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Qui a du foin a du pain, est rigoureusement exact. Le foin, voilà le but où doit tendre l'agriculture de cette région accidentée; en récolter la plus grande somme possible, tel est le problème qu'elle doit chercher journellement à résoudre.

Sur ce point, il faut le constater, dans un grand nombre de localités, celles du canton de Salins surtout, les propriétaires comme les fermiers sont entrés dans une voie riche d'avenir. Aussi, comme des thermomètres, les registres des trésoriers de fromagerie y accusent-ils d'excellents résultats. Qu'il suffise de citer la petite commune d'Ivory, où l'on fait annuellement plus de 45,000 kilog. de fromage, façon Gruyère.

Mais proportionnellement au nombre des vaches laitières, il s'en faut beaucoup qu'on obtienne partout de pareils chiffres en substances caséeuses et butyreuses. Ainsi, dans le canton de Clairvaux, une commune exclusivement agricole et comptant 500 âmes, n'atteint pas le tiers du poids réalisé par Ivory. D'où provient une telle différence? La cause en a été signalée à plusieurs reprises par des plumes compétentes et exercées ici les vaches restent à l'étable, tandis que là elles n'y demeurent pas. Comme ceci est une question importante et pleine d'actualité, il n'est pas hors de propos, ce me semble, d'y revenir pour la traiter au point de vue particulier du Jura, et engager de nouveau et plus vivement les fruitières qui sont encore dans l'ancienne ornière, à prendre la ligne d'économie rurale qui est maintenant parfaitement jalonnée, ligne progressive et féconde, où elles trouveront pour modèles de florissantes ainées.

En suivant la route de Paris à Genève, à partir des hauteurs qui commandent Poligny, les voyageurs peuvent remarquer de distance en distance, à droite, à gauche, des étendues plus ou moins vastes de communaux ou pâtis où croissent les genevriers, les broussailles. Là, pendant quatre à cinq mois de la belle saison, sous les rayons brùlants du soleil et l'aiguillon de myriades de mouches, on voit stationner ou plutôt se démener des troupeaux de vaches dont la taille et le peu d'embonpoint dénotent la dégénérescence. Au bout de quelques semaines et pour peu qu'il fasse sécheresse, ce qu'elles recueillent dans ces communaux arides, rocailleux, se traduit par : à peu près rien. Ce n'est pas tout-à-fait exact, elles y gagnent une fain canine, et pourtant, il est de ces pauvres bêtes qui, rentrées à l'écurie, ne trouvent que peu de chose à leur ratelier. Que l'on se dirige du côté du Sud, par la rive gauche de l'Ain surtout, le même spectacle, plus triste encore s'il est possible, vient affliger la vue de l'agronome et de tous les amis du progrès agricole.

Réunies par groupe dans tous les lieux où elles fréquentent les forêts (1); les plus hargneuses maltraitant les plus faibles; fatiguées par des luttes mutuelles fréquentes et qui peuvent devenir fatales pour l'une des combattantes; tourmentées par des légions d'insectes; subissant l'influence du chaud à un degré trop élevé ou celle de la pluie; faisant deux fois par jour plusieurs centaines de mètres pour aller à la pâture et en revenir, ce chiffre, dans certains endroits, va jusqu'à huit ou dix kilomètres; on comprend que si une chose devait étonner, ce serait qu'avec un tel genre de vie les vaches pussent donner du lait, non pas abondamment, mais à un point à peine passable. Il est évident, au contraire, qu'en renonçant à ce déplorable système de vive pâture, contre lequel on ne saurait trop s'élever, on obtiendrait sur le bétail des bénéfices bien supérieurs. Une expérience journalière démontre en effet d'une manière péremptoire, qu'outre une nourriture substantielle et copieuse, le repos, la tranquillité, les bons traitements et une très-grande douceur dans les soins, une température uniforme de dix à douze degrés Réaumur, la stabulation ou la vie de l'écurie, en un mot, sont les conditions favorables dans lesquelles les organes de la vache (4) Article 72 du Code forestier.

