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CHAPITRE XIII.

LE HIGH FARMING.

Parmi les innovations agricoles que la dernière crise a suscitées, la plus considérable sans aucun doute, celle qui restera comme l'effet le plus utile de cette grande commotion, c'est le procédé d'assainissement connu sous le nom de drainage. Drainage, en anglais, signifie écoulement. De tout temps l'écoulement des eaux surabondantes a été pour l'agriculture anglaise, surtout dans les sols tenaces, la principale difficulté. On n'avait jusqu'ici employé, pour s'en débarrasser, que des moyens imparfaits; le problème est aujourd'hui tout à fait résolu. « Prenez ce pot de fleurs, disait dernièrement en France le président d'un comice; pourquoi ce petit trou au fond? pour renouveler l'eau. Et pourquoi renouveler l'eau ? parce qu'elle donne la vie ou la mort: la vie, lorsqu'elle ne fait que traverser la couche de terre, car elle lui abandonne les principes fécondants qu'elle porte avec elle, et rend solubles les aliments destinés à nourrir la plante; la mort, au contraire, lorsqu'elle séjourne dans le pot, car elle ne tarde pas à se corrompre et à pourrir les racines, et elle empêche l'eau nouvelle d'y pénétrer. » La théorie du drainage est tout entière dans cette image.

L'invention nouvelle consiste à employer, pour effec

tuer l'écoulement des eaux, au lieu de fossés ouverts ou de tranchées remplies de pierres ou de fascines, procédés connus même des anciens, des tuyaux cylindriques de terre cuite, de quelques décimètres de longueur, et placés bout à bout au fond de rigoles recouvertes de terre. On ne comprend pas d'abord, quand on n'a pas vu l'effet de ces tuyaux, comment l'eau peut s'y rendre et s'échapper; mais, dès qu'on a vu une terre drainée, on ne peut plus conserver le moindre doute. Les tuyaux font l'office du petit trou toujours ouvert au fond du pot de fleurs; ils appellent l'eau, qui y arrive de toutes parts, et la portent au dehors, soit dans des puisards, soit dans des rigoles d'écoulement, quand la pente du terrain s'y prête. Ces tuyaux sont faits avec des machines qui en rendent la fabrication peu dispendieuse. On les choisit d'un diamètre plus ou moins large, on les pose dans des rigoles plus ou moins profondes, plus ou moins rapprochées, suivant la nature du sol et la quantité des eaux à écouler. L'ensemble du travail, pour achat et pose, coûte en moyenne 250 fr. par hectare; il est maintenant généralement reconnu que c'est de l'argent placé à 10 p. 100, et les fermiers ne refusent à peu près nulle part d'ajouter à leur bail 5 p. 100 par an de la somme consacrée par leurs propriétaires au drainage de leurs champs.

Les effets du drainage ont quelque chose de magique. Prairies et terres arables s'en trouvent également bien. Dans les prairies, les herbes marécageuses disparaissent, le foin devient à la fois plus abondant et de meilleure qualité; dans les terres arables, même les plus argi

.

1 L'expérience a révélé depuis quelque temps le danger du drainage des prairies dans les parties les moins humides de l'Angleterre; je

leuses, céréales et racines poussent plus vigoureuses et plus saines; il faut moins de semence pour plus de récolte. Le climat lui-même y gagne sensiblement; la santé des hommes devient meilleure, et, partout où un drainage énergique a été pratiqué, les brouillards de l'île brumeuse semblent moins épais et moins lourds. Il y a dix ans qu'on a parlé du drainage pour la première fois, et un million d'hectares au moins est aujourd'hui drainé; tout annonce que, d'ici à dix ans, l'Angleterre presque entière le sera. L'île semble sortir des eaux une seconde fois.

