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nir obligatoire, pour se rendre efficace, ne doit rien outrer et s'abstenir de toute exigence excessive. Aller au-delà de la rigueur strictement nécessaire, serait dépasser le but qu'elles se proposent sauvegarder les intérêts généraux, maintenir la tranquillité publique, double considération où elles prennent leur source, double terme, en même temps, où elles doivent tendre de tous leurs efforts.

Maintenant, comment et par qui doit s'élaborer, par qui s'édicter la loi positive? Pour répondre, usons de comparaison et consultons les analogies.

Une nation est une collection de tribus, comme la peuplade une agrégation de familles, comme la famille un composé d'individus. Mais pour se mouvoir dans un orbite plus ou moins large, une sphère ni n'augmente, ni ne diminue les rouages employés à ses évolutions. Et l'unité du créateur se manifeste dans l'unité du plan de la création, commun à l'ordre physique et à l'ordre moral.

Or, quels sont les ressorts à la disposition de l'àme humaine, pour conduire le corps, dont elle a la charge, dans les voies ordonnées?

Nous y découvrons trois agents principaux : la volonté active; l'intelligence conseillère; la sensibilité passionnée. La sensibilité, dis-je, avec ses sympathies et ses antipathies, image des enfants dans la famille et du peuple dans le gouvernement; l'intelligence et ses lumières, emblême de la femme dans l'économie domestique et des assemblées délibérantes au sein de l'Etat; la volonté dirigeante, symbole de l'autorité paternelle au foyer conjugal et du souverain au timon de l'organisation politique.

Mais, de même que dans un ménage régulier et bien entendu, tout doit se combiner et se conclure en vue des enfants, mais rien par leurs ordres, rien sous leur ingérence ou sous leur pression, de mème aussi, dans la grande association nationale, le peuple, la multitude, à raison même du nombre, est inhabile à prendre une part directe aux affaires publiques, où il ne lui est donné d'intervenir que par voie de suffrage, d'élection, de délégation. De même encore que, dans une réunion matrimoniale, aux yeux de la loi, le rôle de l'épouse doit se borner aux avis, aux remontrances, sans viser à l'action, réservée au chef de la maison, de même aussi, dans cette vaste maison qui s'appelle l'Etat, les chambres représentatives, c'est-à-dire, chargées de la mission de guider, d'éclairer la marche du pouvoir souverain, ne peuvent prétendre à devenir parlementaires, c'est-à-dire, dans le sens convenu de cette expression, à faire prévaloir et dominer leur autorité, sans dénaturer leur mandat, s'immiscer dans l'administration, mettre en suspicion le pouvoir suprême, lui ravir le respect qui lui est dû dans l'intérêt de l'ordre public, conséquemment, sans usurper des attributions qui doivent leur rester étrangères, et, dès lors, sans jeter dans le sein des masses des ferments de discorde et d'anarchie, en un mot, sans se lancer sur la pente des révolutions; comme le souverain lui-même ne peut affecter des allures despotiques, en affichant un dédain superbe pour des avis motivés et souvent répétés, pour les réclamations légitimes de l'opinion publique, sans courir de propos délibéré au-devant d'une imminente et prochaine catastrophe.

C'est ainsi qu'une admirable et salutaire disposition providentielle

procure à l'homme et lui fait découvrir dans sa propre constitution psychologique, le calque où il est tenu de modeler le régime matrimonial, pour le rendre conforme à la hiérarchie préétablie, et le mécanisme gouvernemental, pour le soustraire aux vents et aux orages.

Il ne suffit pas à la loi positive, militaire ou civile, ecclésiastique ou laïque, de se produire avec ses considérants et ses dispositifs, il faut encore qu'elle se présente armée d'une sanction, c'est-à-dire, d'une menace de châtiment à infliger aux transgresseurs de sa lettre et de son esprit. Déjà la loi naturelle fait éprouver à la conscience coupable de l'avoir violée, selon la gravité de l'infraction, le regret, le repentir, le remords, avec la crainte, si elle échappe à la punition en ce monde, d'en subir une plus sévère dans l'autre. A côté des pouvoirs exécutif, législatif, il y a donc place pour une autre institution: l'institution judiciaire, chargée de l'application de la loi, en tant que loi pénale. Voilà pourquoi la statue de la justice, sans sortir de son calme, avec la balance et le sceptre dans une main, porte dans l'autre le glaive tiré et prêt à frapper.

