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cialement chargé de surveiller l'exécution des lois, et celle du 28 prairial mérite singulièrement de fixer votre attention. Mais elle n'intéresse pas moins ma sollicitude, et je désire m'assurer si les administrations municipales de votre arrondissement ont satisfait à ses dispositions. Cependant, comme il est possible que quelques-unes soient en retard de remplir le vœu de la loi, je vous invite à leur rappeler combien il importe à l'ordre public qu'elles s'occupent incessamment de ce travail, et je confie à votre zèle le soin de me justifier de l'achèvement de ces élections, ainsi que de l'organisation du service dans les différents

cantons. >>

Réponse. 12 messidor.

<< CITOYEN MINISTRE, je vous fais passer copie de deux circulaires à la date des 6 germinal et 26 floréal,... concernant la réorganisation de la garde nationale et des gardes mobiles. Elles vous convaincront de notre constante sollicitude pour l'exécution des lois, celles surtout qui ont pour objet le maintien de la tranquillité publique. »

Il parait qu'à cette date notre compatriote était en instance près du Gouvernement, pour solliciter un acte de sa part. Quel pouvait en être la nature? Est-ce une demande de réhabilitation dans les cadres de l'armée, ou plutôt, n'était-ce pas une requête, comme l'y conviaient ses amis, pour obtenir la juste rémunération de son grade et de ses services? La lettre suivante de Pichegru ne l'explique pas.

« Paris, le 15 messidor, an V.

« J'ai différé quelque temps à vous écrire, mon cher général, espérant toujours pouvoir vous dire quelque chose du mémoire dont vous m'avez chargé, et qui a été remis au Ministre depuis plus d'un mois; mais j'ai beau le presser, il ne m'est pas possible d'obtenir une réponse positive sur l'objet de votre demande, qu'il me dit avoir soumise au Directoire. Je ne le perdrai pas de vue, et je m'empresserai de vous informer du résultat, surtout s'il vous est favorable. Salut et amitié, Pichegru. >> Il ne le sera pas, on peut en être sûr : notre concitoyen ne savait pas assez pratiquer la route de Paris et s'offrir aux rayons du soleil levant. Il s'entendait beaucoup mieux à servir les autres, et à s'y employer de tout le zèle et de tout le dévouement dont son caractère, essentiellement bienveillant, le rendait capable.

Mais déjà le vent a tourné pour Sauria et l'a porté à Lons-le-Saunier, où il réside en qualité de membre de l'administration centrale du dépar

tement.

« Lons-le-Saunier, le 7 fructidor, l'an VII de la République.

« Le Commissaire du Directoire exécutif près l'administration centrale du département du Jura, au citoyen Sauria, ancien administrateur à Poligny.

« CITOYEN, je vous envoie copie d'un arrêté de l'administration centrale, en date de ce jour, portant enregistrement d'un arrêté du Directoire exécutif du 28 thermidor dernier, qui vous nomme administrateur du département. Je vous prie de vouloir bien me faire connaitre votre acreptation, et vous rendre à l'administration pour être installé aux fonctions auxquelles vous êtes appelé. Salut et fraternité. Le Vasseur. >>

Il eut d'ailleurs suffi d'un ce ces mille recours à son obligeance qu'il encourageait, pour nous mettre sur la voie.

« Poligny, le 12 frimaire, an VII.

« Je t'envoie, mon général, une ordonnance pour mon traitement de messidor dernier. Quelque tardive qu'elle soit, elle arrive encore trop tôt pour Maubach, à qui il faut maintenant de nouveaux ordres pour l'acquitter. Il est très-exact, ce Maubach là, il ne mettrait pas un point sur un i sans ordre. C'est un trésor pour la République, qu'un payeur qui ne paie pas.

<< Mais comme Joseph Clerc m'a avancé le montant de cette ordonnance, j'y mets mon acquit, et tu voudras bien me rendre le service de la lui faire tenir sûrement.