La seconde amélioration générale qui datera de ces dernières années, est un nouveau progrès dans l'emploi des machines, et en particulier de la vapeur. Avant 1848, très-peu de fermes possédaient une machine à vapeur; on peut affirmer encore que, dans dix ans, celles qui n'en auront pas seront l'exception. De tous côtés on voit dans les champs s'élever et fumer des cheminées. Ces machines servent à battre le blé, à hacher les fourrages et les racines, à broyer les céréales et les tourteaux, à élever et à répandre les eaux, à battre le beurre, etc.; leur chaleur n'est pas moins utilisée que leur force, et sert à préparer les aliments des hommes et des animaux. D'autres machines à vapeur mobiles se louent de ferme en ferme, comme un ouvrier, pour faire la grosse besogne. On a inventé de petits rails-ways portatifs dont on se sert pour conduire les fumiers dans les champs et pour 'rapporter les récoltes. Des machines à faucher, à faner,

mentionne ici ce fait exceptionnel pour mettre sur leurs gardes ceux qui s'occupent d'importer le drainage en France. On ne saurait prendre trop de précautions, quand il s'agit d'une innovation agricole.

à moissonner, à défoncer, sont à l'essai. On a même entrepris de labourer à la vapeur, et on ne désespère pas d'y réussir. On s'attache à fouiller le sol à des profondeurs inouïes jusqu'ici, afin de donner à la couche arable plus de puissance. Partout le génie mécanique cherche à transporter dans l'agriculture les prodiges qu'il à réalisés ailleurs.

Ces nouveaux procédés ne sont que des applications nouvelles d'anciens principes; mais voici qui est en opposition avec toutes les habitudes et qui rencontre plus de résistance. J'ai dit combien la nourriture des animaux au pâturage était estimée des cultivateurs anglais : l'école nouvelle supprime le pâturage du bétail et le remplace par la stabulation permanente; mais cette stabulation perfectionnée diffère autant de la stabulation imparfaite usitée sur le continent, que le pâturage cultivé différait du pâturage grossier de nos régions pauvres. Rien n'est plus hardi, plus ingénieux, plus caractéristique de l'esprit d'entreprise des Anglais, que le système actuel de stabulation, tel qu'il a été pratiqué d'abord dans la région argileuse par les novateurs, et qu'il tend à se répandre partout.

Qu'on se figure une étable parfaitement aérée, le plus souvent en planches à claire-voie, avec des nattes de paille qui s'élèvent ou s'abaissent à volonté pour défendre au besoin les animaux du vent, du soleil et de la pluie. Les boeufs, qui appartiennent en général à la race à courtes cornes dite de Durham, y sont enfermés, sans être attachés, dans des loges où ils vivent depuis leur naissance jusqu'à leur mort. Sous leurs pieds est un plancher percé de trous, qui laisse tomber leurs déjec

tions dans une fosse; auprès d'eux, une eau abondante dans des auges de pierre, et dans d'autres auges, de la nourriture à discrétion. Cette nourriture se compose, tantôt de racines coupées, de féveroles broyées, de tourteaux concassés, tantôt d'un mélange de foin et de paille hachés et d'orge moulu, le tout plus ou moins cuit dans de grandes cuves chauffées par la machine à vapeur, et fermenté pendant quelque temps dans des coffres fermés. Cette alimentation extraordinaire, dont l'aspect confond un agriculteur français, les fait grandir et engraisser avec une extrême rapidité. Les vaches laitières ellesmêmes peuvent être soumises à cette réclusion: on voit déjà des exemples de stabulation jusque dans les comtés les plus renommés par leurs laiteries, comme ceux de Chester et de Glocester; on les y nourrit au vert, et on redouble de soins pour que les étables soient parfaitement aérées, parfaitement éclairées, parfaitement propres, chaudes en hiver, fraîches en été, à l'abri de toutes les variations de température et de tout ce qui peut agiter et troubler les vaches, qui y vivent dans un bien-être perpétuel, extrêmement favorable à la sécrétion lactée.

Le fumier qui s'accumule dans la fosse n'est mêlé d'aucune espèce de litière; on a pensé qu'il était beaucoup plus profitable de faire manger la paille par les animaux, ce fumier est très-riche à cause de la quantité de matières contenues dans la nourriture donnée, et dont une partie n'est pas assimilée par la digestion, malgré tous les efforts faits pour les rendre essentiellement assimilables. On ne l'enlève que tous les trois mois, quand on a besoin de s'en servir; en attendant, il n'est ni lavé par la pluie, ni brûlé par le soleil, comme le sont trop

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