : Assurément il radotait. 'Car, au nom des dieux, je vous prie, Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir? 5 69 LE VIEILLARD ET LES TROIS JEUNES HOMMES. 59 Autant qu'un patriarche il vous faudrait vieillir. A quoi bon charger votre vie Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous? Tout cela ne convient qu'à nous. -Il ne convient pas à vous-mêmes, Repartit le vieillard. Vient tard, et dure peu. La main des Parques blêmes Eh bien défendez-vous au sage De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ? Plus d'une fois sur vos tombeaux." Le vieillard eut raison: l'un des trois jouvenceaux L'autre, afin de monter aux grandes dignités, Dans les emplois de Mars servant la république, Le troisième tomba d'un arbre Que lui-même il voulut enter; Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre IO 15 20 25 30 35 1 5 Les grenouilles se lassant De l'état démocratique, Par leurs clameurs firent tant Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique. Que la gent marécageuse, Gent fort sotte et fort peureuse, S'alla cacher sous les eaux, Dans les joncs, dans les roseaux, Dans les trous du marécage, Sans oser de longtemps regarder au visage Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau. Or c'était un soliveau, De qui la gravité fit peur à la première ΤΟ 15 |