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CHAPITRE III.

INSTINCTS PRIMITIFS.

« La raison ne découvre rien de plus que ce à quoi nous pousse l'instinct, et qui est précisément ce pourquoi notre nature a été faite. »

JOUFFROY.

Nous venons de voir que la liberté se fondait sur la connaissance, et que la connaissance de soi était la plus essentielle à l'homme, parce qu'il trouve en elle la réunion de toutes les autres et le principe de ses devoirs. Mais l'étude que l'homme fait de lui-même est infructueuse et mêlée de beaucoup d'erreurs lors

qu'elle n'embrasse pas la totalité de son être.

Les psychologues et les physiologistes, en se livrant à l'observation exclusive des opérations de l'entendement ou à celle des fonctions animales, ne saisissent dans leur travail de décomposition qu'un fragment de vérité (18). A ces méthodes bornées l'identité du moi indivisible échappe. Le flot puissant de la vie traverse nos catégories et nos disciplines sans plus s'y arrêter que les vagues de la mer aux réseaux du pêcheur. L'être humain ne se laisse point partager ainsi. Quoique très - complexe dans son organisme, il est homogène dans son essence; l'action continue en lui de l'esprit sur le corps et du corps sur l'esprit (19) l'en avertit assez. A la mort seule appartient de dissoudre ce que la vie a voulu si mystérieusement confondre et unir. Étudions donc le phénomène dans son intégrité, et n'intervertissons point, dans nos observations, l'ordre où il se produit. Commençons par le commencement.

En remontant au moment de l'apparition de l'homme en ce monde, à ce moment où, à peine sorti des flancs de sa mère, la vie ne se révèle encore que par des mouvements automa

tiques, que voyons-nous, qu'entendons-nous? Des vagissements plaintifs, expression d'une sensation douloureuse causée par le contact de l'air atmosphérique qui frappe subitement ses organes délicats, jusque-là préservés; puis aussitôt l'impulsion qui pousse le nouveau-né sur le sein de la femme pour y chercher l'apaisement de sa première faim. Ces deux manifestations se rapportent à l'instinct de conservation ou d'égoïsme. Peu de jours après on verra l'enfant tourner ses regards vers les objets qui lui plaisent, leur sourire, tendre la main vers eux. Ce qui l'entraîne ainsi vers les formes extérieures, c'est l'instinct d'attrait ou de sympathie, magnétisme occulte, rayon voilé du grand foyer d'amour qui échauffe et anime l'univers. Ces deux tendances invincibles, inhérentes à la vie, sont le principe de toute activité. Favorisées ou réprimées, bien dirigées ou faussées, elles prennent tous les caractères, déterminent la nature des passions, des vices, des vertus; elles fécondent ou stérilisent les facultés.

L'étude de l'instinct d'égoïsme, nous fera

connaître ce que l'homme se doit à lui-même. Dans l'étude de l'instinct de sympathie nous découvrirons la raison de ses devoirs envers son semblable.

Le juste équilibre de ces deux forces observées aux premières lueurs de l'existence, et dont l'une nous pousse hors de nous, tandis que l'autre nous y ramène; dont l'une, pour me servir d'un terme scientifique, est centrifuge et l'autre centripète (20), composent cette vertu suprême de justice que l'on peut considérer comme la loi de gravitation de l'âme humaine, loi universelle, dont l'accomplissement volontaire est le devoir tout ensemble et le bonheur de son existence terrestre, et hors de laquelle il n'est pour elle que perturbation, erreur et souffrance.

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