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Qui oserait soutenir aujourd'hui que la disparition de l'échafaud laissera un vide funeste dans nos institutions? Croit-on vraiment encore à ce prétendu exemple, donné pour l'ordinaire clandestinement, dans le silence et l'obscurité? suppose-t-on qu'il retienne sur la pente cet homme dangereux à qui l'idée de la mort est familière comme celle du crime (129)? cet être aux instincts brutaux, qui n'a rien d'humain? cet autre qu'exalte un fanatisme aveugle ou qu'exaspèrent des maux sans espoir? et celui qu'une horrible monomanie entraîne irrésistiblement à l'homicide, sera-t-il frappé de stupeur et détourné de sa voie fatale par la vue du supplice? Ces terreurs de l'échafaud n'épouvantent que les esprits suffisamment préservés par leur délicatesse; les autres ne sont aucunement atteints. Il peut arriver même que le remords ou seulement la crainte d'avoir frappé un innocent, d'avoir prononcé une sentence injuste, irrévocable, devienne pour le juge intègre un supplice latent, toujours renouvelé, une peine plus longtemps et plus cruellement sentie par sa vertu scrupuleuse

que la mort instantanée subie avec le courage de la brute par un criminel endurci, ou supportée par une âme forte qu'exalte le témoignage intérieur d'une conscience sans reproche (130).

Il en est bien temps, supprimons ces moyens barbares et inefficaces. Appelons à notre aide des moyens plus dignes d'un âge éclairé et mieux en harmonie avec le principe de liberté sur lequel s'essayent nos règlements politiques. Que l'hygiène du corps et l'hygiène de l'âme préviennent les vices; donnons à tous le pain quotidien; sachons rendre le travail productif, l'oisiveté déshonorante; ne poussons pas les passions naturelles dans des voies sans issues; n'élevons plus des obstacles insurmontables à l'encontre d'instincts plus insurmontables encore; ne multiplions pas, par nos lois imprudentes, les tentations et les occasions du crime; éclairons la raison des masses; rendons la vertu plus facile aux cœurs honnêtes; et alors nous verrons les intelligences dépravées réduites à une minorité si petite, les monstruosités de nature s'amoindrir à des propor

tions telles qu'il sera facile, sans recourir au bourreau (13) ni au boulet, de les retrancher

de la société libre en la préservant de leurs forfaits (132).

CHAPITRE XXII.

ÉDUCATION PUBLIQUE.

"

Depuis les siècles les plus vertueux et les plus sages jusqu'à nos jours on s'est plaint que les républiques ne s'occupaient que trop des lois et pas assez de l'éducation. »

BACON.

Longtemps on a cherché, et on se demande encore, si l'enfant appartient à l'État ou bien à la famille, difficulté que je tranche en disant : l'enfant n'appartient ni à l'un ni à l'autre. C'est une notion radicalement fausse que celle de possession appliquée à la personne humaine. Un être de condition libre, tel que l'homme, porte au front dès sa naissance un caractère indélébile et sacré. Sa noble tête n'est

pas faite

pour

le joug, et si la parole lui a été donnée, ç'a été pour qu'elle devînt l'organe d'une liberté qui devait éloquemment protester contre toute tyrannie, même contre la tyrannie voilée de l'amour paternel. Sa faiblesse en ces premières années fait appel à la sollicitude, à la protection, à l'aide de tous ses semblables, surtout de ses proches, mais ne le livre point, en droit, à leur bon plaisir. Il ne peut être question pour l'État et pour la famille que de tomber d'accord sur les influences légitimement constituées qui seront les plus favorables au prompt et solide accroissement des forces de l'enfant; il y a, comme je l'ai exposé ailleurs, pour l'un et pour l'autre, cette obligation de la puissance envers l'impuissance qui n'implique aucune domination; il y a un devoir à remplir, nullement un droit à faire valoir.

Je n'ignore pas combien, en disant cela, je heurte les opinions reçues, mais il me faut cependant aller plus loin encore et blesser des illusions chères en affirmant aux parents que l'enfant n'est point à sa place, ni ne se trouve point heureux dans une vie exclusivement cir

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