« Un jeune homme de Salins, nommé Delacroix, garde-magasin cidevant, t'a remis les pièces de son compte. Je le recommande à ta célérité. C'est un pauvre diable qui n'a guère, pour faire le garçon, que ce qui peut lui revenir à cet égard, et une pension d'invalide qu'on ne lui paie pas. Occupe-toi de lui avec bonté, le plus tôt qu'il te sera possible.

« Gresset, à qui j'ai fait part de sa nomination, se dispose à partir; il ramasse de tous côtés des connaissances administratives, contributives.

«< Adieu, mille choses amicales à tes collègues, en attendant que je puisse le leur dire moi-même ici, où vous serez bientôt, si l'on en croit les pétitionnaires de Poligny et d'ailleurs. Ton meilleur ami, Béchet.>> Ces dernières lignes font allusion à une pétition qui fut amenée par le motif, ou le prétexte d'une circonstance bien douloureuse.

Dans la nuit du 25 au 26 mai 1795, les démocrates de Bourg, renfermés dans le couvent des cordeliers, à Lons-le-Saunier, et attendant leur jugement, y avaient été horriblement et impitoyablement égorgés par des inconnus, affreuses représailles du massacre des terroristes dans les prisons. On appliqua alors, dans ce qu'elle a de plus hideux, l'odieuse loi du talion; on joua au jeu sanglant de chacun à son tour. Heureusement que le Consulat, comme un arc-en-ciel bienfaisant, vint annoncer le retour de la sérénité, et, par l'expulsion de la discorde et des luttes intestines, ramener la tranquillité dans la rue et dans les esprits.

A cette pétition, qui avait pour objet la translation du siège de l'administration centrale à Poligny, il fut répondu par les membres dont elle était composée, sous la forme d'une adresse au Corps législatif :

«CITOYENS, quelques individus ont formé la demande au Corps législatif de transférer à Poligny les autorités établies à Lons-le-Saunier; si, pour réussir dans leurs projets, ils s'étaient bornés à faire valoir des raisons de localité, nous aurions attendu en silence la détermination des Conseils.

<«< Mais les pétitionnaires ont fait du Jura un tableau si infidèle; ils ont accumulé sur ce département un si grand nombre d'atroces calomnies; ils tentent, en demandant une chose peut-être indifférente, à donner à l'opinion publique une direction si funeste, que nous serions coupables si nous nous taisions plus longtemps. »

Suit l'historique de la situation du Jura jusqu'au 31 mai; le change

ment qui s'y était opéré depuis l'avénement de la dictature de Robespierre jusqu'au 9 thermidor; l'influence de cette journée, vaincue à son tour par celle du 18 fructidor; la comparaison de la position du Jura avec celle des autres départements à la même époque, d'où ressort sa justification avec celle du chef-lieu, ainsi qu'une protestation énergique contre leurs dénonciateurs.

Signés Répécaud, président; Camuset; Sauria; Ferrey; Bacoulon, administrateurs; Charve, secrétaire en chef.

Revenons un peu sur nos pas, et après la pièce officielle, voyons une lettre qui annonçait à Sauria sa nomination à la direction centrale des affaires du département.

« Lons-le-Saunier, 10 brumaire, an VI.

« Je t'écris, mon ami, de chez le général, qui expédie ses ordres pour les ordonnances qui vont annoncer à trois individus leur nomination au département; tu en es un, et j'espère que tu n'hésiteras pas. Tu seras avec Ferrey, de Saint-Laurent, Billotey, de Chaussin. Tu connais tes deux autres collègues Répécaud et Camuset. Ce qui me fait ajouter un mot à ce qu'on t'écrit d'officiel, c'est que cette circonstance te met à portée d'être utile, je ne dis pas à tes propres intérêts, tu n'entendrais pas ce langage, mais au bien général. Viens ici de suite et ne prends aucune détermination contraire, sans que j'aie causé avec toi.

