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sive; on peut la croire affranchie du joug des passions, parce qu'elle reste à un degré inférieur de l'être, à l'état de vie végétative. L'homme apathique n'agit et ne pense pas, ou n'agit et ne pense que d'après autrui; il reste serf de la nécessité; l'opinion, l'autorité, la coutume, disposent de son existence.

Une telle infirmité ne saurait être combattue avec succès que dans l'enfance, où l'on peut encore aviver les sens et donner aux organes quelque énergie. Une fois la mollesse et l'apathie maîtresses de la constitution, le mal est sans remède; c'est à peine si celui qui en est atteint conserve assez de force pour l'apercevoir et le déplorer. Aux yeux de beaucoup de gens, il est vrai, cette disposition est plutôt recommandable que nuisible dans un état social où tout est prévu. L'individu y est dispensé de réfléchir et de délibérer, puisque le bien et le mal sont définis, enseignés, récompensés ou punis par la religion et la législation établies. Pauvre raisonnement et peu viril, en vérité! Obéir à la législation établie, se soumettre à la religion dominante, lorsqu'on en a

mesuré avec certitude l'iniquité ou l'erreur, c'est subir une oppression, quelquefois inévitable, jamais légitime; c'est faire acte de nécessité, non de liberté. S'il est possible de se soustraire à un joug tyrannique on est répréhensible de ne le pas tenter. Quiconque renonce volontairement à la liberté, après l'avoir connue, se rend coupable de suicide moral; il anéantit en lui le principe essentiel de la vie humaine; il renie son âme immortelle et va se mêler, se confondre avec la brute.

CHAPITRE IX.

DE L'AUTORITÉ.

« Il n'est pas permis à l'homme d'abdiquer, sous aucun prétexte, ce qui le fait homme. » COUSIN.

Aux temps de foi sociale et religieuse, à ces époques où la société tout entière est gouvernée, de son plein acquiescement, suivant un dogme révélé qui a inspiré le législateur et lui a fait asseoir l'État sur un principe unique, ce serait un travail oiseux que de chercher, en dehors de cette autorité véritablement souveraine, puisqu'elle l'est des cœurs et des esprits, s'il est dans la raison individuelle une

force morale qui suffise à diriger l'homme vers sa fin. Mais tel n'est point l'état de la société où nous vivons. Quelle que soit l'opinion de ceux qui me lisent sur la vitalité actuelle et l'avenir des croyances catholiques qui, d'accord avec le principe monarchique absolu, ont si longtemps gouverné la France, nul ne saurait contester, ce me semble, qu'un très-grand nombre aujourd'hui y demeure indifférent et, disons plus, s'y montre hostile. La réformation, le XVIIIe siècle, la révolution de 93 ont porté de rudes coups à ce grandiose édifice. Le dernier et le plus destructeur a été la scission complète de la société civile et de la communauté religieuse, d'où il résulte que de nos jours on peut être citoyen et chef de famille sans l'intervention du sacerdoce, et que la sanction du prêtre n'est plus nécessaire à la légalité d'aucun acte de la vie. Les institutions nouvelles en s'affranchissant de la tutelle sacerdotale, en se faisant athées, comme on l'a dit, n'ont pas su imprimer encore au mécanisme social une impulsion assez énergique pour entraîner vivement les volontés. Tout est

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