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paré du cerveau, où la moelle épinière a été divisée complètement, et cependant on a reconnu dans ce tronc ou dans la partie tranchée de la moelle des signes de sentiment qui survivaient à la section: c'est bien autre chose encore quand comme dans certaines espèces, les parties peuvent être disjointes et continuer de vivre en cet état, et offrir le phénomène de la sensation.

4° Il arrive aussi que le cerveau est altéré en certain cas, quelques-uns même disent détruit, sans que pour cela la sensation cesse de se produire, surtout si l'altération ou la destruction se sont faites peu à peu et lentement.

5o L'idée de faire du cerveau l'organe unique de la sensation est peut-être venue de ce qu'on l'a pris pour le centre générateur du système nerveux: or, c'est là une hypothèse qui perd tous les jours de sa probabilité auprès des meilleurs observateurs.

Mais non seulement le cerveau n'est pas le centre unique et absolu de la faculté de sentir, les nerfs eux-mêmes ne sont pas les seuls agens de cette faculté : ce qui le prouve, c'est que :

1o Les nerfs présentent partout à peu près les mêmes apparences organiques et vitales, et que les sensations auxquelles ils contribuent ont la plus grande variété, et l'ont sans doute par suite de la diversité des tissus et des appareils qui modifient, par cette raison, l'uniforme action des nerfs.

2o C'est qu'il y a dans l'homme, comme dans beaucoup d'espèces, des parties qui sont sensibles sans avoir de nerfs, ou qui le sont moins que d'autres, quoique avec beaucoup de nerfs, ou qui, sans rien perdre ni rien gagner en fait de nerfs, perdent ou gagnent en sentiment: mais bien plus des animaux manquant de nerfs n'en ont pas moins quelque degré de vie et de sentiment.

D'après ces raisons et celles qu'on pourrait y joindre, il est assez clair que l'organisation, dans son rapport avec le moral, n'y joue pas le rôle que l'on suppose, et ne le joue pas comme on le sup

pose.

Nous terminerons ces exposés par le résumé de l'opinion de l'auteur, que nous empruntons textuellement à un chapitre de son livre ;

« L'ame est une, indivisible, non matérielle. Unie au corps, elle ne peut se prêter à cette union que comme ame, et non d'après la loi qui unit le corps au corps. Elle ne peut pas être juxtaposée, interposée, intercalée aux organes; elle y est présente, elle y sent, leur prête et en reçoit de l'activité. Elle est liée, dans son exercice, à certaines conditions physiologiques et vitales, sans lesquelles elle ne pourrait bien déployer ses facultés, mais elle ne leur doit pas ses facultés : c'est une force en harmonie, en synergie, avec d'autres forces, qui elles-mêmes ont dans l'organisme leurs fonctions et leurs propriétés. »

Nous ne reprendrons pas, pour les discuter, les,

différens points de l'analyse que nous venons d'offrir à nos lecteurs : nous n'aurions qu'à adhérer à ceux qui sont de pure psychologie, et pour ceux qui appartiennent à la physiologie, nous en serions mauvais juge. Nous les admettons, parce qu'il nous semblent philosophiques et rationels; mais cependant, comme ils supposent la connaissance de faits qui ne nous sont pas familiers, nous nous abstenons de prononcer, nous bornant à exposer, afin que chacun voie et conclue selon ses lumières: nous ajoutons seulement que, pour notre compte, et jusqu'à concurrence de meilleures raisons, nous préférons certainement l'explication que donne M. Bérard à celle que donnent les matérialistes; du moins s'accorde-t-elle beaucoup mieux avec les vérités de conscience, et satisfait-elle mieux, par conséquent, aux conditions de la psychologie.

Nous avons déjà eu l'occasion, en parlant de Cabanis, de dire un mot sur l'espèce d'exigence d'esprit et d'aigreur philosophique dont la discussion de M. Bérard n'est pas toujours exempte : il y a dans son ouvrage plus d'une trace de ce défaut. Pour peu qu'une opinion ne soit pas la sienne, il la traite avec une rigueur qui n'annonce pas cette sympathie et cette facilité d'intelligence qu'on aime à voir aux philosophes ; il en devient parfois étroit et tracassier il fait la guerre pour un rien, et argumente pour une nuance; il semble qu'il lui faille à tous prix se mettre à part et se distinguer : c'est une prétention excessive à être seul de son

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avis, qui peut même, en certains cas, nuire à l'étendue de ses idées.

Quant aux doctrines qui ne sont pas seulement en différence, mais en contradiction avec les siennes, il ne leur fait aucun quartier; il ne leur accorde ni paix ni trève; et comme il les voit dans des personnes et avec des noms qui les soutiennent, hostile au crédit qu'elles en reçoivent, sa critique, parfois trop rude, n'est pas toujours assez purement littéraire ; elle ne disserte pas seulement, elle condamne et flétrit, elle se laisse aller à des mouvemens qui ressemblent plus à de la colère qu'à une justice impartiale. S'il eût montré plus de mesure, son livre, mieux accueilli, eût été plus utile, et lui-même, mieux compris par les personnes dont il eût pu, en la combattant mieux, ménager l'opinion, n'eût pas à son tour été exposé à de mauvais et faux jugemens.

M. VIREY.

M. Virey est du nombre des physiologistes qui, comme M. Bérard, faisant revivre, en la modifiant, la doctrine de Montpellier, sur la vie, la puissance vitale, ou le principe vital, s'est mis de nos jours en opposition avec l'école de Cabanis. C'est un acte

qui l'honore; non que, selon nous, il Ꭹ ait plus

de mérite à être spiritualiste que matérialiste : ce n'est pas la couleur d'une opinion, ce n'est pas même sa vérité, qui en fait la valeur morale, c'est la manière dont elle se forme, la bonne foi qu'elle atteste, l'examen qu'elle suppose; ce sont les circonstances particulières dans lesquelles elle se produit: mais être spiritualiste avec le petit nombre, et, quand presque tous les siens, presque tous ceux dont on partage les études et les travaux, sont pour la doctrine contraire, l'être avec conscience et indépendance, après des recherches sérieuses et dévouées, c'est un titre à l'estime, comme tout ce qui annonce de la force et de la franchise : telle nous semble la position de M. Virey. Au lieu de prendre comme un croyant la religion du matérialisme, que la philosophie médicale avait presque unanimement adoptée au commencement

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