La principale difficulté, la première préoccupation de la loi pénale, consiste et doit consister à se proportionner à l'intensité des cas qui tombent sous sa juridiction contravention, délit, crime; car le but qu'elle poursuit n'est pas de se venger, mais de moraliser le délinquant par le châtiment, comme aussi, par ce châtiment exemplaire, d'arrêtér les volontés perverses qui seraient tentées de s'égarer dans les mêmes sentiers périlleux. Trop molle, trop indulgente, elle deviendrait bientôt un objet de dérision; violente, emportée, elle soulèverait les protestations de l'équité naturelle. Il s'est rencontré pourtant dans l'antiquité, un législateur qui, sous prétexte que toute atteinte à la loi offre le même désordre en principe, n'a pas craint de prononcer contre les moindres défaillances, la peine due aux seuls for faits, la peine capitale. Mais qu'est-il arrivé des lois de Dracon? ce qui arrive de toutes les lois de sang, elles sont tombées en désuétude par leur impossibilité même, pour faire bientôt place à celle du sage Solon. C'est par l'effet de la même erreur, que la théorie stoïcienne a exercé si peu d'influence sur les contemporains et n'a transmis qu'un nom à la postérité.

Il vient d'être fait mention de la peine capitale. Cette peine n'estelle pas abusive? La société n'opère-t-elle pas œuvre d'arbitraire et de tyrannie, en s'arrogeant sur ses membres ce droit redoutable de vie et de mort?

Jei se pressent les objections concluant toutes en faveur de l'inviolabilité de la vie humaine.

A Dicu, l'auteur de notre existence, à Dieu seul le droit de nous la retirer, au temps et de la manière qu'il lui plait.

Les erreurs des sentences judiciaires, exposées trop souvent à prendre l'innocent pour le coupable, suivies d'un deuil éternel et stérile, sont à jamais irréparables.

Le scrupule sur la légitimité d'une exécution atroce, la répugnance, pour ne pas dire l'horreur d'en assumer l'odieuse responsabilité, portent plus d'un jury à chercher et à fabriquer des circonstances atténuantes de pare invention, au mépris des faits les plus notoires, les plus authentiques et les mieux vérifiés.

L'exhibition de cette immolation de chair bumaine ayant perdu son caractère intentionnel d'expiation, est devenue un spectacle où le peuple s'endurcit et se familiarise avec le hideux et ignoble gibet, etc., etc. Il est répondu :

La défense de l'incendie, du meurtre, de l'homicide, ne peut acquérir force de loi, elle ne peut espérer de se faire obéir et respecter qu'en égalant la vindicte à l'attentat.

Tel malfaiteur tout disposé à pousser le crime jusqu'à l'extermination de son semblable, ne s'arrête qu'à la pensée et la perspective de l'échafaud. De cette pitié prodiguée à l'agresseur, qu'il en reste du moins quelque peu pour sa victime en expectative.

L'opinion publique, parvenue sous la plume de ses grands publicistes, Grottins, Puffendorf, Watel, Beccaria, Montesquieu, à la suppression de la question, de la torture, n'en est pas encore arrivée à méconnaître, à contester l'utilité, la justice de la peine de mort, adoucie et dépouillée de tout ce que la cruauté des anciens temps y avait ajouté de raffinement et de barbarie. Loin de là, témoin ce qui se passe en Amérique, où, en vertu de la loi Lynch, le peuple, pour peu qu'un tribunal hésite devant une condamnation, se hate, dans son aveugle impatience, de s'emparer violemment du prévenu, et, dans sa fureur aveugle, de l'expédier de ses propres mains. Témoin encore le scandale qu'aurait produit parmi nous, le simple envoi aux travaux forcés d'un Lacenaire, d'un Dumolard. Si le peuple s'assemble, accourt et s'empresse un jour d'exécution, ce n'est pas tant pour repaître, pour assouvir ses regards d'un spectacle qui n'a plus rien de tragique, de théâtral, que pour s'applaudir et se féliciter de la disparition d'un ennemi de sa sécurité, comme l'amputé se console de la perte d'un membre qui menaçait de gangrene le reste de l'organisme.

