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Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son soûl;
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,

Non pour un chat, mais pour un diable.
Or, un jour qu'au haut et au loin

Le galant alla chercher femme,

Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.

Dès l'abord, leur doyen, personne forte prudente,
Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard
Attacher un grelot au cou de Rodilard;

Qu'ainsi, quand il irait en guerre,

De sa marche avertis ils s'enfuiraient sous terre:
Qu'il n'y savait que ce moyen.

Chacun fut de l'avis de monsieur le doyen :

Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.

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L'un dit: "Je n'y vas point, je ne suis pas si sot;" L'autre: "Je ne saurais." Si bien que sans rien faire On se quitta. J'ai maints chapitres vus

Qui pour néant se sont ainsi tenus; Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines, Voire chapitres de chanoines.

Ne faut-il que délibérer ?

La cour en conseillers foisonne :

Est-il besoin d'exécuter?

L'on ne rencontre plus personne.

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XLVIII.-LE RENARD, LE LOUP ET LE CHEVAL.

Un renard, jeune encor, quoique des plus madrés,
Vit le premier cheval qu'il eût vu de sa vie.
Il dit à certain loup, franc novice: "Accourez,
Un animal paît dans nos prés,

Beau, grand; j'en ai la vue encor toute ravie.
Est-il plus fort que nous ? dit le loup en riant.
Fais-moi son portrait, je te prie.—

Si j'étais quelque peintre ou quelque étudiant,
Repartit le renard, j'avancerais la joie

Que vous aurez en le voyant.

Mais venez. Que sait-on ? peut-être est-ce une proie
Que la fortune nous envoie.

Ils vont; et le cheval, qu'à l'herbe on avait mis,
Assez peu curieux de semblables amis,

Fut presque sur le point d'enfiler la venelle.
Seigneur, dit le renard, vos humbles serviteurs
Apprendraient volontiers comment on vous appelle.
Le cheval, qui n'était dépourvu de cervelle,

Leur dit Lisez mon nom, vous le pouvez, messieurs;
Mon cordonnier l'a mis autour de ma semelle.
Le renard s'excusa sur son peu de savoir.

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Mes parents, reprit-il, ne m'ont point fait instruire;
Ils sont pauvres, et n'ont qu'un trou pour tout avoir;
Ceux du loup, gros messieurs, l'ont fait apprendre à lire.
Le loup, par ce discours flatté,

S'approcha. Mais sa vanité

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Lui coûta quatre dents: le cheval lui desserre

Un coup; et haut le pied. Voilà mon loup par terre; Mal en point, sanglant, et gâté.

Frère, dit le renard, ceci nous justifie

Ce que m'ont dit des gens d'esprit : Cet animal vous a sur la mâchoire écrit Que de tout inconnu le sage se méfie.

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XLIX.-LE LOUP DEVENU BERGER.

Un loup qui commençait d'avoir petite part
Aux brebis de son voisinage,

Crut qu'il fallait s'aider de la peau du renard,
Et faire un nouveau personnage.

Il s'habille en berger, endosse un hoqueton,
Fait sa houlette d'un bâton,

Sans oublier la cornemuse.

Pour pousser jusqu'au bout la ruse,

Il aurait volontiers écrit sur son chapeau :

"C'est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau."
Sa personne étant ainsi faite,

Et ses pieds de devant posés sur sa houlette,
Guillot le sycophante approche doucement.
Guillot, le vrai Guillot, étendu sur l'herbette,

Dormait alors profondément;

Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette:
La plupart des brebis dormaient pareillement.

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L'hypocrite les laissa faire;

Et, pour pouvoir mener vers son fort les brebis,

Il voulut ajouter la parole aux habits,

Chose qu'il croyait nécessaire ;
Mais cela gâta son affaire:

Il ne put du pasteur contrefaire la voix.
Le ton dont il parla fit retentir les bois,
Et découvrit tout le mystère.
Chacun se réveille à ce son,

Les brebis, le chien, le garçon.

Le pauvre loup, dans cet esclandre,
Empêché par son hoqueton,

Ne put ni fuir ni se défendre.

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Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre.

Quiconque est loup agisse en loup :

C'est le plus certain de beaucoup.

L.-LE GLAND ET LA CITROUILLE.

Dieu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la preuve En tout cet univers, et l'aller parcourant,

Dans les citrouilles je la treuve.

Un villageois, considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menue:
"A quoi songeait, dit-il, l'auteur de tout cela?

Il a bien mal placé cette citrouille-là !

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Eh parbleu! je l'aurais pendue
A l'un des chênes que voilà ;
C'eût été justement l'affaire :

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire..

C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré
Au conseil de Celui que prêche ton curé;

Tout en eût été mieux : car pourquoi, par exemple,

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Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt, 15 Ne pend-il pas en cet endroit?

Dieu s'est mépris: plus je contemple

Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l'on a fait un quiproquo."

Cette réflexion embarrassant notre homme :

"On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit ;"
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe: le nez du dormeur en pâtit.
Il s'éveille; et, portant la main sur son visage,
Il trouve encor le gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage.
"Oh! oh! dit-il, je saigne! Et que serait-ce donc
S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde,

Et que ce gland eût été gourde?

Dieu ne l'a pas voulu: sans doute il eut raison;
J'en vois bien à présent la cause."

En louant Dieu de toute chose

Garo retourne à la maison.

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