« Tu sais sûrement la paix faite et officiellement annoncée. Sur ce, je te donne le baiser de paix. E. Dauphin.

« Le général Ecellmayer, quoique n'ayant le plaisir de te connaître que par la voix publique, me charge de te faire ses salutations. »

CHAPITRE VII.

AUTRES PÉRIPÉTIES, NOUVELLES VICISSITUDES.

Mais déjà, au souffle violent de ces ouragans impétueux, comme il en passait périodiquement alors sur notre sol battu par la tempête; déjà, à l'une de ces raffales subites et imprévues, Sauria a été emporté et enlevé momentanément à nos regards, à la grande stupéfaction de la députation du département, ainsi exprimée par l'organe d'un de ses membres :

Paris, 9 germinal, an VII.

« Fèbvre, représentant du peuple, au général de brigade Sauria.

« J'ai, mon cher compatriote, deux choses sur le cœur qui me peinent beaucoup, et dont je viens un peu me soulager en vous en parlant. La première est votre destitution et celle de Répécaud; la seconde est votre silence sur ce point à mon égard.

« Votre destitution est du nombre de ces actes que rien ne peut justifier; elle n'est en rapport ni avec la justice qui vous était due, ni avec la tranquillité du pays que vous avez maintenue, ni avec les règles d'une sage politique..... Je croirais donc que le gouvernement a été trompé, surpris sur votre compte, et que l'ambition, l'esprit de domination ont seuls provoqué et obtenu cette mesure aussi injuste que vraiment extraordinaire. Voilà, mon cher, ma franche déclaration sur ce point, ma

profession de foi; vous pouvez ne pas la laisser ignorer, parce que je ne suis pas disposé à fléchir le genou devant l'idole de Balaam.

« Je ne suis pas ici le seul très-étonné et très-mécontent de cette mesure la députation a partagé mes sentiments, elle en a été vraiment déconcertée; si elle eût pu la prévoir, elle l'aurait prévenue; mais elle a été à cet égard dans la plus complète ignorance de tout ce qui s'est tramé.....

<«<< Mais pourquoi n'ai-je appris cet évènement que de personnes qui lui étaient étrangères? Me reprocheriez-vous de vous avoir engagé à accepter les fonctions administratives? Je cherchais en cela à servir la chose publique, et le peuple a partagé mes sentiments en vous nommant.

« Recevez, avec l'expression de ma douleur, une nouvelle assurance de mon inviolable attachement. Febvre. »

La nouvelle adresse suivante, au Corps législatif, pourra nous éclairer sur les causes, ou plutôt sur les griefs supposés, les allégations menteuses devant lesquelles aura dù succomber Sauria, en compagnie de son collègue et digne ami Répécaud. Selon toute apparence, il leur aura répugné de s'associer, contre des adversaires désarmés, à un de ces actes vexatoires qui arrachaient à l'un des Chénier cette exclamation découragée : « O liberté ! que de crimes on commet en ton nom ! »>

«Des républicains de Salins, au Corps législatif.

« CITOYENS, ce n'est plus seulement dans les journaux qu'on dénonce le Jura, c'est à la barre du Corps législatif; elle a retenti dans toute la France, cette dénonciation du 26 frimaire, signée par onze soi-disant républicains, réfugiés à Paris; nous les connaissons donc maintenant, ces ennemis éternels de l'ordre; nous savons quels sont ces hommes qui, depuis quelque temps, fournissent des articles séditieux aux journalistes.

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Républicains, les signataires de cette dénonciation!!! Eh! il n'a pas tenu à eux que, vingt fois, la République ne fût noyée dans le sang des français.

« Citoyens représentants, souffrirez-vous que le Jura, qui respire à peine,..... redevienne la proie des anarchistes? Souffrirez-vous que des administrateurs, placés par le Directoire,... soient traînés dans la boue, inculpés impunément devant la France entière, par des hommes qui furent vraiment les suppôts de la terreur?

