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avoir honte, avoir quelque chose faite, et en moins de mots, avoir fait.

De plus, les homes réalisent leurs abstractions; ils en parlent par imitation, come ils parlent des objets réels: ainsi ils se sont servis du mot avoir en parlant de choses inanimées et de choses abstraites. On dit cette ville a deux lieues de tour, cet ouvrage a des défauts; les passions ont leur usage; il a de l'esprit, il a de la vertu : et ensuite par imitation et par abus, il a aimé, il a lu, etc.

Remarquez en passant que le verbe a est alors au présent, et que la signification du prétérit n'est que dans le supin ou participe.

On a fait aussi du mot il un terme abstrait, qui représente une idée générale, l'être en général; il y a des homes qui disent, illud quod est, ibi habet hómines qui dicunt : dans la bone latinité on prend un autre tour, come nous l'avons remarqué ailleurs.

Notre il dans ces façons de parler, répond au T. Liv. L. res des Latins: Própiùs metum res fuerat, la chose avoit été proche de la crainte : c'est

1. n. 25.

à-dire, il y avoit eu sujet de craindre. Res ita se habet, il est ainsi. Res tua ágitur, il s'agit de vos intérêts, etc.

Ce n'est pas seulement la propriété d'avoir, qu'on a atribuée à des êtres inanimés et à des idées abstraites, on leur a aussi atribué celle de vouloir on dit: cela veut dire, au lieu de cela signifie; un tel verbe veut un tel cas; ce bois ne veut pas brûler; cette clé ne veut pas tourner, etc. Ces façons de parler

figurées sont si ordinaires, qu'on ne s'aperçoit pas même de la figure.

La signification des mots ne leur a pas été donée dans une assemblée générale de chaque peuple, dont le résultat ait été signifié à chaque particulier qui est venu dans le monde ; cela s'est fait insensiblement et par l'éducation les enfans ont lié la signification des mots aux idées que l'usage leur a fait conoître que ces mots signifioient.

1o. A mesure qu'on nous a doné du pain, et qu'on nous' a prononcé le mot pain; d'un côté le pain a gravé par les yeux son image dans notre cerveau, et en a excité l'idée : d'un autre côté le son du mot pain a fait aussi son impression par les oreilles, de sorte que ces deux idées accessoires c'est-à-dire excitées en nous en même-tems, ne sauroient se réveiller séparément, sans que l'une excite l'autre.

2o. Mais parce que la conoissance des autres mots qui signifient des abstractions ou des opérations de l'esprit, ne nous a pas été donée d'une manière aussi sensible; que d'ailleurs la vie des hommes est courte, et qu'ils sont plus ocupés de leurs besoins et de leur bien être, que de cultiver leur esprit, et de perfectioner leur langage; come il y a tant de variété et d'inconstance dans leur situation, dans leur état, dans leur imagination, dans les diférentes relations qu' 'ils ont les uns avec les autres ; que par la dificulté que les homes trouvent à prendre les idées précises de ceux qui parlent, ils retranchent ou ajoutent presque toujours à ce qu'on leur dit; que d'ailleurs la mémoire n'est ni assez fidèle, ni assez scrupuleuse pour re

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tenir et rendre exactement les mêmes mots et les mêmes sons, et que les organes de la parole n'ont pas dans tous les homes une conformation assez uniforme pour exprimer les sons précisément de la même manière ; enfin come les langues ne sont point assez fécondes pour fournir à chaque idée un mot précis qui y réponde de tout cela, il est arivé que les

enfans se sont insensiblement écartés de la manière de parler de leurs pères, come ils se sont écartés de leur manière de vivre et de s'habiller; ils ont lié au même mot des idées diférentes et éloignées ; ils ont doné à ce même mot des significations empruntées, et y ont ataché un tour diférent d'imagination ainsi les mots n'ont pû garder long-tems une simplicité qui les restraignît à un seul usage ; c'est ce qui a causé plusieurs irrégularités aparentes dans la grammaire et dans le régime des mots; on n'en peut rendre raison que par la conoissance de leur première origine, et de l'écart, pour ainsi dire, qu'un mot a fait de sa première signification et de son premier usage: ainsi, cette figure mérite une attention particulière; elle règne en quelque sorte sur toutes les autres figures.

Avant que de finir cet article, je crois qu'il n'est pas inutile d'observer que la catachrèse n'est pas toujours de la même espèce.

1o. Il y a la catachrèse qui se fait lorsqu'on done à un mot une signification éloignée, qui n'est qu'une suite de la signification primitive: c'est ainsi que succurrere signifie aider, secourir Pétere, ataquer: Animadvértere, punir ce qui peut souvent être raporté à la métalepse,

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métalepse, dont nous parlerons dans la suite. 2o. La seconde espèce de catachrèse n'est proprement qu'une sorte de métaphore, c'est lorsqu'il y a imitation et comparaison, come quand on dit ferrer d'argent, feuille de pier, etc.

pa

Tome III.

E

Μετωυμία

'I I.

LA MÉTONY MIE.

Le mot de métonymie signifie transposition, Change ou changement de nom, un nom pour un

ment de

nom, de μετα, qui, dans

autre.

En ce sens, cette figure comprend tous les la autres tropes; car dans tous les tropes, un mot composi n'étant pas pris dans le sens qui lui est propre, tion, marchau- il réveille une idée qui pouroit être exprimée gement, et par un autre mot. Nous remarquerons dans la de όνομα suite ce qui distingue proprement la métony mie

que

om.

des autres tropes.

Les maîtres de l'art restraignent la métonymie aux usages suivans.

1o. LA CAUSE POUR L'EFET; par exemple : vivre de son travail, c'est-à-dire, vivre de ce qu'on gagne en travaillant.

Les païens regardoient Cérès come la déesse qui avoit fait sortir le blé de la terre, et qui avoit apris aux homes la manière d'en faire du pain: ils croyoient que Bacchus étoit le Dieu qui avoit trouvé l'usage du vin; ainsi, ils donoient au blé le nom de Cérès,et au vin le nom de Bacchus; on en trouve un grand nombre d'exemples dans les poëtes: Virgile a dit, un Virg. En. vieux Bacchus, pour dire du vin vieux. Im*, v. 219. pléntur véteris Bacchi. Madame des Houlières a fait une balade dont le refrein est,

L'amour languit sans Bacchus et Cérès.

C'est la traduction de ce passage de Térence,

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