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qu'un type imparfait du créateur. Quant à la destinée future de l'homme, son rapport avec Dieu, dont les attributs lui sont des garanties d'ordre, de bonté et de justice, ses propres facultés, qui demandent du temps ailleurs pour continuer à se développer, auxquelles il faut une autre vie, soit pour expier celle-ci, soit pour en recevoir la récompense, ce besoin d'être qui ne le quitte pas, cet ennui qu'il a du monde, ce pressentiment d'un avenir qui conviendra mieux à son activité, cette foi enfin que toute sa race a constamment montré e à un ordre de choses qui doit succéder à celui-ci, tout prouve la vérité du dogme à la fois philosophique et religieux de l'immortalité de l'ame. M. Bonstetten l'adopte avec sentiment et avec amour; sa conviction est sérieuse, et lui tient au fond du cœur. On la partage en le lisant, on sent à tout ce qu'il dit qu'elle n'est pas vaine et sans raison; mais peut-être ne donne-t-il pas à ses preuves un caractère assez scientifique; il ne les fait pas valoir avec la force dont elles seraient susceptibles; il donne trop au développement poétique ou oratoire, et pas assez au développement philosophi que et démonstratif; sa pensée a quelquefois l'air du sentimentalisme : nous devons même avouer que ce n'est qu'en précisant à notre manière les idées qu'il expose, que nous avons pu les réduire au petit nombre d'argumens que nous venons d'indiquer.

Et en général on peut remarquer qu'il ne fait

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point assez d'efforts pour donner à ses idées le caractère de la science; il s'en tient à des vues, travaille peu à la théorie : il a souvent par devers lui tous les élémens d'un système; mais il ne tente pas le système, ou se borne à l'ébaucher: sur beaucoup de points il a un avis, et un avis plein de sagesse, sur presque aucun il n'a de doctrine; point d'opinion achevée et poussée jusqu'au dernier terme, point de généralité en saillie, point de ces principes dominans qui saisissent les esprits et les forcent à l'examen; toujours quelque peu de vague, et des questions qui auraient besoin d'être traitées avec plus de rigueur et d'exactitude: de là sans doute le peu d'impression que les ouvrages de M. Bonstetten ont produit sur notre public. Il n'y a point encore en France un goût assez sérieux de la philosophie pour qu'on la recherche avec ardeur, dans les livres où elle se montre sans art et sans système; on ne la sent pas assez quand elle manque de relief, et on la néglige, faute de la sentir toutefois, on n'a peut-être pas rendu à M. Bonstetten toute la justice qu'il mérite. Il philosophe d'une si bonne manière; avec tant de bon sens et de conscience, qu'il y a certainement à profiter en étudiant avec lui; il ressemble beaucoup aux Écossais (1); il est moins avancé dans les

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(1) M. Bonstetten a peut-être ressenti plus que nous l'avons dit, l'influence de la philosophie anglaise et écossaise. Né dans le pays de Vaud, ou de bonne heure cette philoso

questions, moins près des applications, moins développé et moins classique; mais il a leur méthode, leur conduite d'esprit, leur sage circonspection: c'est un maître qui; comme eux, est excellent pour le début.

phie a eu siège et faveur, il a pu naturellement en prendre l'esprit et la méthode.

M. ANCILLON.

Né à Berlin, en 1758.

Nous avions d'abord eu la pensée de rendre un compte particulier de chacun des Essais de M. Ancillon; mais comme, sans être tout à fait étrangers les uns aux autres, ils ne font pas cependant suite entre eux, nous avons cru que, si, au lieu de présenter une assez longue succession d'analyse et de critique isolée, nous recherchions la philosophie générale de l'auteur, l'objet qu'il se propose, la méthode qu'il suit, les principales opinions qu'il professe, nous aurions un meilleur moyen d'apprécier et de faire connaître les mérites qui le distinguent.

Il est une science assez hardie pour se mesurer à l'univers, et qui, dans son ambition, vaste comme la vérité, prétend à tout, s'applique à tout, à l'invisible comme au visible, à l'infini comme au fini, à Dieu comme au monde : les forces physiques et morales, le principe qui les a créées, les êtres et leur raison, il n'est rien qu'elle n'embrasse dans ses immenses recherches. Elle veut des solutions

pour tous les problèmes, des explications pour tous les mystères, des démonstrations pour tous les inconnus; c'est la toute-science telle est une espèce de philosophie.

:

Il en est une autre, plus modeste et plus sage, qui, au lieu de porter ses vues si haut et d'aspirer à l'universalité, n'a pour but que de reconnaître la nature et la destinée de l'homme. A l'exemple de toutes les vraies sciences, qui limitent leur domaine, et n'embrassent chacune que certains étres et certains faits, elle se borne à la question de l'humanité, qu'elle trouve encore assez grande, assez complexe, et assez difficile à résoudre.

Entre ces deux philosophies, le choix de M. Ancillon ne pouvait être douteux : ami prudent du vrai, il devait craindre de s'engager dans un système ontologique : un système ontologique est un voyage autour du monde ; il faut de la force et de l'audace pour le tenter; s'il a quelque chose de séduisant pour l'ardente curiosité de la jeunesse, il n'a que des difficultés et des périls aux yeux de l'homme dont l'expérience a mûri la raison. Quand on est instruit par l'histoire des erreurs dans lesquelles sont tombés les anciens philosophes, quand on a été témoin de celles auxquelles ont été entraînés les philosophes contemporains, quand peutêtre soi-même on s'est égaré sur les pas des uns ou des autres, et qu'enfin on reconnaît que le mal vient de l'ambition de tout voir, de tout expliquer, de tout comprendre, on est moins porté à ces vas

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