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FABLES DE LA FONTAINE.

1.-LE RENARD ET LES RAISINS.

CERTAIN renard gascon, d'autres disent normand,
Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille
Des raisins, mûrs apparemment,

Et couverts d'une peau vermeille.

Le galant en eût fait volontiers un repas;

Mais comme il n'y pouvait atteindre : "Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats."

Fit-il pas mieux que de se plaindre?

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-II.-LE CHIEN QUI LÂCHE SA PROIE POUR L'OMBRE.

Chacun se trompe ici-bas :

On voit courir après l'ombre
Tant de fous qu'on n'en sait pas,

La plupart du temps, le nombre.

Au chien dont parle Ésope il faut les renvoyer.

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Ce chien voyant sa proie en l'eau représentée
La quitta pour l'image, et pensa se noyer:
La rivière devint tout d'un coup agitée;

A toute peine il regagna les bords,
Et n'eut ni l'ombre ni le corps.

III.-LA POULE AUX ŒUFS D'OR.

L'avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,

Que celui dont la poule, à ce que dit la fable,
Pondait tous les jours un œuf d'or.

Il crut que dans son corps elle avait un trésor;
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les œufs ne lui rapportaient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.

ΙΟ

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Belle leçon pour les gens chiches!

Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus

Pour vouloir trop tôt être riches!

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-V.-LE LION DEVENU VIEUX.

Le lion, terreur des forêts,

Chargé d'ans et pleurant son antique prouesse,
Fut enfin attaqué par ses propres sujets,

Devenus forts par sa faiblesse.

Le cheval s'approchant lui donne un coup de pied;
Le loup, un coup de dent; le bœuf, un coup de corne.
Le malheureux lion, languissant, triste, et morne,
Peut à peine rugir, par l'âge estropié.

Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes,
Quand voyant l'âne même à son antre accourir :
"Ah! c'est trop, lui dit-il: je voulais bien mourir ;
Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes.”

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ΙΟ

VI.-PAROLE DE SOCRATE.

Socrate un jour faisant bâtir,

Chacun censurait son ouvrage.

L'un trouvait les dedans, pour ne lui point mentir,
Indignes d'un tel personnage;

L'autre blâmait la face, et tous étaient d'avis

Que les appartements en étaient trop petits. Quelle maison pour lui! l'on y tournait à peine. "Plût au ciel que de vrais amis,

Telle qu'elle est, dit-il, elle pût être pleine!"

Le bon Socrate avait raison

De trouver pour ceux-là trop grande sa maison.

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Chacun se dit ami; mais fou qui s'y repose:
Rien n'est plus commun que ce nom,
Rien n'est plus rare que la chose.

VII. LE CERF ET LA VIGNE.

Un cerf, à la faveur d'une vigne fort haute,
Et telle qu'on en voit en de certains climats,
S'étant mis à couvert et sauvé du trépas,

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Les veneurs, pour ce coup, croyaient leurs chiens en faute :
Ils les rappellent donc. Le cerf, hors de danger,
Broute sa bienfaitrice: ingratitude extrême!
On l'entend; on retourne, on le fait déloger :
Il vient mourir en ce lieu même.

J'ai mérité, dit-il, ce juste châtiment :
Profitez-en, ingrats. Il tombe en ce moment.
La meute en fait curée: il lui fut inutile
De pleurer aux veneurs à sa mort arrivés.

Vraie image de ceux qui profanent l'asile
Qui les a conservés.

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VIII.-LES VOLEURS ET L'ANE.

Pour un âne enlevé deux voleurs se battaient :
L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre.
Tandis que coups de poing trottaient,

Et que nos champions songeaient à se défendre,
Arrive un troisième larron

Qui saisit maître aliboron.

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