secrètent une quantité maxima de lait dans un temps donné. Toutes les fromageries qui gardent à la maison ce précieux animal, ont vu leurs produits augmenter dans une proportion inespérée. Nous pourrions nommer ici un propriétaire qui, avec deux vaches tenues à l'étable, fait autant pesant de fromage que ses voisins avec quatre soignées différemment, c'est-à-dire envoyées aux communaux. Que les cultivateurs qui ont de la peine à se dépouiller du vieil homme et qui tiennent mordicus aux us et coutumes séculaires, prétendent que c'est là un fait exceptionnel, soit; mais il n'en demeure pas moins acquis que la vache sédentaire donne au moins, en moyenne, les 976 du lait fourni par celle qui ne l'est pas en d'autres termes, six vaches dans le premier cas donneraient autant de lait que neuf dans le second; encore faut-il supposer que ces dernières trouvent leur crèche suffisamment garnie pour le moment où elles y reviennent, car sans cela le rapport qui vient d'être indiqué leur serait davantage défavorable. Par des essais comparatifs, on a cru remarquer que la vache qui ne sort pas, toutes choses égales d'ailleurs, mange des 4 à 573 de la ration, non pas que pourrait consommer, mais que l'on donne à consommer à celle qui va à la pâture. Ajoutons que, par suite d'un plus grand embonpoint chez les sujets adultes et d'un développement plus complet de la taille et des formes chez les jeunes, conséquences infaillibles du régime stabulaire sur l'espèce bovine, la valeur vénale du bétail d'une écurie deviendrait promptement les 312 ou les 916 de ce qu'elle était auparavant, et l'on verra par ces différents chiffres, qui s'écartent, croyons-nous, très-peu de la vérité pour les contrées en question, que si la suppression de la vive pâture force à diminuer momentanément le nombre des animaux, elle n'entraine néanmoins aucune perte immédiate après elle sous le rapport du lait, de la quantité de nourriture et du prix marchand des bestiaux, considérés dans leur ensemble. Au contraire, cette suppression est la source d'une série de bénéfices croissant d'année en année, non-seulement pour les particuliers, mais encore pour les communes rurales, ainsi qu'on va s'en convaincre.

D'abord, on verrait nécessairement disparaitre cette foule d'accidents inhérents en quelque sorte à l'usage de la vive pâture, et qui sont l'objet de préoccupations, de craintes et trop souvent de pertes sensibles pour les propriétaires de bétail : tels sont les coups, blessures, fractures, les avortements, le pissement de sang ou hématurie dans les lieux où foisonne l'ané mone sylvie, nommée autrefois herbe sanguinaire, etc., etc. Ensuite, et c'est ici le point principal pour nos montagnes, où il importe si fort d'accroître, par de fréquentes et d'abondantes fumures, la couche d'humus, presque parfout trop mince, on ne perdrait pas, comme cela a lieu, le quart au moins des engrais, quart qui, provenant des aliments verts, succulents, vaut mieux six francs le mètre cube, que celui d'hiver quatre francs. Ce que l'on fumerait avec cette fraction d'engrais, qui ne profite à rien, donnerait ultérieurement un supplément de récolte, qui, lui-même, produirait pour l'année d'après un surplus de fumier. Les engrais et les fourrages, qui sont d'une intine corrélation, augmentant continuellement, le moment ne tarderait pas à arriver où le cultivateur pourrait tenir un plus grand nombre de têtes bovines qu'il n'en nourrissait avant l'heureuse innovation qu'on ne peut assez lui recommander d'introduire sans retard dans son exploitation. Dès lors, il serait à même de diminner les labours du printemps, dont l'importance est toujours en raison directe de la pénurie de fumier. La surface consacrée annuellement à la culture du blé, et plus tard à la production du foin, s'ac croitrait de toute celle qui serait retranchée aux menus grains qui, en géné ral, procurent aujourd'hui de si maigres bénéfices. Il ne laisserait plus vieillir outre mesure les prairies artificielles, d'autant plus fertiles qu'elles sont plus récentes. Dans un avenir prochain, son dividende dans les produits de la fromagerie ou fruitière tendrait à être double de ce qu'il était,

