Page images
PDF
EPUB

Au mot du guet que, de fortune,
Notre loup avait entendu ?

Deux sûretés valent mieux qu'une Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

XXXIX.-L'ANE ET LE PETIT CHIEN.

Ne forçons point notre talent;
Nous ne ferions rien avec grâce:
Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse,
Ne saurait passer pour galant.

Peu de gens, que le ciel chérit et gratifie,
Ont le don d'agréer infus avec la vie.

C'est un point qu'il leur faut laisser,
Et ne pas ressembler à l'âne de la fable,

Qui, pour se rendre plus aimable

Et plus cher à son maître, alla le caresser.
"Comment! disait-il en son âme,
Ce chien, parce qu'il est mignon,
Vivra de pair à compagnon
Avec monsieur, avec madame;
Et j'aurai des coups de bâton!
Que fait-il? il donne la patte;

Puis aussitôt il est baisé :

S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,

Cela n'est pas bien malaisé."

Dans cette admirable pensée,

Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement,

ΙΟ

15

5

20

Lève une corne tout usée,

La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie.
"Oh! oh! quelle caresse! et quelle mélodie!
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-bâton !"
Martin-bâton accourt: l'âne change de ton.
Ainsi finit la comédie.

25

XL.-LE SINGE ET LE CHAT.

Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat, Commensaux d'un logis, avaient un commun maître. D'animaux malfaisants c'était un très-bon plat:

Ils n'y craignaient tous deux aucun, quel qu'il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,

L'on ne s'en prenait point aux gens du voisinage:
Bertrand dérobait tout; Raton, de son côté,
Était moins attentif aux souris qu'au fromage.

Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres fripons

Regardaient rôtir des marrons.

Les escroquer était une très-bonne affaire :

Nos galants y voyaient double profit à faire;
Leur bien premièrement, et puis le mal d'autrui.
Bertrand dit à Raton: "Frère, il faut aujourd'hui
Que tu fasses un coup de maître;

Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,

Certes, marrons verraient beau jeu."

5

ΙΟ

15

Aussitôt fait que dit: Raton, avec sa patte,

D'une manière délicate,

Écarte un peu la cendre, et retire les doigts;

Puis les reporte à plusieurs fois,

Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque ;
Et cependant Bertrand les croque.

Une servante vient: adieu mes gens. Raton
N'était pas content, ce dit-on.

Aussi ne le sont pas la plupart de ces princes
Qui, flattés d'un pareil emploi,
Vont s'échauder en des provinces
Pour le profit de quelque roi.

XLI.-LE BERGER ET SON TROUPEAU.

Quoi! toujours il me manquera

Quelqu'un de ce peuple imbécile !

Toujours le loup m'en gobera!

J'aurai beau les compter! ils étaient plus de mille,
Et m'ont laissé ravir notre pauvre Robin!

Robin mouton, qui par la ville

Me suivait pour un peu de pain,

Et qui m'aurait suivi jusques au bout du monde !
Hélas! de ma musette il entendait le son;

Il me sentait venir de cent pas à la ronde.
Ah! le pauvre Robin mouton !"
Quand Guillot eut fini cette oraison funèbre,
Et rendu de Robin la mémoire célèbre,

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Il harangua tout le troupeau,

Les chefs, la multitude, et jusqu'au moindre agneau, 15

Les conjurant de tenir ferme :

Cela seul suffirait pour écarter les loups.

Foi de peuple d'honneur ils lui promirent tous
De ne bouger non plus qu'un terme.

"Nous voulons, dirent-ils, étouffer le glouton
Qui nous a pris Robin mouton."
Chacun en répond sur sa tête.
Guillot les crut, et leur fit fête.
Cependant, devant qu'il fût nuit,
Il arriva nouvel encombre:

Un loup parut; tout le troupeau s'enfuit.
Ce n'était pas un loup, ce n'en était que l'ombre.

Haranguez de méchants soldats;

Ils promettront de faire rage:

Mais, au moindre danger, adieu tout leur courage;
Votre exemple et vos cris ne les retiendront pas.

20

135

25

30

XLII.-LE RENARD ET LE BOUC.

Capitaine renard allait de compagnie

Avec son ami bouc des plus haut encornés :
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez;
L'autre était passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits:

Là, chacun d'eux se désaltère.

Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,

5

Le renard dit au bouc: Que ferons-nous, compère ?

Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici.

;

Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi
Mets-les contre le mur: le long de ton échine
Je grimperai premièrement;

Puis sur tes cornes m'élevant,
A l'aide de cette machine,
De ce lieu-ci je sortirai,

Après quoi je t'en tirerai.

Par ma barbe, dit l'autre, il est bon; et je loue

Les

gens bien sensés comme toi.

Je n'aurais jamais, quant à moi,

Trouvé ce secret, je l'avoue.

Le renard sort du puits, laisse son compagnon,

Et vous lui fait un beau sermon

Pour l'exhorter à patience.

Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence

Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n'aurais pas, à la légère,

ΙΟ

15

20

25

Descendu dans ce puits. Or, adieu; j'en suis hors: Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts;

Car, pour moi, j'ai certaine affaire

Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin.

En toute chose il faut considérer la fin.

30

XLIII.-LE POT DE TERRE ET LE POT DE FER.

Le pot de fer proposa

Au pot de terre un voyage.

« PreviousContinue »