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devoirs envers lui-même. Il lui est enjoint par la loi de son être de respecter et d'accroître, s'il se peut, dans autrui ce qui constitue essentiellement la vie humaine. Nous devons toujours, autant qu'il dépendra de nous, affranchir notre semblable des entraves apportées à l'exercice de ses facultés et à la dignité de son existence, soit par les infirmités de sa nature, soit par des circonstances extérieures défavorables, soit par l'ignorance ou par l'esclavage, soit par la maladie ou la misère, soit par la superstition ou par le vice. Nous devons, dans l'ordre matériel, guider l'aveugle, porter le paralytique, délivrer le prisonnier, vêtir celui qui est nu, nourrir celui que presse la faim, abriter celui qui n'a point d'asile; et, dans l'ordre moral, enrichir le pauvre d'esprit, encourager le faible, ramener celui qui s'égare, rendre par le pardon à qui nous a offensé la liberté intérieure qu'étouffe le remords. Ce devoir se modifie et se règle dans la vie collective suivant la nature des rapports qu'engendre le commerce des hommes entre eux. Il y a supériorité, égalité ou infériorité (je me place ici au point de vue

absolu, indépendant des conditions sociales), selon que l'on entre en relation avec des êtres moins libres, aussi libres ou plus libres que soi, et ces relations diverses impliquent des devoirs divers.

Les rapports de supériorité imposent le devoir d'éducation ou d'initiation; c'est le devoir des parents envers leurs enfants, des maîtres envers leurs disciples, des souverains envers leurs sujets, de tous ceux enfin qui se trouvent placés vis-à-vis d'un certain nombre d'hommes dans des conditions d'autorité et de pouvoir. L'exercice de ce devoir est la plus belle prérogative de l'esprit humain. Répandre autour de soi et communiquer à ses semblables la vie morale ou la liberté, c'est une œuvre quasi divine et dont nul assurément ne se voudrait départir s'il en comprenait bien la sublime grandeur.

Dans les rapports d'égalité ou de fraternité intellectuelle il y a devoir d'aide mutuelle, réciprocité de conseil, de secours, pour s'affranchir des obstacles qui s'opposent au développement de la vie obstacles matériels, tels

que la tyrannie d'une passion, l'empire d'un vice, l'aveuglement causé par un préjugé, etc.

Dans les rapports d'infériorité, l'homme se trouve-t-il en présence d'êtres plus raisonnables, plus excellemment hommes que lui, il leur doit une déférence et une soumission, non point aveugles, mais fondées sur la certitude qu'il lui est utile de se laisser conduire vers les régions supérieures de la connaissance par ceux qui les habitent. Cette obéissance réfléchie et volontaire est un acte de liberté, non de servitude; cette autorité naturelle, légitime, paternelle selon l'esprit, est celle de Socrate sur Phédon, de Jésus sur Jean, de Mahomet sur Ali, etc.; elle a sa raison dans la grande loi des inégalités qui, dans l'ordre moral comme dans l'ordre physique, préside à toutes les harmonies de l'univers.

Tels sont les trois rapports essentiels de l'homme avec son semblable, abstraction faite des lois, des coutumes, des rangs marqués par les conventions sociales. L'État, qui ne se peut asseoir sur des abstractions, à dû éta

blir une hiérarchie factice mais déterminée, à

l'image de cette hiérarchie naturelle et occulte; il a créé des supérieurs, des égaux, des inférieurs devant la loi. Nous le suivrons plus tard dans les rapports établis par lui. Examinons en premier lieu la hiérarchie naturelle.

CHAPITRE XI.

RELATIONS DE SUPÉRIORITÉ,

DEVOIRS DE PATERNITÉ MORALE OU D'ÉDUCATION.

Personne ne peut être contraint par la force à suivre les voies de la béatitude. Des conseils fraternels et pieux, une bonne éducation et, avant tout, la libre possession de ses jugements, voilà les seuls moyens d'y conduire. » SPINOZA.

Faites silence; ici tout est sacré. En proie à un mal inconnu, la jeune épouse gît éplorée sur un lit de douleur. Une sueur froide mouille son front dont pas un pli n'offusque encore la virginale beauté; ses longs cheveux tombent en désordre sur sa poitrine haletante; de ra

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