et l'heure de l'agriculture régénérée aurait enfin sonné pour la région élevée du Jura, car avec assez d'engrais, il n'y a pas de mauvaise culture possible. Ce n'est pas seulement, comme il a été dit, les individus qui ont tant d'intérêt à renoncer à la vive pâture; mais les communes, en louant dans leurs pâtis devenus libres tout ce qui est susceptible de culture, et en boisant ce qui ne l'est pas, trouveraient ainsi le moyen d'accroitre leurs ressources budgétaires et affouagères; de bâtir les édifices publics dont elles manquent, ou de réparer ceux qui existent; de se procurer des pompes à incendie, une bibliothèque; de ragréer les chemins de desserte et les rues du village; de payer une institutrice; de rendre gratuite l'instruction primaire, cette obligation sacrée de la société envers chacun de ses membres; de dispenser les habitants d'acheter dans les ventes étrangères un supplément de bois de chauffage qui leur fait défaut, etc.

A la vue des avantages généraux et particuliers qui résulteraient de l'abandon d'un aussi funeste usage, on est presque tenté de demander l'appui de l'autorité pour l'obtenir. Dans tous les cas, il est du devoir des Maires, des Conseillers municipaux, d'user auprès de leurs administrés de tous les moyens de persuasion pour faire cesser cet abus: ce serait là bien mériter de leurs concitoyens. Il est vrai qu'on supprimerait un des spectacles les plus attrayants que présentent en été aux amateurs de scènes bucoliques les pâturages disséminés sur la largeur de la chaine jurassique. L'harmonie des clochettes suspendues au cou des animaux, les chants de joyeux bergers, les beuglements de troupeaux bondissants répétés par cent échos; tout cela porté au loin sur l'aile des zéphyrs et mêlé aux mille voix de l'espace, aux concerts des oiseaux, au bruit d'ondes limpides tombant par cascades, produit au déclin du jour un effet saisissant sur l'âme qui sent en elle un étincelle de feu poétique. Mais devant le positif, l'idéal doit disparaitre; le prosaïsme de l'intérêt doit ici remplacer le beau ton qui contribue à animer le tableau pittoresque de nos sites étagés, alpestres; l'agréable doit s'éclipser devant l'utile; contre les additions du gain, il n'y a pas d'idylle possible au dix-neuvième siècle.

A cette objection fondée qu'il faut à la santé du bétail un peu de mouvement, de soleil, de grand air; que ces conditions disposent soi-disant la vache à entrer en rut plus volontiers, on peut répondre qu'il est facile de lui donner tout cela en la menant chaque soir où chaque matin boire à une clès ou abreuvoir du village. Ce serait là même une promenade hygiénique qu'il ne serait pas inutile de recommander.

Si, avec tous les agronomes, nous blàmous l'habitude où sont beaucoup de localités d'envoyer leur bétail s'étioler et perdre ses engrais dans les communaux, depuis le mois d'avril jusqu'en septembre, il n'en est pas de même de la vaine pâture durant l'automne. L'impossibilité où l'on est de faucher une partie des secondes herbes ou regains, à raison de leur peu de hauteur, qui tient à la nature en général peu fertile du sol; le préjudice que l'on éprouverait en les négligeant, et la nécessité où l'on est par conséquent de les faire manger sur place par les animaux, tout contribue à la rendre indispensable. Par rapport au fumier, on n'a pas ici de déperdition à craindre, puisqu'il est transporté directement par les troupeaux sur les fonds, où il produit, il est vrai, moins d'effet que s'il était enfoui et soustrait par là à la dessication solaire; mais on devrait avoir soin de ne pas l'exercer pendant les temps humides, quand les pieds des gros ruminants enfoncent dans terre et déterminent des inégalités de niveau qui contrarient les faucheurs et occasionnent toujours une légère perte de foin. Il va sans dire aussi que la vache, surtout si elle est avancée en gestation, ne doit pas quitter l'étable dans les jours brumeux, à température basse de l'arrière saison.

POLIGNY, IMP. DE MARESCIAL.

OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES RECUEILLIES A POLIGNY.-(Août 1863).

ÉLÉVATION: 338 AU LIEU D'OBSERVATION.

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NOTA.- Les températures au-dessous de zéro sont précédées du signe celles au-dessus ne sont précédées d'aucun signe.