Toutefois, cette justification de la société dans le maintien d'une mtsure dont elle ne se sert que comme d'un préservatif, sorte de bouclier destiné à la garantir contre les traits nombreux prêts à l'assaillir, cette apologie n'est ni absolue, ni définitive. Déjà la peine de mort, avec l'assentiment de tous les partis, a été abolie en matière politique, déjà elle n'est plus qu'une représaille du sang versé, véritable peine de talion, des cas nombreux qui la multipliaient encore au commencement de ce siècle. Espérons que l'application en deviendra de plus en plus rare, jusqu'à ce que l'adoucissement graduel des mœurs et l'adoption progressive de la morale évangélique l'aient rayée de nos codes et fait disparaitre à jamais de nos places publiques.

Morale évangélique, venons-nous de dire. On connait les deux préceptes simples et sublimes qui en forment l'essence et le résumé. L'un négatif, de justice absolue, d'équité stricte et de probité rigoureuse : «Ne fais pas aux autres ce que tu voudrais qu'il ne te fût pas fait & toimême. » L'autre positif, de perfectionnement, d'amour et de charité : « Agis envers tes semblables comme tu voudrais qu'ils agissent vis-àvis de toi. >>

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Entre ces deux commandements se révèle toute la distance qui sépare la politique et la religion. Aux gouvernements séculiers le soin d'assurer l'observance du premier : « Tu ne tueras pas, tu ne déroberas pas, lu ne porteras pas faux témoignage, etc., par la répression du mal et de oute

atteinte à la vie, à la propriété, à l'honneur d'autrui. » Ils ne peuvent ni ne doivent aller plus loin, sous peine d'empiéter sur les droits de la conscience. Préposés à la surveillance, à la garde des intérêts matériels, chargés de pourvoir à la satisfaction des besoins physiques, obligés même, dans une certaine mesure, à se préter bénévolement aux jouissances, aux vanités mondaines, leur empire n'a d'action que sur le corps; leur autorité ne s'exerce que sur la personne extérieure; leur police n'embrasse que les éléments suspects, les tendances susceptibles, par leurs manifestations, de troubler la paix du dehors, réduits qu'ils sont d'ailleurs à ne pouvoir invoquer que les avantages du présent, que les intérêts d'une vie passagère, comme titres à l'obéissance, à la soumission; impuissants même, faute de ressources, à rémunérer l'accomplissement ostensible de tous les actes de vertu, de tous les élans de bienfaisance et de générosité.

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A la religion, la mission auguste d'aller et plus haut et plus loin; à elle à revendiquer, comme objet de sa compétence et de son domaine, la mise en pratique du précepte d'abnégation et de dévouement. Se posant en émanation des divins tabernacles, en messagère du ciel; descendue sur la terre pour la sanctifier, pour l'élever à la connaissance de ce commandement qui contient la loi et les prophètes : « Aime Dieu de toutes les forces, de toutes les puissances de ton être, et le prochain comme toi-même, » elle se présente aux gouvernements comme leur plus fidèle auxiliaire, vivant côte-à-côte, s'attachant à leur applanir les aspérités de leur tache ardue, à les soutenir dans les voies qu'ils doivent suivre en commun, à leur prêter l'appui de sa salutaire influence, influence d'autant plus efficace, qu'en dehors de toute contrainte, sans autre arme que la persuasion, elle s'insinue dans les àmes, pénètre dans les esprits, prend possession des cœurs, épure les intentions et fortifie les aspirations de bonne volonté, ainsi en mesure de prévenir plus de crimes qu'il n'en reste à châtier, et d'épargner aux tribunaux le déploiement trop fréquent de leurs rigueurs et de leurs sévices. Résultats précieux, obtenus au nom des vérités dont elle se proclame dépositaire, produits en vue des promesses dont elle se déclare garante et caution, ces promesses splendides des félicités d'une éternelle béatitude. Aussi, voyez-là enfanter et semer sur ses pas les prodiges et les miracles.

Au premier souffle du christianisme, en dépit du martyre qui les attend dans ce monde, mais enflammés aux lueurs radieuses de la palme incorruptible qui brille aux regards de leur foi dans l'autre, des mortels intrépides, réunis une dernière fois au pied du Golgotha, après un adieu suprême, se séparent, se dispersent pour se répandre au loin, pour annoncer de toute part aux quatre vents des cieux la bonne nouvelle, et publier ses divins enseignements.

