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dans ce passage. Il a dit : Voici la marque d'un génie extraordinaire; Montesquieu a tracé le caractère, et lui a donné le mouvement.

XCVI.

Tel homme est ingrat, qui est moins coupable de son ingratitude que celui qui lui a fait du bien.

Quelle que soit la cause de l'ingratitude, elle ne peut excuser les ingrats. (Voyez la note de la Maxime 223.)

XCVIII.

Chacun dit du bien de son cœur, et personne n'en ose dire de son esprit.

Cette Maxime est généralement vraie; mais l'auteur s'est plu à la contredire dans le portrait qu'il a tracé de lui-même : J'ai de l'esprit, dit-il, j'écris bien en prose, je fais bien les vers, et je suis peu sensible à la pitié! On ne peut dire plus de bien de son esprit, ni médire plus franchement de son cœur.

CII.

L'esprit est toujours la dupe du cœur.

Foible imitation de cette grande pensée de l'Écriture: toute folie vient du cœur, c'est-à-dire de la déviation de nos sentiments. L'esprit juge

seul de la convenance des choses de la vie; le cœur a seul la conscience de ce qui est au-delà; c'est lui qui aime, c'est lui qui croit. Mais si, venant à s'égarer il s'attache à des intérêts purement matériels, au lieu de se porter vers les biens célestes qu'il est appelé à connoître, aussitôt le voilà en proie aux folles agitations, aux ambitieux désirs, à tous les vices, à toutes les passions qui éteignent la vertu, il égare l'esprit, il le trompe, il lui donne sa folie, et, pour parler le langage de La Rochefoucauld, il le fait sa dupe.

En résumé, il est vrai de dire que tout l'esprit qui est au monde devient inutile à l'homme qui a des passions, et point de volonté pour les

combattre.

Cette Maxime a exercé la sagacité des amis de La Rochefoucauld; madame de Schomberg en a donné une explication ingénieuse que nous rapporterons ici. « Je ne sais, écrivoit-elle à l'au«<teur, si vous l'entendez comme moi, mais je «<l'entends, ce me semble, bien joliment, et << voici comment : c'est que l'esprit croit toujours, par son habileté et par ses raisonne«ments, faire faire au cœur ce qu'il veut; mais «< il se trompe, il en est la dupe; c'est toujours « le cœur qui fait agir l'esprit; l'on sert tous ses

«< mouvements, malgré que l'on en ait, et l'on « les suit, même sans croire les suivre. » Terminons, en faisant remarquer au moins une exception à cette règle générale. La vanité est aveugle et rend crédule, et il arrive assez souvent, soit qu'on aime, soit qu'on n'aime pas, qu'une louange délicate rend le cœur dupe de l'esprit.

CXXIV.

Les plus habiles affectent toute leur vie de blâmer les finesses, pour s'en servir en quelque grande occasion et pour quelque grand intérêt.

L'auteur dit avec plus de justesse, quelques lignes plus loin: Les finesses et les trahisons ne viennent que du manque d'habileté.

CXXVII.

Le vrai moyen d'être trompé, c'est de se croire plus fin que les autres.

La Rochefoucauld en a dit la raison dans cette autre pensée : On peut être plus fin qu'un autre, mais non plus fin que tous les autres.

CXXXI.

Le moindre défaut des femmes qui se sont abandonnées à faire l'amour, c'est de faire l'amour.

J.-J. Rousseau a dit quelque part qu'il n'au

roit voulu de Ninon ni pour maîtresse ni pour amie. Sans doute il avoit appris de la Maxime de La Rochefoucauld, ce que La Rochefoucauld lui-même avoit appris de l'expérience et de Ninon.

CXXXIV.

On n'est jamais si ridicule par les qualités que l'on à, que par celles que l'on affecte d'avoir.

La Rochefoucauld étoit l'homme le plus poli et le plus ami des bienséances '. Il détestoit l'affectation, et ce genre de travers lui a paru si ridicule qu'il l'a critiqué dans cinq Maximes 2. Mais il trouvoit aussi tant de charme à la vertu opposée, que pour l'exprimer il a enrichi notre langue d'une locution nouvelle. Dire d'une personne qu'elle est vraie, c'est faire entendre qu'elle est simple et naturelle. La Rochefoucauld trouva cette heureuse expression pour louer et peindre en même temps le caractère de madame de La Fayette.

Mémoires de Segrais, p. 22.

? Dans les Maximes 133, 134, 372, 431, 457. 3 Mémoires de Segrais, p. 36.

CXL.

Un homme d'esprit seroit souvent bien embarrassé sans la compagnie des sots.

Vauvenargues en a dit la raison dans cette autre Maxime Les gens d'esprit seroient presque seuls sans les sots qui s'en piquent.

:

CXLIII.

C'est plutôt par l'estime de nos propres sentiments que nous exagérons les bonnes qualités des autres, que par l'estime de leur mérite ; et nous voulons nous attirer des louanges, lorsqu'il semble que nous leur en donnons.

Пуа y a dans cette Maxime plus de subtilité d'esprit que de véritable observation. On loue par surprise, par ignorance, par admiration, par persuasion; on loue sans intérêt des princes qu'on n'a jamais vus, des sages, des savants, des héros, qu'on ne sauroit ni juger ni envier, mais qui plaisent, mais qu'on aime, mais qu'on admire; on loue enfin une belle action parce qu'elle touche, un bon mot parce qu'il amuse, et la louange part plus souvent d'une satisfaction qu'on éprouve, que de l'espérance d'une louange qu'on voudroit recevoir.

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