De tout temps les chevaux ne sont nés pour les hommes. Lorsque le genre humain de glands se contentait, Ane, cheval, et mule, aux forêts habitait, Et l'on ne voyait point, comme au siècle où nous sommes, Tant de harnois pour les combats, Or, un cheval eut alors différend Avec un cerf plein de vitesse; Et, ne pouvant l'attraper en courant, Il eut recours à l'homme, implora son adresse. E 5 10 15 Que le cerf ne fût pris, et n'y laissât la vie. Et cela fait, le cheval remercie L'homme son bienfaiteur, disant: Je suis a vous; Non pas cela, dit l'homme; il fait meilleur chez nous : Le cheval s'aperçut qu'il avait fait folie; Il y mourut en traînant son lien : Sage s'il eût remis une légère offense. Quel que soit le plaisir que cause la vengeance, 20 25 30 Un lièvre en son gîte songeait (Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe ?), Dans un profond ennui ce lièvre se plongeait : Cet animal est triste, et la crainte le ronge. "Les gens de naturel peureux Sont, disait-il, bien malheureux ! Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite: Eh! la peur se corrige-t-elle ? 5 ΙΟ Ainsi raisonnait notre lièvre, Et cependant faisait le guet. Il était douteux, inquiet ; 15 Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre. Le mélancolique animal, En rêvant à cette matière, Entend un léger bruit ce lui fut un signal Il s'en alla passer sur le bord d'un étang. Qu'on m'en fait faire! Ma présence Effraie aussi les gens! je mets l'alarme au camp! Comment! des animaux qui tremblent devant moi! Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre, 20 25 30 LIII.-LE HÉRON. Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où, Il côtoyait une rivière. L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours; Le héron en eût fait aisément son profit: 5 Tous approchaient du bord; l'oiseau n'avait qu'à prendre, Mais il crut mieux faire d'attendre Qu'il eût un peu plus d'appétit : Il vivait de régime et mangeait à ses heures. Des tanches qui sortaient du fond de ces demeures. Et montrait un goût dédaigneux Comme le rat du bon Horace. "Moi, des tanches! dit-il; moi, héron, que je fasse La faim le prit: il fut tout heureux et tout aise Ne soyons pas si difficiles : Les plus accommodants, ce sont les plus habiles; Gardez-vous de rien dédaigner, Surtout quand vous avez à peu près votre compte. ΙΟ 15 20 25 30 |