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de la force, il le faut bien, puisque sans cela rien ne se ferait; mais la force elle-même, qu'est-elle, et quelle notion s'en former? Ceux qui pensent que nous n'avons qu'une manière de connaître, la sensation, qu'un objet à connaître, l'étendue, ne distinguent pas réellement la force de la molécule, dont ils la supposent une qualité : il n'y a pas deux choses à leurs yeux, la molécule et la force; il n'y en a qu'une, la molécule, avec la force pour attribut; en sorte que, quand l'ordre l'appelle avec ses pareilles à composer un corps, elles n'ont toutes besoin que d'elles-mêmes pour produire ce résultat; point d'auxiliaires qui les secondent, rien d'emprunté ni d'étranger: elles ont tout ce qu'il leur faut, et se suffisent parfaitement. Cette opinion est toute contraire à celle que professe M. Bẻrard. Selon lui, outre la sensation, il y a dans l'homme le sentiment, le sens intime, aussi réel qu'aucun autre et d'un objet aussi certain. Si donc on l'interroge avec attention, et qu'on recueille ́fidèlement l'espèce de vérité dont il donne témoignage, on reconnaît qu'il atteste l'existence d'un principe qui, sans avoir rien de corporel, sans être sensible d'aucune façon, est cependant et se montre actif, vivant, animé, source de mouvement et d'impulsion, force substantielle et efficace. C'est une force, et il l'est sans être matière; il l'est en lui-même, par sa nature et indépendamment de ses rapports avec la masse organique : ce n'est en effet ni comme molécule, ni comme assemblage de mo

lécules, qu'il se révèle à l'observation; ce n'est sous aucun des attributs qui appartiennent aux molécules. Ce qu'on y voit au milieu des aspects divers qu'il présente, c'est une activité, une et identique, avec une infinie facilité à se livrer, libre ou non, à toute sorte de développemens; ce sont des passions, des pensées et des volontés, qui, toutes phénomènes du même sujet, ne mettent en relief, lorsqu'elles se produisent, qu'une puissance très distincte d'un composé matériel. Ainsi, grâces à la conscience, une vraie force est reconnue, qui peut dès lors servir à concevoir toutes les autres. En effet, puisque l'ame est telle par sa nature qu'elle a l'action sans être matière, il est clair, par là même, que l'action n'est pas nécessairement une dépendance de la matière; d'autant d'ailleurs que rien ne prouve que le corps ait en lui une énergie propre et essentielle. Et comme l'ame est la première, ou pour mieux dire la seule force connue directement, que les autres ne le sont qu'indirectement et par induction, il faut bien par analogie que les forces à connaître se déterminent d'après celle dont on a d'abord l'idée; il faut que toutes soient comme des ames, ou au moins comme des principes actifs et vivans qui s'allient à la matière et en régissent les molécules. Ainsi, aperçoit-on dans l'animal le signe physique de quelque cause qui agit en lui et le modifie, par exemple, la digestion, la nutrition, etc., on doit conclure de ce phénomène la même chose que de celui qui annonce par sa pré

sence la pensée ou la volonté. Si le second vient d'une force, il n'y a pas de raison pour dire que le premier n'en vienne aussi. Si celui-ci est un effet de la vie morale, l'autre est un effet de la vie physique : des deux côtés, il y a la vie, la force; seulement ici elle est purement digestive, nutritive, tandis que là elle est intelligente et capable de volonté. Il y a donc dans l'organisme, outre les molécules qui le composent, des principes particuliers qui, actifs par eux-mêmes, portent sur les molécules qu'ils atteignent la puissance dont ils sont doués, les saisissent, les rallient, les combinent, en forment des appareils à fonctions spéciales, et en cet état, les excitent, les entretiennent, les réparent, jusqu'au moment où survient la mort. Ce sont ces principes qui ont la vie, et qui, par leur concours et leur harmonie la répandent et la distribuent dans toutes les parties de l'organisme; ce sont eux qui, avec l'ame, jettent dans l'inertie de cette masse le mouvement et l'action, et en font ainsi un dynamisme, où vient se jouer sous mille formes la force, tantôt intelligente, tantôt vitale et animale, le tout avec bon ordre et d'après des lois déterminées. En sorte que les organes, dans ce système, loin d'être les causes efficientes ou les agens producteurs de nos diverses facultés, n'en sont que les instrumens extérieurs et le mécanisme accidentel : elles leur préexistent en quelque sorte, elles les trouvent à leur usage et s'en servent pour agir, mais il serait possible qu'elles agissent autrement et dans d'au

tres conditions; il ne faudrait pour cela qu'un changement de rapports et de mode d'existence. Ce n'est ni le cerveau qui pense, ni l'estomac qui digère c'est la force intelligente qui pense dans le cerveau, et la force digestive qui digère dans l'estomac. L'estomac et le cerveau ne sont que des lieux arrangés pour qu'elles y jouent leur rôle, ce sont les théâtres où elles se déploient avec les fonctions qui leur sont propres. Il y a quelque chose de cette doctrine dans celle de Stahl et dans celle de Barthez, c'est à dire qu'elle tient de l'animisme et du vitalisme; cependant elle n'est entièrement ni animiste, ni vitaliste. Elle reconnaît dans l'organisme un autre élément que la molécule; mais que cet élément soit l'ame ou qu'il soit le principe vital, à l'exclusion de toute autre chose, c'est ce qu'elle ne croit ni n'admet plus. Elle conçoit, au contraire, plusieurs forces, deux au moins, dont l'une sent et veut, et l'autre se borne à vivre. Stahl et Barthez expliquent tout par une seule et même cause; mais leur unité défectueuse ne peut rendre compte de tous les faits : car ces faits sont divers, et se distinguent au moins sous un rapport essentiel; c'est que les uns paraissent produits avec conscience et liberté, et les autres par pur instinct, sans idée ni volonté. M. Bérard reconnaît cette distinction; voilà pourquoi il n'est ni purement vitaliste, ni purement animiste.

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Tel est, en résumé, le système de physiologie que l'on trouve développé dans le livre qu'il a pu.

TOME II.

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blié (1). Pour en apprécier la valeur, il faut saisir exactement le point capital sur lequel il porte. La force est-elle ou non une propriété de la matière? voilà toute la question. Selon que cette question sera résolue dans un sens ou dans l'autre, le système dont il s'agit aura tort ou raison. Il sera faux s'il est prouvé que la force vient de la matière, il sera vrai s'il en est autrement : c'est donc là ce qu'il faut bien voir. Or, s'il suffit, pour se décider, de consulter la conscience, c'est à dire la faculté par laquelle seule l'ame a d'abord l'idée de l'activité, la réponse est aisée : la force n'est pas physique. En effet, telle qu'elle se voit dans le moi, elle est simple, identique ; elle n'est ni figurée, ni colorée, ni sonore, elle n'est perceptible par aucun organe et ne se révèle qu'au sens intime, et par toutes ces raisons elle doit être considérée comme autre que la matière. Si donc on consulte la conscience, et il le faut bien, puisque c'est par elle et sur ses données que nous connaissons et notre force et toutes les forces, il n'y a pas de doute qu'il n'y ait une différence essentielle entre l'être actif et l'être inerte, entre la vie et la molécule. Ainsi l'auteur ne s'est pas trompé en appuyant sa théorie sur ce principe philosophique. Réellement la force doit se distinguer de la matière.

(1) Doctrine des rapports du physique et du moral, pour servir de fondement à la physiologie intellectuelle et à la métaphysique. Paris, 1823, 1 vol. in-8°.

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