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CHAPITRE XIV.

RAPPORTS DE L'HOMME

AVEC LA NATURE INFÉRIEURE.

« L'existence physique et morale de l'univers, quelle qu'en soit la cause première, tend vers une direction constante et déterminée, malgré l'influence des causes passagères qui la dérangent; et l'homme en se conformant à cette direction suprême et innée, au lieu de s'unir aux causes perturbatrices, au nombre desquelles il ne se range que trop souvent, surtout dans l'ordre moral, peut devenir, dans ses propres mains, un moyen énergique de développement et de perfectionnement général. » CABANIS.

Quelque effort que puisse faire l'homme pour s'isoler et abstraire sa personnalité de l'ensemble des êtres, il est incessamment rappelé au sentiment des lois qui l'y rattachent, et ramené,

par la force muette des choses, dans le cercle éternellement mouvant de causes et d'effets dont son apparition éphémère sur le globe terrestre n'occupe qu'un point insaisissable. La science, non plus que la philosophie, ne livrent encore jusqu'ici que des conjectures à notre impatience, quand elles tentent d'expliquer le mécanisme universel et le lien mystérieux qui joint le monde moral au monde physique; mais pourtant tout fait pressentir l'unité aux esprits supérieurs. Les recherches individuelles et les observations analytiques sur les lois de modalité qui régissent la substance tendent à se grouper, à s'engrener, et convergent vers une haute synthèse qui sera, selon toute apparence, et comme je le disais plus haut, la religion de l'avenir.

Les destinées du genre humain sont inséparablement liées aux révolutions de la planète qu'il habite; les sociétés se fondent et se développent en majeure partie suivant les nécessités de climat et la configuration du sol *. La vie

*M. de Humboldt caractérise ces rapports par le terme expressif d'individualité géographique.

de l'homme est assujettie aux influences élémentaires de tout ce qui l'environne. Formé d'un peu d'argile, nourri du suc des végétaux et des substances animales, modifiant perpétuellement par l'action de sa vie propre l'atmosphère qu'il respire et par laquelle il est modifié à son tour (47), foulant une terre qui s'assimile les ossements et les cendres de sa race, tour à tour jouet ou régulateur des énergies naturelles (48), affecté par elles jusque dans ses facultés animiques, demandant aux astres qu'il mesure le secret de sa destinée ou la direction de ses voies sur la mer sans rivages, tout dit à l'homme attentif, tout lui répète à chaque heure, à chaque minute, qu'un noeud indissoluble rattache l'une à l'autre les existences phénoménales engendrées par le Noumène éternel (49), et qu'une puissance souveraine emporte la totalité des êtres, dans un rhythme sacré, à travers l'espace incommensurable, vers de solidaires destinées (50).

Quand l'intelligence a seulement entrevu ce vaste système de rapports et cette suite ininterrompue de métamorphoses qui demeure

malheureusement pour le plus grand nombre une lettre morte* quand elle a surpris, même confusément, de lointains accords du vivant concert, il est impossible qu'elle ne s'éprenne point du désir d'y participer par un acte de volonté libre, en coopérant de tout son pouvoir à l'accomplissement des lois de beauté, de perpétuité, d'harmonie ("). Ce désir intellectuel est-il l'indice solliciteur d'un devoir à remplir? Trouverons-nous, en l'étudiant scrupuleusement, qu'il nous puisse guider avec certitude dans des rapports sans réciprocité, à travers ces régions descendantes de la vie qui nous demeurent presque aussi inabordables, quoique visibles, que les régions idéales où. notre imagination se plaît à rêver des êtres chimériques? Dans l'état présent de nos connaissances, loin de pouvoir résoudre cette question, j'aurais plutôt à me justifier d'avoir osé la poser, tant est petit le nombre des hommes dont les yeux se sont ouverts à la grande loi des analogies et qui comprennent,

* Il y a des gens qui disent la nature inanimée !

ou du moins pressentent, la solidarité des existences terrestres (52).

Essayons, du moins pour ceux-là, de soulever le problème.

L'homme, supérieur à tous les autres êtres du globe par la plénitude de liberté à laquelle la substance est parvenue en lui, conçoit aisément ses devoirs envers son semblable. Il les

précise et les définit sans peine, parceque la connaissance qu'il peut acquérir de sa nature individuelle le conduit à la connaissance de l'espèce, et que le sentiment de son propre bien lui révèle clairement ce que peut être le bien d'êtres congénères. Il n'en est plus de même lorsqu'il s'agit de ses rapports avec des êtres dans l'essence desquels il ne saurait pénétrer. Là où la liberté se manifeste encore à un degré apparent, chez les animaux par exemple, il se sent des affinités assez vives. d'organisation, de famille pour ainsi parler, d'où il pourrait inférer des devoirs; mais, descend-il à travers les trois règnes vers les êtres inorganisés, les analogies s'éloignent et s'effacent, et lorsqu'il arrive au dernier degré de

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