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SCÈNE XIV

MAGDELON.

Que veut donc dire ceci?

JODELET.

C'est une gageure.

CATHOS.

Quoi! vous laisser battre de la sorte!

MASCARILLE.

Mon Dieu! je n'ai pas voulu faire semblant de rien; car je suis violent, et je me serois emporté.

MAGDELON.

Endurer un affront comme celui-là, en notre présence!

MASCARILLE.

Ce n'est rien ne laissons pas d'achever. Nous nous connoissons il y a longtemps; et entre amis, on ne va pas se piquer pour si peu de chose.

SCÈNE XV

LA GRANGE.

Ma foi! marauds, vous ne vous rirez pas de nous, je vous promets. Entrez, vous autres.

MAGDELON.

Quelle est donc cette audace, de venir nous troubler de la sorte dans notre maison?

DU CROISY.

Comment! Mesdames, nous endurerons que nos laquais soient mieux reçus que nous; qu'ils viennent vous faire l'amour à nos dépens, et vous donnent le bal?

Vos laquais?

MAGDELON

LA GRANGE

Oui, nos laquais et cela n'est ni beau ni honnête de nous les débaucher comme vous faites.

O Ciel! quelle insolence!

MAGDELON.

LA GRANGE.

Mais ils n'auront pas l'avantage de se servir de nos habits pour vous donner dans la vue; et si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi! pour leurs beaux yeux. Vite, qu'on les dépouille sur-le-champ.

Adieu notre braverie.

JODELET.

MASCARILLE.

Voilà le marquisat et la vicomté à bas.

DU CROISY.

Ah! ah! coquins! vous avez l'audace d'aller sur nos brisées! Vous irez chercher autre part de quoi vous rendre agréables aux yeux de vos belles, je vous en assure.

LA GRANGE.

C'est trop que de nous supplanter, et de nous supplanter avec nos propres habits.

MASCARILLE.

O Fortune, quelle est ton inconstance!

DU CROISY.

Vite, qu'on leur ôte jusqu'à la moindre chose.

LA GRANGE.

Qu'on emporte toutes ces hardes, dépêchez. Maintenant, Mesdames, en l'état qu'ils sont, vous pouvez continuer vos amours avec eux tant qu'il vous plaira; nous vous laissons toute sorte de liberté pour cela, et nous vous protestons, Monsieur et moi, que nous n'en serons aucunement jaloux.

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Qu'est-ce donc que ceci? Qui nous payera, nous autres?

MASCARILLE.

Demandez à Monsieur le Vicomte.

VIOLONS, au vicomte.

Qui est-ce qui nous donnera de l'argent?

JODELET.

Demandez à Monsieur le Marquis.

SCÈNE XVI

GORGIBUS.

Ah! coquines que vous êtes, vous nous mettez dans de beaux draps blancs, à ce que je vois; et je viens d'apprendre de belles affaires, vraiment, de ces Messieurs qui sortent.

MAGDELON.

Ah! mon père, c'est une pièce sanglante qu'ils nous ont faite!

GORGIBUS.

Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet de votre impertinence, infâmes! Ils se sont ressentis du traitement que vous leur avez fait; et cependant, malheureux que je suis, il faut que je boive l'affront.

MAGDELON.

Ah! je jure que nous en serons vengées, ou que je mourrai en la peine. Et vous, marauds, osez-vous vous tenir ici après votre insolence?

MASCARILLE.

Traiter comme cela un marquis! Voilà ce que c'est que du monde! la moindre disgrâce nous fait mépriser de ceux qui nous chérissoient. Allons, camarade, allons chercher fortune autre part; je vois bien qu'on n'aime ici que la vaine apparence, et qu'on n'y considère point la vertu toute nue. (Ils sortent tous deux.)

SCÈNE XVII

VIOLONS.

Monsieur, nous entendons que vous

défaut, pour ce que nous avons joué ici.

nous contentiez à leur

GORGIBUS, les battant.

Oui, oui, je vous vais contenter, et voici la monnoie dont je vous veux payer. Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant; nous allons servir de fable et de risée à tout le monde, et voilà ce que vous vous êtes attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines; allez vous cacher pour jamais. (Seul.) Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes billevesées, pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons, sonnets et sonnettes, puissiez-vous être à tous les diables!

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Sous quel astre, bon Dieu, faut-il que je sois né,
Pour être de Fâcheux toujours assassiné!

Il semble que partout le sort me les adresse,
Et j'en vois chaque jour quel que nouvelle espèce;
Mais il n'est rien d'égal au Fâcheux d'aujourd'hui;
J'ai cru n'ètre jamais débarrassé de lui,

Et cent fois j'ai maudit cette innocente envie
Qui m'a pris à diner de voir la comédie,
Où, pensant m'égayer, j'ai misérablement
Trouvé de mes péchés le rude châtiment.
Il faut que je te fasse un récit de l'affaire,
Car je m'en sens encore tout ému de colère.
J'étois sur le théâtre en humeur d'écouter
La pièce, qu'à plusieurs j'avois ouï vanter;
Les acteurs commençoient, chacun prêtoit silence,
Lorsque d'un air bruyant et plein d'extravagance,
Un homme à grands canons est entré brusquement
En criant: « Holà! ho! un siège promptement ! »

MOLIÈRE.

Et, de son grand fracas surprenant l'assemblée
Dans le plus bel endroit a la pièce troublée.
Hé! mon Dieu! nos François, si souvent redressés,
Ne prendront-ils jamais un air de gens sensés,
Ai-je dit, et faut-il sur nos défauts extrêmes
Qu'en théâtre public nous nous jouions nous-mêmes,
Et confirmions ainsi, par des éclats de fous,
Ce que chez nos voisins on dit partout de nous?
Tandis que là-dessus je haussois les épaules,
Les acteurs ont voulu continuer leurs rôles;
Mais l'homme pour s'asseoir a fait nouveau fracas,
Et traversant encor le théâtre à grands pas,
Bien que dans les côtés il pût être à son aise,
Au milieu du devant il a planté sa chaise,
Et de son large dos morguant les spectateurs,
Aux trois quarts du parterre a caché les acteurs1.
Un bruit s'est élevé, dont un autre eût eu honte;
Mais lui, ferme et constant, n'en a fait aucun compte,
Et se seroit tenu comme il s'étoit posé,

Si, pour mon infortune, il ne m'eût avisé.

<< Ah! marquis! m'a-t-il dit, prenant près de moi place,
Comment te portes-tu? Souffre que je t'embrasse. »
Au visage, sur l'heure, un rouge m'est monté,

Que l'on me vit connu d'un pareil éventé.

Je l'étois peu pourtant, mais on en voit paroître,
De ces gens qui de rien veulent fort vous connoître,
Dont il faut au salut les baisers essuyer,
Et qui sont familiers jusqu'à vous tutoyer.
Il m'a fait à l'abord cent questions frivoles,
Plus haut que les acteurs élevant ses paroles.
Chacun le maudissoit; et moi, pour l'arrêter:

« Je serois, ai-je dit, bien aise d'écouter.

Tu n'as point vu ceci, marquis? Ah! Dieu me damne!

Je le trouve assez drôle, et je n'y suis pas âne;

Je sais par quelles lois un ouvrage est parfait,

Et Corneille me vient lire tout ce qu'il fait. >>
Là-dessus de la pièce il m'a fait un sommaire,

1. Ce singulier usage de mettre des sièges à droite et à gauche sur la scène ne cessa qu'en 1759. Ce fut le comte de Lauraguais, depuis duc de Brancas, qui obtint cette suppression en indemnisant les comédiens.

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