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était ici bas un bien véritable, accessible à la créature mortelle; de quelle nature était ce bien, quelles étaient les forces dont l'homme pouvait disposer pour s'en rendre maître.

Ce livre, en un mot, ne se propose que de résumer et d'éclaircir le travail intérieur qui s'est fait dans une intelligence longtemps incertaine, ballottée entre mille erreurs contradictoires, mais soutenue toujours par le désir de la justice travail qui s'opère aujourd'hui dans un grand nombre d'âmes inquiètes et qui tend à les élever, du fond des angoisses du doute ou des aridités de l'indifférence, jusqu'à une religieuse conception de la destinée humaine.

Le sentiment qui m'a constamment guidé à travers les obscurités de mon esprit et m'a conduit enfin à des conclusions sereines, c'est une confiance inaltérable en la noblesse de notre race. Pénétré de respect pour la nature humaine, j'ai tâché de trouver, en me plaçant à un point de vue purement humain, une règle exacte qui déterminât l'ensemble de nos rapports avec nous-mêmes, avec nos semblables,

avec la création tout entière*, et qui, se fondant sur nos instincts et sur nos facultés innées, devînt tout à la fois pour nous le devoir accompli, c'est-à-dire la vertu, et la satisfaction de nos véritables besoins, c'est-à-dire le bonheur.

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Je ne me flatte point de porter la conviction chez autrui, au degré où je l'ai acquise pour moi-même. Mais, en publiant cet Essai, j'ai présent à l'esprit l'opinion de Vauvenargues, qui dit : Si vous avez écrit quelque chose pour votre instruction et pour le soulagement de votre cœur, il y a grande apparence que vos réflexions seront encore utiles à beaucoup d'autres, car personne n'est seul dans son espèce. » Dussé-je, d'ailleurs, ne faire que rappeler quelques esprits d'élite à la méditation de ces hauts problèmes en réveillant de nobles curiosités assoupies, je ne croirais pas avoir vainement usé plusieurs années d'une existence

* Et nos rapports avec Dieu? dira-t-on. Les rapports de l'homme avec Dieu rentrent dans un ordre d'idées surnaturelles que je n'aborde point ici. Il convient à tout homme sensé de chercher pour lui-même et pour autrui la règle de conduite la meilleure en ce monde. Il n'appartient qu'aux révélateurs de lui enseigner ce qu'il doit faire pour en conquérir un autre.

que l'amour du vrai a tourmentée longuement et pacifiée enfin.

Je m'estimerais récompensé suffisamment, si j'obtenais, pour l'œuvre et pour l'auteur, ces sympathies honorables que l'on ne refuse point aux tentatives sincères et aux efforts persévérants, alors même qu'ils n'ont pas été couronnés de succès.

Herblay, 22 octobre 1846.

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Je l'ai senti tout d'abord, et chacun va le sentir avec moi, en essayant de me rendre compte des devoirs de l'homme, en cherchant à reconnaître les voies qui le conduisent au bonheur, je supposais implicitement sa liberté.

Fatalité et devoir sont deux termes qui s'excluent. Tout être qui va fatalement à sa fin n'a point à chercher sa route ni à scruter sa conscience. Pour lui, ni hésitation, ni erreur, ni regret, ni remords.

Tel n'est pas l'homme, cet investigateur

* Les notes indiquées par des chiffres se trouvent à la fin du volume.

jamais satisfait, dont la vie n'est qu'une interrogation ininterrompue, et que la mort surprend encore à douter.

Cependant, on ne saurait se le dissimuler, la liberté, bien que nécessaire pour expliquer et comprendre le mouvement irrégulier de la vie humaine, n'est point une vérité susceptible de démonstration rigoureuse. Elle ne porte pas le caractère de certitude d'un théorème de géométrie (1). La plupart des sectes religieuses et des écoles philosophiques se sont disputées, sans pouvoir s'entendre, sur son existence et son étendue. Mais la liberté, pour parler avec Bossuet, est une évidence de sentiment supérieure à toute argumentation. Qu'importe qu'une logique spécieuse la révoque en doute ou la nie, puisqu'elle ne saurait être infirmée un instant dans la pratique des choses? Toutes les institutions sociales supposent la liberté. Le plus opiniâtre sceptique réfléchit, hésite, se détermine, agit enfin comme un être qui se sent libre. Faut-il croire que c'est là une illusion de notre organisation imparfaite? Dirons-nous que notre instinct et le témoignage

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