Le signe B signifie beau temps; V temps variable ou demi-couvert; C ciel couvert; Br brouillard; P pluie; N neige; O orage avec tonnerre.

OZONOMÈTRE. Le chiffre 0 signifie la négation de l'ozone dans l'atmosphère, et le chiffre 21 le plus haut degré auquel on puisse le rencontrer. IMPRESSION DE L'AIR. A signifie âpre, C chaud, D doux, F froid, Fa frais, G glacial, H humide, L lourd, S sec. Le signe 2 en surmontant un autre, exagère sa valeur ordinaire, la lettre a la diminue.

Récapitulation. La plus haute température d'août a été de 31°, la plus basse de 13°; le barom. est monté à 745m et descendu à 737; les vents Nont soufflé 2 fois, le N-E 1 fois, le N-0 1 fois; le S-0 27 fois; le ciel a été 19 fois beau, 8 fois variable et 4 fois couvert; il y a cu 9 jours de pluie, dont 2 avec orage. Dr GUILLAUMOT.

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AGRICULTURE

INDUSTRIE
SCIENCES, ARTS

ET

LLES LETTRES

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Benjamin Constant de Rebecque,
PAR M. REGNAULT,

Archiviste et bibliothécaire honoraire du Conseil d'Etat, membre correspondant

Une éducation académique avait mis à sa disposition
et à ses ordres les plus belles formes du discours.
( Lettres de Junius VII.

Henri-Benjamin CONSTANT DE REBECQUE, issu d'une famille ancienne et originaire de la ville d'Aire, en Artois, naquit le 25 octobre 1767, à Lausanne. C'était là que s'était retiré, en 1605, après l'abjuration de Henri IV, le capitaine Auguste Constant de Rebecque, un des aïeux de Benjamin, champion de la religion protestante, venu en France pour combattre dans les rangs des Huguenots, et qui avait sauvé la vie au roi de Navarre, à la bataille de Coutras.

Benjamin fut envoyé fort jeune à l'Université d'Oxford, où il apprit à fond la langue anglaise, puis en Allemagne, à Erlangen, où il étudia la philosophie de Kant et la littérature de Schiller, et enfin à l'Université d'Edimbourg, où il perfectionna son éducation par des études brillantes, variées et solides. Il y contracta, dans l'intimité des Makinsosh, Erskine et Graham, le goût de la vie politique et le sentiment pratique de la liberté constitutionnelle, qu'il apporta en France dans l'année 1787. Initié dès cette époque à l'esprit philosophique et novateur qui fermentait dans toutes les têtes, il céda aux séduisantes théories des philosophes, mais sans se mêler encore activement au mouvement général dont le distrayaient la fougue de la jeunesse et l'entrainement des passions. Le futur tribun faisait, en 1789, son double apprentissage de politesse et d'opposition à la cour du duc de Brunswick, qu'il servait en qualité de gentilhomme ordinaire. Dans cette cour rétrograde, où il passa six années, les plus orageuses de la Révolution, il n'en marcha pas moins en avant. Son retour à Paris, en 1795, sous les auspices de Mme de Staël, sa compatriote et sa protectrice, et son début politique et littéraire furent marqués par une brochure qui fit une vive sensation, intitulée De la force du Gouvernement et de la nécessité de s'y rallier. Sous l'influence et la dictée de sa måle Egérie, il y exprimait éloquemment son opinion, que le Gouvernement des Directeurs était possible à l'ombre de la Constitution de l'an III. Il avait été réhabilité français par le bénéfice de la loi du 15 septembre 1790, qui déclarait naturels français les individus nés en pays étrangers, mais qui descendant, à quelque degré que ce fut, de français ou de françaises expatriés pour cause de religion, reviendraient en France et y prêteraient le serment civique. Constant, dont le père avait rempli cette formalité, soutint énergiquement ses droits dans deux nouveaux écrits sur les Réactions politiques. et les Effets de la Terreur, et se rattacha plus étroitement encore au parti du Directoire, en le défendant au cercle constitutionnel, de sa plume et de sa parole. Il parlait et écrivait en français, de préférence aux autres langues qu'il possédait. Il y combattit avec la verve généreuse de son talent, l'odieux paradoxe que la France avait été sauvée

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