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Je me garderai bien de vouloir qu'on le casse :
On y voit trop à plein le bon droit maltraité,
Et je veux qu'il demeure à la postérité

Comme une marque insigne, un fameux témoignage
De la méchanceté des hommes de notre âge.

Ce sont vingt mille francs qu'il m'en pourra coûter; Mais, pour vingt mille francs, j'aurai droit de pester Contre l'iniquité de la nature humaine,

Et de nourrir pour elle une immortelle haine.

Mais enfin....

PHILINTE.

ALCESTE.

Mais enfin, vos soins sont superflus: Que pouvez-vous, Monsieur, me dire là-dessus? Aurez-vous bien le front de me vouloir en face Excuser les horreurs de tout ce qui se passe?

PHILINTE.

Non je tombe d'accord de tout ce qu'il vous plaît:
Tout marche par cabale et par pur intérêt;
Ce n'est plus que la ruse aujourd'hui qui l'emporte,
Et les hommes devroient être faits d'autre sorte.
Mais est-ce une raison que leur peu d'équité,
Pour vouloir se tirer de leur société?

Tous ces défauts humains nous donnent dans la vie
Des moyens d'exercer notre philosophie :

C'est le plus bel emploi que trouve la vertu;

Et, si de probité tout étoit revêtu,

Si tous les cœurs étoient francs, justes et dociles,
La plupart des vertus nous seroient inutiles,
Puisqu'on en met l'usage à pouvoir sans ennui
Supporter, dans nos droits, l'injustice d'autrui ;
Et de même qu'un cœur d'une vertu profonde....

ALCESTE.

Je sais que vous parlez, Monsieur, le mieux du monde;
En beaux raisonnements vous abondez toujours;
Mais vous perdez le temps et tous vos beaux discours.
La raison, pour mon bien, veut que je me retire:

Je n'ai point sur ma langue un assez grand empire;

De ce que je dirois je ne répondrois pas,

Et je me jetterois cent choses sur les bras.

Laissez-moi, sans dispute, attendre Célimène :
Il faut qu'elle consente au dessein qui m'amène ;
Je vais voir si son cœur a de l'amour pour moi,
Et c'est ce moment-ci qui doit m'en faire foi.

PHILINTE.

Montons chez Éliante, attendant sa venue.

ALCESTE.

Non de trop de souci je me sens l'âme émue.

:

Allez-vous-en la voir, et me laissez enfin

Dans ce petit coin sombre, avec mon noir chagrin.

PHILINTE.

C'est une compagnie étrange pour attendre,
Et je vais obliger Éliante à descendre.

SCÈNE II

ORONTE.

Oui, c'est à vous de voir si par des nœuds si doux,
Madame, vous voulez m'attacher tout à vous.
Il me faut de votre âme une pleine assurance:
Un amant là-dessus n'aime point qu'on balance.
Si l'ardeur de mes feux a pu vous émouvoir,
Vous ne devez point feindre à me le faire voir;
Et la preuve, après tout, que je vous en demande,
C'est de ne plus souffrir qu'Alceste vous prétende,
De le sacrifier, Madame, à mon amour,

Et de chez vous enfin le bannir dès ce jour.
CÉLIMÈNE.

Mais quel sujet si grand contre lui vous irrite,
Vous à qui j'ai tant vu parler de son mérite?

ORONTE.

Madame, il ne faut point ces éclaircissements;
Il s'agit de savoir quels sont vos sentiments.
Choisissez, s'il vous plaît, de garder l'un ou l'autre :
Ma résolution n'attend rien que la vôtre.

ALCESTE, sortant du coin où il étoit.

Oui, Monsieur a raison; Madame, il faut choisir,
Et sa demande ici s'accorde à mon desir.
Pareille ardeur me presse, et même soin m'amène;

Mon amour veut du vôtre une marque certaine,
Les choses ne sont plus pour trainer en longueur,
Et voici le moment d'expliquer votre cœur.

ORONTE.

Je ne veux point, Monsieur, d'une flamme importune Troubler aucunement votre bonne fortune.

ALCESTE.

Je ne veux point, Monsieur, jaloux ou non jaloux,
Partager de son cœur rien du tout avec vous.

ORONTE.

Si votre amour au mien lui semble préférable....

ALCESTE.

Si du moindre penchant elle est pour vous capable....

ORONTE.

Je jure de n'y rien prétendre désormais.

ALCESTE.

Je jure hautement de ne la voir jamais.

ORONTE.

Madame, c'est à vous de parler sans contrainte.

ALCESTE.

Madame, vous pouvez vous expliquer sans crainte.

ORONTE.

Vous n'avez qu'à nous dire où s'attachent vos vœux.

ALCESTE.

Vous n'avez qu'à trancher, et choisir de nous deux.

ORONTE.

Quoi? sur un pareil choix vous semblez être en peine!

ALCESTE.

Quoi? votre âme balance et paroît incertaine!

CÉLIMÈNE.

Mon Dieu! que cette instance est là hors de saison,
Et que vous témoignez tous deux peu de raison!
Je sais prendre parti sur cette préférence,
Et ce n'est pas mon cœur maintenant qui balance :
Il n'est point suspendu, sans doute, entre vous deux,
Et rien n'est si tòt fait que le choix de nos vœux.
Mais je souffre, à vrai dire, une gêne trop forte
A prononcer en face un aveu de la sorte :
Je trouve que ces mots qui sont désobligeants
Ne se doivent point dire en présence des gens;

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Qu'un cœur de son penchant donne assez de lumière, Sans qu'on nous fasse aller jusqu'à rompre en visière ; Et qu'il suffit enfin que de plus doux témoins

Instruisent un amant du malheur de ses soins.

ORONTE.

Non, non, un franc aveu n'a rien que j'appréhende :
J'y consens pour ma part.

ALCESTE.

Et moi, je le demande :
C'est son éclat surtout qu'ici j'ose exiger,
Et je ne prétends point vous voir rien ménager.
Conserver tout le monde est votre grande étude;
Mais plus d'amusement, et plus d'incertitude:
Il faut vous expliquer nettement là-dessus,
Ou bien pour un arrêt je prends votre refus.
Je saurai, de ma part, expliquer ce silence,
Et me tiendrai pour dit tout le mal que j'en pense.

ORONTE.

Je vous sais fort bon gré, Monsieur, de ce courroux,
Et je lui dis ici même chose que vous.

CÉLIMÈNE.

Que vous me fatiguez avec un tel caprice!
Ce que vous demandez a-t-il de la justice?
Et ne vous dis-je pas quel motif me retient?
J'en vais prendre pour juge Éliante qui vient.

SCÈNE III

CÉLIMÈNE.

Je me vois, ma cousine, ici persécutée

Par des gens dont l'humeur y paroît concertée.
Ils veulent l'un et l'autre, avec même chaleur,

Que je prononce entre eux le choix que fait mon cœur,
Et que, par un arrêt qu'en face il me faut rendre,

Je défende à l'un d'eux tous les soins qu'il peut prendre. Dites-moi si jamais cela se fait ainsi.

ÉLIANTE.

N'allez point là-dessus me consulter ici :
Peut-être y pourriez-vous être mal adressée,

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