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possible, parce qu'elle entraîneroit la perte de la société ; d'où j'ai tiré cette conclusion, que la vertu a été donnée à l'homme parce qu'elle lui est nécessaire, et qu'elle lui est nécessaire parce qu'il importe à Dieu de conserver son propre ouvrage.

Pour atteindre ce but, je ne me suis point appuyé de cette haute philosophie qui maintint la sagesse de Marc-Aurèle, malgré les flatteurs et le trône. Ni La Rochefoucauld, ni Marc-Aurèle n'ont tracé un tableau fidèle de l'humanité, qui n'est ni si dépravée, ni si sublime. C'est le cœur de l'homme naturel qu'il falloit opposer au cœur de l'homme avili. Ma philosophie, pour parler le langage de Montaigne, devoit être toute familière et commune; et en me réduisant aux principes vulgaires, j'étois bien sûr de ne point affoiblir ma cause. C'est une vérité qui atteste à la fois la bonté de la Providence et la dignité de notre être, que la morale la plus simple conduit

aux mêmes résultats que la plus haute philosophie; elle suffit à qui veut la suivre, non pas seulement pour être un bon citoyen, mais pour devenir un héros. Une mère en recevant les adieux de son fils lui recommande d'aimer Dieu, de fuir l'envie, d'être loyal en faits et dits, et charitable envers les malheureux : la vie entière du jeune guerrier est consacrée à l'accomplissement de ces trois préceptes, et ce guerrier, qui reçut de la France le titre de chevalier sans peur et sans reproche, fut Bayard.

I

Tel est le plan que nous avons cru devoir suivre. Il nous a privé sans doute de quelques développements philosophiques; mais il nous a permis de nous appuyer des vérités de l'histoire; vérités que nous devions préférer à tout, parce qu'elles étoient des exemples. Rousseau a dit qu'une mauvaise maxime est pire qu'une mauvaise action :

1

Voyez les Mémoires du Secrétaire de Bayard, chap. 2.

il auroit pu ajouter avec non moins de sens

que

les bons exemples valent mieux que les meilleurs préceptes.

La Rochefoucauld a peint les hommes comme les fait quelquefois le monde; MarcAurèle, comme les fait rarement la philosophie; et nous, comme les fait toujours la

nature.

Qu'il nous soit permis, en terminant, d'adresser une prière à nos lecteurs ; c'est de ne pas nous juger d'après les passions de la société, mais d'après les sentiments de leur âme. Nous croirons avoir tout obtenu s'ils s'interrogent eux-mêmes; car il suffit de descendre profondément en soi pour y trouver le bien; et la vérité qui est dans notre cœur nous instruit mieux que roles qui passent.

les pa

EXAMEN CRITIQUE

DES

RÉFLEXIONS OU SENTENCES

ET MAXIMES MORALES

DE LA ROCHEFOUCAULD.

ÉPIGRAPHE.

Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés.

Dès la première ligne, l'auteur nous met en garde contre ce qu'il y a de plus sacré sur la terre, la vertu. Il ne la nie point encore, mais il la réduit aux apparences, il en empoisonne la source; et, jetant notre âme dans le doute de ses propres sentiments, il nous laisse flotter indécis entre le bien et le mal, le vice et la vertu. On objectera, sans doute, que La Rochefoucauld ne présente pas sa pensée d'une manière absolue; mais pour détruire cette objection il suffit de tourner quelques feuillets. L'auteur ne reste pas long-temps dans le cercle étroit qu'il vient

de se tracer, et bientôt négligeant toute précaution oratoire, il reproduit les mêmes maximes sans exceptions et sans restrictions'. Contradiction évidente, mais inévitable. La Rochefoucauld devoit, ou renoncer à son système, ou généraliser sa pensée : car pour détruire un système il suffit d'une exception.

:

Maintenant il faut choisir entre deux opinions ou l'on restreint le sens de cette maxime à quelques cas particuliers, et alors elle ne renferme plus qu'une vérité commune dont il est inutile de nous occuper, ou l'on veut en faire une application générale, et alors c'est une calomnie qui tend à déshonorer le genre humain. Dans cette dernière hypothèse, il faudroit ainsi traduire la pensée : Tous les hommes sont des hypocrites; rien n'est vrai que le vice. Poser ainsi la question c'est la juger.

Mais comment une pareille maxime se trouvet-elle à la tête d'un livre qui porte le titre de Réflexions ou sentences et maximes morales? Tous ces titres promettent, non une suite de sophismes propres à renverser tout principe, mais un développement des bonnes et saines doctrines propres à faire aimer la vérité. Un titre plus convenable eût été celui-ci : ObservaVoyez les Maximes 5, 18, 20, 29, 44, etc.

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