Page images
PDF
EPUB
[merged small][merged small][ocr errors]

On doit ces progrès à quelques fages, à quelques génies répandus en petit nombre dans quelques parties de l'Europe, prefque tous long-temps obfcurs, et fouvent perfécutés : ils ont éclairé et confolé la terre, pendant que les la défolaient. On peut guerres trouver ailleurs des liftes de tous ceux qui ont illuftré l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie. Un étranger ferait peut-être trop peu propre à apprécier le mérite de tous ces hommes illuftres. Il fuffit ici d'avoir fait voir que dans le fiècle paffé les hommes ont acquis plus de lumières d'un bout de l'Europe à l'autre que dans tous les âges précédens.

CHAPITRE X X X V.

Affaires ecclefiafliques. Difputes mémorables,

DEs trois ordres de l'Etat, le moins nom

ES

breux eft l'Eglife; et ce n'eft que dans le royaume de France que le clergé eft devenu un ordre de l'Etat. C'eft une chofe auffi vraie qu'étonnante, on l'a déjà dit, et rien ne démontre plus le pouvoir de la coutume. Le clergé donc, reconnu pour ordre de l'Etat, eft

Siècle de Louis XIV. Tome III. * Y

Evêques non - pré

ties.

celui qui a toujours exigé du fouverain la conduite la plus délicate et la plus ménagée. Conferver à la fois l'union avec le fiége de Rome, et foutenir les libertés de l'Eglife gallicane, qui font les droits de l'ancienne Eglise; savoir faire obéir les évêques comme fujets, fans toucher aux droits de l'épifcopat; les foumettre en beaucoup de chofes à la juridiction féculière, et les laiffer juges en d'autres; les faire contribuer aux befoins de l'Etat, et ne pas choquer leurs priviléges : tout cela demande un mélange de dextérité et de fermeté que Louis XIV eut prefque toujours.

Le clergé en France fut remis peu à peu dans un ordre et dans une décence dont les guerres civiles et la licence des temps l'avaient écarté. Le roi ne fouffrit plus enfin, ni que les féculiers poffédaffent des bénéfices, sous le nom de confidentiaires, ni que ceux qui n'étaient pas prêtres, euffent des évêchés, comme le cardinal Mazarin, qui avait poffédé l'évêché de Metz, n'étant pas même fousdiacre, et le duc de Verneuil qui en avait auffi joui étant féculier.

... Ce que payait au roi le clergé de France

[ocr errors]

et des villes conquifes, allait, année commune, Don à environ deux millions cinq cents mille gratuit. livres; et depuis, la valeur des espèces ayant

augmenté numériquement, ils ont fecouru

l'Etat d'environ quatre millions par année, fous le nom de décimes, de fubvention extraordinaire, de don gratuit. Ce mot et ce privilége de don gratuit fe font confervés comme une trace de l'ancien ufage où étaient tous les feigneurs de fiefs, d'accorder des dons gratuits aux rois dans les befoins de l'Etat. Les évêques et les abbés étant feigneurs de fiefs, par un ancien abus, ne devaient que des foldats dans le temps de l'anarchie féodale. les rois alors n'avaient que leurs domaines comme les autres feigneurs. Lorsque tout changea depuis, le clergé ne changea pas; il conferva l'usage d'aider l'Etat par des dons gratuits. (1)

(1) En France le clergé eft exempt, comme la nobleffe, des tailles et de quelques-uns des droits d'aides. La noblesse était cenfée remplacer les impôts par fon service perfonnel, et le clergé par fes prières. Pendant quelque temps on demanda au pape la permiffion d'impofer des décimes fur le clergé, toujours fous prétexte de combattre les infidèles ou les hérétiques. Enfin l'ufage de s'adreffer au clergé affeinblé, et de fe paffer du confentement de Rome, a prévalu: mais pour ménager Rome qui excommuniait, il n'y a pas encore long-temps, chaque jeudi faint, les fouverains qui obligeaient le clergé à contribuer aux charges publiques, on donna aux décimes le nom de don gratuit. Lorsqu'à la fin du règne de Louis XIV on ajouta la capitation et le dixième aux impôts déjà trop onéreux, on n'ofa établir ces nouvelles taxes d'une manière rigoureuse; et le clergé obtint facilement d'être exempt de ces impôts, en payant des dons gratuits plus confidérables. Il eft donc évident qu'il ne doit point ce dernier privilége aux anciens ufages de la nation. Puifque, jufqu'à ce moment, il n'avait joui que des priviléges de la nobleffe, et que la nobleffe a payé ces nouveaux impôts,

Richeffes du clergé.

A cette ancienne coutume qu'un corps qui s'affemble fouvent conferve, et qu'un corps qui ne s'assemble point perd nécessairement, fe joint l'immunité toujours réclamée par l'Eglife, et cette maxime, que fon bien eft le bien des pauvres non qu'elle prétende ne devoir rien à l'Etat dont elle tient tout; car le royaume, quand il a des befoins, eft le premier pauvre : mais elle allègue pour elle le droit de ne donner que des fecours volontaires; et Louis XIV exigea toujours ces fecours, de manière à n'être pas refufé.

On s'étonne dans l'Europe et en France que le clergé paye fi peu; on se figure qu'il fe jouit du tiers du royaume. S'il poffédait ce tiers, il eft indubitable qu'il devrait payer le tiers des charges, ce qui fe monterait, année commune, à plus de cinquante millions,

Cette exemption eft donc une pure grâce accordée par Louis XIV; grâce qui eft une injuftice à l'égard des citoyens; grâce que ni le temps, ni aucune affemblée nationale n'ont confacrée. Nos fouverains, mieux inftruits de leurs droits et de ceux de leurs peuples, fentiront, fans doute, un jour que leur intérêt et la juftice exigent également de foumettre aux taxes les biens du clergé, dans la proportion qu'ont ces biens avec ceux du refte de la nation; et qu'en général tout privilége, en matière d'impôt, eft une véritable injuftice, depuis que la conftitution militaire ayant changé, il n'existe plus de fervice perfonnel gratuit, et que les efprits s'étant éclairés, on fait que ce ne font point les proceffions des moines, mais les évolutions des foldats qui décident du fuccès des batailles.

indépendamment des droits fur les confommations qu'il paye comme les autres sujets; mais on fe fait des idées vagues et des préjugés fur tout.

Il eft incontestable que l'Eglife de France eft de toutes les Eglifes catholiques celle qui a le moins accumulé de richeffes. Non-feulement il n'y a point d'évêque qui fe foit emparé, comme celui de Rome, d'une grande fouveraineté, mais il n'y a point d'abbé qui jouiffe des droits régaliens, comme l'abbé du Mont Caffin, et les abbés d'Allemagne. En général, les évêchés de France ne font pas d'un revenu trop immenfe. Ceux de Strafbourg et de Cambrai font les plus forts; mais c'eft qu'ils appartenaient originairement à l'Allemagne, et que l'Eglife d'Allemagne était beaucoup plus riche que l'Empire.

Giannone, dans fon hiftoire de Naples, Livre II, affure que les eccléfiaftiques ont les deux tiers chap. 6. du revenu du pays. Cet abus énorme n'afflige point la France. On dit que l'Eglise possède le tiers du royaume, comme on dit au hasard qu'il y a un million d'habitans dans Paris. Si on fe donnait feulement la peine de fupputer le revenu des évêchés, on verrait, par le prix des baux faits, il y a environ cinquante ans, que tous les évêchés n'étaient évalués alors que fur le pied d'un revenu annuel de

« PreviousContinue »