C'en est fait, aux accents de leur voix retentissante comme la trompette de Jéricho, tombe et s'écroule le vieil échafaudage idolâtre, entrainant dans ses ruines ses horreurs, ses monstruosités.

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Plus d'Ilotes, de Parias, d'esclaves plus de distinction entre le juif et le gentil, le grec et le barbare. Réhabilitation des faibles, des opprimés, des victimes, de tous les déshérités de la fortune, de tous les disgraciés de la nature ou du sort. L'enfance est placée sous la protection des lois; la vieillesse entourée de respect; la femme, par l'élévation du

mariage à la dignité de sacrement, mise au niveau de son ancien tyran; l'infirme, la veuve, l'orphelin, recueillis dans des hospices. Déclarés égaux devant Dieu comme devant la nature, appelés aux mêmes fins, aux mêmes destinées, la fraternité de tous les membres de la grande famille humaine est érigée en dogmes. Et grâce à l'éclosion d'une vertu, inconnue du paganisme, d'une vertu sortie tout entière des entrailles du Christ, la douce et sainte humilité; par son efficace incomparable, à la vengeance en crédit et en honneur, succède la miséricordieuse loi du pardon, pardon qui doit s'étendre jusqu'aux injures, jusqu'à inspirer l'amour de son ennemi.

Tel est le baume versé sur nos plaies par la religion; tel le privilège ineffable dont elle est douée, et douée seule, d'adoucir l'amertume des inégalités sociales ou naturelles, de calmer les révoltes de la haine et les emportements jaloux des passions envieuses déchaînées. Services immenses rendus aux gouvernements civils, impossibles à naître ou à se conserver sans les bienfaits incessants de son inappréciable et mystérieuse coopération.

Mais elle-même, à son tour, mais elle-même non plus, ne peut, ne saurait se passer de l'assistance, de l'aide et du concours des gouvernements séculiers. Plusieurs fois elle l'a tenté, en cherchant à se suffire, à concentrer en elle les deux emplois, mais par une triste expérience, toujours à ses dépens, toujours surtout au grand détriment du pur sentiment religieux, de la véritable et sincère piété.

Incarné, comme on sait, dans l'ancienne Judée, le régime théocratique y été une source intarrissable, un foyer permanent de complots, de séditions, de soulèvements, de défections, de schismes, de massacres. Sans cesse à provoquer les populations voisines dont il excitait la colère et le mépris, plus d'une fois il les a attirées sur le sol sacro-saint de la patrie, pour en laisser traîner les enfants en servitude sur la terre étrangère. Frappé au cœur, en apparence, au temps de Samuel, par l'établissement du pouvoir royal, il n'en a pas moins continué à peser sur les évènemets d'un poids funeste, tenant en échec et rois et royauté. Jusqu'à ce qu'assiégée une dernière fois par Titus, emportée d'assaut et réduite en cendres, l'infortunée Jérusalem, à jamais déchue de sa nationalité, ait subi la domination de la conquête et vu ses tristes habitants se disperser sous toutes les zones et dans toutes les contrées.

Mystérieuses antithèses comme l'infinie miséricorde et l'infinie justice au sein de Dieu, comme la prescience divine et la liberté humaine, ou la grâce et le libre arbitre; de même aussi que la foi et la raison; ou bien encore semblables à ces lignes indéfiniment prolongées, à ces asymptotes que la géométrie nous montre s'approchant sans cesse sans se rencontrer jamais; ainsi que ces lignes courbes en face de ces lignes droites; ainsi que ces autres rapports en sens inverse apparent, mais d'entente et de conciliation nécessaire, l'Etat et l'Eglise, le Sacerdoce et l'Empire, voyageurs latéraux sur le chemin de la vie, au pèlerinage obscurci et voilé d'ici-bas, doivent s'avancer à travers les siècles parallèlement et juxta-posés, sans jamais s'absorber et se confondre, jusqu'à ce que, aux termes des existences, aux abords de l'éternité, à la diffusion de toutes les ombres et l'épanouissement de toutes les lumières, parvenus au zénith suprême, au point central et culminant, confluent du principe

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