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marché droit quelques momens. Ces prodiges étaient même juridiquement attestés par une foule de témoins qui les avaient presque vus, parce qu'ils étaient venus dans l'efpérance de les voir. Legouvernement abandonna pendant un mois cette maladie épidémique à elle-même. Mais le concours augmentait; les miracles redoublaient; et il fallut enfin fermer le cimetière, et y mettre une garde. Alors les mêmes enthoufiaftes allèrent faire leurs miracles dans les maifons. Ce tombeau du diacre Pâris fut en effet le tombeau du jansénisme, dans l'efprit de tous les honnêtes gens. Ces farces auraient eu des fuites férieufes dans des temps moins éclairés. Il femblait que ceux qui les protégéaient ignoraffent à quel fiècle ils avaient à faire.

La fuperftition alla fi loin, qu'un confeiller du parlement, nommé Carré, et furnommé Montgeron, eut la démence de préfenter au roi, en 1736, un recueil de tous ces prodiges, munis d'un nombre confidérable d'atteftations. Cet homme infenfé, organe et victime d'insenfés, dit dans fon mémoire au roi, qu'il faut croire aux témoins qui fe font égorger pour foutenir leurs témoignages. Si fon livre fubfiftait un jour, et que les autres fuffent perdus, la poftérité croirait que notre fiècle a été un temps de barbarie.

Décaden

Ces extravagances ont été en France les derniers foupirs d'une fecte qui, n'étant plus foutenue par des Arnauld, des Pascal et des Nicole, et n'ayant plus que des convulfionnaires, eft tombée dans l'aviliffement; on n'entendrait plus parler de ces querelles qui déshonorent la raison et font tort à la religion, s'il ne fe trouvait de temps en temps quelques efprits remuans, qui cherchent dans ces cendres éteintes quelques reftes du feu dont ils effayent de faire un incendie. Si jamais ils y réuffiffent, la difpute du molinifme et du jansénisme ne fera plus l'objet des troubles. Ce qui eft devenu ridicule ne peut plus être dangereux. La querelle changera de nature. Les hommes ne manquent pas de prétextes pour fe nuire, quand ils n'en ont plus de cause.

La religion peut encore aiguifer les poignards. Il y a toujours dans la nation un peuple qui n'a nul commerce avec les honnêtes gens, qui n'eft pas du fiècle, qui eft inacceffible aux progrès de la raison, et fur qui l'atrocité du fanatifme conferve fon empire, comme certaines maladies qui n'attaquent que la plus vile populace.

Les jéfuites femblèrent entraînés dans la ce des chute du janfénifme; leurs armes émouffées jéfuites. n'avaient plus d'adversaires à combattre : ils perdirent à la cour le crédit dont le Tellier avait

abufé; leur Journal de Trévoux ne leur concilia ni l'eftime ni l'amitié des gens de lettres. Les évêques fur lefquels ils avaient dominé, les confondirent avec les autres religieux; et ceux-ci, ayant été abaiffés par eux, les rabaifsèrent à leur tour. Les parlemens leur firent fentir plus d'une fois ce qu'ils penfaient d'eux, en condamnant quelques-uns de leurs écrits qu'on aurait pu oublier. L'univerfité qui commençait alors à faire de bonnes études dans la littérature, et à donner une excellente éducation, leur enleva une grande partie de la jeunesse; et ils attendirent, pour reprendre leur afcendant, que le temps leur fournît des hommes de génie, et des conjonctures favorables; mais ils furent bien trompés dans leurs espérances: leur chute, l'abolition de leur ordre en France, leur banniffement d'Efpagne, de Portugal, de Naples, a fait voir enfin combien Louis XIV avait eu tort de leur donner fa confiance.

Il ferait très-utile à ceux qui font entêtés de toutes ces difputes, de jeter les yeux fur l'hiftoire générale du monde ; car en obfervant tant de nations, tant de mœurs, tant de religions différentes, on voit le peu de figure que font fur la terre un molinifte et un janféniste. On rougit alors de fa frénéfie pour un parti qui fe perd dans la foule et dans l'immenfité des chofes.

Madame

travagan

te.

CHAPITRE XXXVIII.

Du quiétifme.

Au milieu des factions du calvinisme et des

querelles du janfénisme, il y eut encore une divifion en France fur le quiétisme. C'était une fuite malheureufe des progrès de l'efprit humain dans le fiècle de Louis XIV, que l'on s'efforçât de paffer prefque en tout les bornes prefcrites à nos connaissances, ou plutôt c'était une preuve qu'on n'avait pas fait encore affez de progrès.

La difpute du quiétifme eft une de ces Guyon ex- intempérances d'efprit et de ces fubtilités théologiques, qui n'aurait laiffé aucune trace dans la mémoire des hommes, fans les noms des deux illuftres rivaux qui combattirent. Une femme fans crédit, fans véritable esprit, et qui n'avait qu'une imagination échauffée ; mit aux mains les deux plus grands hommes qui fuffent alors dans l'Eglife. Son nom était Bouvières de la Mothe. Sa famille était originaire de Montargis. Elle avait époufé le fils de Guyon, entrepreneur du canal de Briare. Devenue veuve dans une affez grande jeuneffe, avec du bien, de la beauté et un esprit fait pour le monde, elle s'entêta de ce qu'on

directeur de la

Guyon.

appelle la fpiritualité. Un barnabite du pays La Combe d'Anneci, près de Genève, nommé La Combe, fut fon directeur. Cet homme connu par un mélange affez ordinaire de paffions et de religion, et qui eft mort fou, plongea l'esprit de fa pénitente dans des rêveries mystiques dont elle était déjà atteinte. L'envie d'être une Ste Thérèse en France ne lui permit pas de voir combien le génie français eft oppofé au génie espagnol, et la fit aller beaucoup plus loin que Ste Thérèfe. L'ambition d'avoir des disciples, la plus forte peut-être de toutes les ambitions, s'empara toute entière de fon cœur.

Son directeur La Combe la conduifit en Savoie dans fon petit pays d'Anneci, où l'évêque titulaire de Genève fait fa réfidence. C'était déjà une très-grande indécence à un moine de conduire une jeune veuve hors de fa patrie; mais c'eft ainfi qu'en ont ufé prefque tous ceux qui ont voulu établir une fecte ; ils traînent presque toujours des femmes avec eux. La jeune veuve fe donna d'abord quelque autorité dans Anneci par sa profusion en aumônes. Elle tint des conférences. Elle prêchait le renoncement entier à foi-même, le filence de l'ame, l'anéantissement de toutes les puiffances, le culte intérieur, l'amour pur et défintéressé qui n'est ni avili par la crainte, ni animé de l'espoir des récompenfes.

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