Page images
PDF
EPUB

Celui-ci s'en excusa,

Disant qu'il ferait que sage

De garder le coin du feu :
Car il lui fallait si peu,
Si peu que la moindre chose
De son débris serait cause:
Il n'en reviendrait morceau.
"Pour vous, dit-il, dont la peau
Est plus dure que la mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.
-Nous vous mettrons à couvert,
Repartit le pot de fer:
Si quelque matière dure
Vous menace d'aventure,
Entre deux je passerai,
Et du coup vous sauverai."
Cette offre le persuade.
Pot de fer son camarade

Se met droit à ses côtés.

Mes gens s'en vont à trois pieds
Clopin clopant comme ils peuvent,
L'un contre l'autre jetés

Au moindre hoquet qu'ils treuvent.

5

ΙΟ

15

20

25

Le pot de terre en souffre; il n'eut pas fait cent pas Que par son compagnon il fut mis en éclats,

Sans qu'il eût lieu de se plaindre.

Ne nous associons qu'avecque nos égaux;
Ou bien il nous faudra craindre

Le destin d'un de ces pots.

30

XLIV. LE CHÊNE ET LE ROSEAU.

Le chêne un jour dit au roseau :
"Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau :
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baisser la tête;
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,

Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrais de l'orage:

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
-Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci :

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin." Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

Que le nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts

[blocks in formation]

XLV. LE COCHE ET LA MOUCHE.

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche.

Femmes, moine, vieillards, tout était descendu :
L'attelage suait, soufflait, était rendu.

Une mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement;
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine;

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine,

Et qu'elle voit les gens marcher,

Elle s'en attribue uniquement la gloire,

Va, vient, fait l'empressée: il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens et hâter la victoire.

La mouche, en ce commun besoin,

5

ΙΟ

15

Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.

Le moine disait son bréviaire :

Il prenait bien son temps! une femme chantait:
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait!
Dame mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.

20

Après bien du travail, le coche arrive au haut:
Respirons maintenant! dit la mouche aussitôt :
J'ai fait tant que nos gens sont enfin dans la plaine.
Ça, messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine.

Ainsi certaines gens, faisant les empressés,

S'introduisent dans les affaires :

Ils font partout les nécessaires,
Et partout importuns, devraient être chassés.

25

30

XLVI. LE COQ ET LE RENARD.

Sur la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux coq adroit et matois.
Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,

Nous ne sommes plus en querelle:

Paix générale cette fois.

Je viens te l'annoncer; descends, que je t'embrasse; Ne me retarde point, de grâce;

Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer. Les tiens et toi pouvez vaquer,

Sans nulle crainte, à vos affaires.

Nous vous y servirons en frères.

5

ΙΟ

Faites-en les feux dès ce soir;
Et cependant viens recevoir

Le baiser d'amour fraternelle.

-Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle
Que celle

De cette paix ;

Et ce m'est une double joie

De la tenir de toi. Je vois deux lévriers,

Qui, je m'assure, sont courriers
Que pour ce sujet on envoie :

15

20

Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.
Je descends: nous pourrons nous entre-baiser tous.
—Adieu, dit le renard, ma traite est longue à faire: 25
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire

Une autre fois. Le galant aussitôt

Tire ses grègues, gagne au haut,
Mal content de son stratagème.

Et notre vieux coq en soi-même

Se mit à rire de sa peur;

Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.

30

XLVII.-CONSEIL TENU PAR LES RATS.

Un chat, nommé Rodilardus,

Faisait de rats telle déconfiture

Que l'on n'en voyait presque plus,

Tant il en avait mis dedans la sépulture.

« PreviousContinue »