Page images
PDF
EPUB
[graphic]

XXXV.-LE RENARD ET LA CIGOGNE.

Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts:
Le galant, pour tout besogne,

Avait un brouet clair; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette:

La cigogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la cigogne le prie.
Volontiers, lui dit-il; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie."

A l'heure dite, il courut au logis

De la cigogne son hôtesse;
Loua très-fort sa politesse ;

Trouva le dîner cuit à point.

Bon appétit surtout; renards n'en manquent point.

5

ΤΟ

15

Il se réjouissait à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,

20

Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris, 25 Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.

XXXVI-LE VILLAGEOIS ET LE SERPENT.

Ésope conte qu'un manant
Charitable autant que peu sage,
Un jour d'hiver se promenant

A l'entour de son héritage,

Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,

N'ayant pas à vivre un quart d'heure.

Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure;
Et, sans considérer quel sera le loyer

D'une action de ce mérite,

Il l'étend le long du foyer,

Le réchauffe, le ressuscite.

L'animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l'âme lui revient avecque la colère.

Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt ;

[blocks in formation]

Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur, et son père.
Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire !

20

Tu mourras ! A ces mots, plein d'un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête;
Il fait trois serpents de deux coups,
Un tronçon, la queue, et la tête.
L'insecte, sautillant, cherche à se réunir;
Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d'être charitable :
Mais envers qui? c'est là le point.
Quant aux ingrats, il n'en est point
Qui ne meure enfin misérable.

25

[graphic]

XXXVII.-LE LOUP ET L'AGNEAU.

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un agneau se désaltérait

Dans le courant d'une onde pure.

Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure, 5 la faim en ces lieux attirait.

[ocr errors]

Et

que

Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?

Dit cet animal plein de rage:

Tu seras châtié de ta témérité."

"-Sire, répond l'agneau, que votre majesté

Ne se mette pas en colère;

Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant

Dans le courant,

Plus de vingt pas au-dessous d'elle;
Et que, par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson."

"Tu la troubles! reprit cette bête cruelle;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé."
"Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né?
Reprit l'agneau; je tette encor ma mère."

[ocr errors]

Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.—”

10

15

20

"Je n'en ai point."-" C'est donc quelqu'un des

tiens ;

Car vous ne m'épargnez guère,

Vous, vos bergers, et vos chiens.

On me l'a dit: il faut que je me venge."

Là-dessus, au fond des forêts

Le loup l'emporte, et puis le mange

Sans autre forme de procès.

25

[ocr errors]

LE LOUP, LA CHÈVRE ET LE CHEVREAU. 35

XXXVIII.-LE LOUP, LA CHÈVRE ET LE

CHEVREAU.

La bique, allant remplir sa traînante mamelle,

Et paître l'herbe nouvelle,
Ferma sa porte au loquet,
Non sans dire à son biquet:
"Gardez-vous, sur votre vie,
D'ouvrir que l'on ne vous die,
Pour enseigne et mot du guet:
'Foin du loup et de sa race!'
Comme elle disait ces mots,
Le loup, de fortune, passe;
Il les recueille à propos,

Et les garde en sa mémoire.

وو

La bique, comme on peut croire,
N'avait pas vu le glouton.

Dès qu'il la voit partie, il contrefait son ton,
Et, d'une voix papelarde,

Il demande qu'on ouvre, en disant: "Foin du loup!"
Et croyant entrer tout d'un coup.

Le biquet soupçonneux par la fente regarde :

"Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point,"
S'écria-t-il d'abord. Patte blanche est un point
Chez les loups, comme on sait, rarement en usage.
Celui-ci, fort surpris d'entendre ce langage,
Comme il était venu s'en retourna chez soi,
Où serait le biquet s'il eût ajouté foi

D

5

ΙΟ

15

20

25

« PreviousContinue »