« Au moment où nous achevons de tracer ces lignes, nous apprenons par les papiers publics, que la députation du Jura est accusée, dans des placards, d'avoir conçu l'infernal projet d'assassiner Bonaparte.

« On donne à cet imputation un air de vraisemblance, en rappelant que ses membres ont été envoyés par le même corps électoral qui envoya Pichegru; mais Pichegru était-il alors connu? Que le Directoire s'informe de la moralité des signataires, et il verra de quel côté peuvent surgir des assassins. »

Sauria, prévoyant le coup qui devait l'atteindre, fut loin de courber

la tête devant ses accusateurs, et il lança contr'eux cette trop juste philippique :

Jean-Charles Sauria, membre de l'Administration centrale, à ses concitoyens.

« Quoique les prétendus républicains du Jura, réfugiés à Paris, soient tellement connus pour alimenter leurs pamphlets parasites de calomnies et d'impostures, que ce n'est, en vérité, plus la peine de leur répondre, je dois au petit nombre de ceux qui les lisent encore, une observation à l'endroit de leurs diatribes qui me concernent. Je ne cherche assurément pas à faire rétracter les calomniateurs; loin de moi leurs éloges flétrissants; mais j'ai été honoré du choix du Directoire exécutif, c'en est assez pour que je réfute la satire qu'on s'efforce d'en faire.

« On avance que je suis la créature de Pichegru; ceux qui me connaissent savent que je ne suis la créature que de mon amour pour la liberté et de quelque zèle peut-être à la défendre. Pour ceux qui ne me connaissent pas, je dois exposer en quelques mots mes antécédents. » (Suit la récapitulation à grands traits de ses services militaires, appuyés de pièces justificatives, et la preuve que ce n'est point Pichegru, alors à la tête de l'armée du Nord, mais les représentants du peuple, investis de cette délégation et présents sur les lieux, qui, le 3 nivose de l'an II, le promurent au grade de général de brigade).

« On ajoute que j'ai donné une fête au futur seigneur d'Arbois..... « D'abord, à l'époque des dernières élections, était-il beaucoup de français qui eussent refusé l'entrée de leur domicile à cet homme, alors si universellement réputé vertueux ?

«Mais encore, de quelle fête parle-t-on ? Est-ce là le nom qui convient à un rafraichissement donné à un voyageur, qui s'arrête au plus deux heures? Mais qu'importe la vérité? L'intrigue ne vit-elle pas de fraudes et de mensonges! Sauria. »

Cet homme, que poursuivaient de misérables démagogues, il fallait que ses amis le poussassent à réclamer ses droits à la plus stricte et la plus rigoureuse équité.

«Lons-le-Saunier, le 4 germinal, an VII.

« Vous paraissez oublier vos intérêts, mon cher Sauria, et négliger votre traitement de réforme. Prenez lecture de la lettre que vient de m'adresser l'ordonnateur. Peut-être y découvrirez-vous la cause pour laquelle vous n'avez pas été compris jusqu'ici dans les états envoyés par le Ministre. Hâtez-vous de faire un état de vos services; joignez-y une copie des pièces que vous avez entre les mains, et, si vous le jugez à propos, faites-moi passer le tout, je tâcherai d'obtenir promptement que vous entriez en jouissance du traitement dû à vos services.

<< Vous allez connaître bientôt l'instruction du Ministre, du 28 germinal, sur l'exécution de la loi, qui ordonne une levée de 1500 hommes dans le Jura. Vous verrez que le Ministre désire employer les officiers retirés et réformés. Le général Ney m'a paru avoir envie de vous obliger. Entendez-vous avec lui. Bonjour et amitié. Chevillard. »

Il parait cependant qu'excité et stimulé sans cesse de toute manière, le général s'était enfin décidé à faire un voyage à Paris, où lui est adressée cette lettre, rue Helvétius.

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