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temporel on ne sait comment. A le bien prendre, ceci rentre sous le paganisme : comme l'évangile n'établit point une religion nationale, toute guerre sacrée est impossible parmi les chrétiens.

Sous les empereurs païens les soldats chrétiens étoient braves; tous les auteurs chrétiens l'assurent, et je le crois : c'étoit une émulation d'honneur contre les troupes païennes. Dès que les empereurs furent chrétiens, cette émulation ne subsista plus ; et, quand la croix eut chassé l'aigle, toute la valeur romaine disparut.

Mais, laissant à part les considérations politiques, revenons au droit, et fixons les principes sur ce point important. Le droit que le pacte social donne au souverain sur les sujets ne passe point, comme je l'ai dit, les bornes de l'utilité publique (a). Les sujets ne doivent donc compte au souverain de leurs opinions qu'autant que ces opinions importent à la communauté. Or il importe bien à l'état que chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs; mais les dogmes de cette religion n'intéressent ni l'état ni ses membres qu'autant que ces dogmes se rapportent à la morale et aux devoirs que celui qui la professe est tenu de remplir envers autrui. Chacun peut avoir, au surplus, telles opinions qu'il lui plaît, sans qu'il appartienne au souverain d'en connoître : car comme il n'a point

(a) Dans la république, dit le marquis d'Argenson, chacun est parfaitement libre en ce qui ne nuit pas aux autres. Voilà la borne invariable; on ne peut la poser plus exactement. Je n'ai pu me refuser au plaisir de citer quelquefois ce manuscrit, quoique non connu du public, pour rendre honneur à la mémoire d'un homme illustre et respectable, qui avoit conservé jusques dans le ministere le cœur d'un vrai citoyen, et des vues droites et saines sur le gouvernement de son pays.

de compétence dans l'autre monde, quel que soit le sort des sujets dans la vie à venir, ce n'est pas son affaire, pourvu qu'ils soient bons citoyens dans celle-ci.

Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d'être bon citoyen ni sujet fidele (a). Sans pouvoir obliger personne à les croire, il peut bannir de l'état quiconque ne les croit pas ; il peut le bannir, non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d'aimer sincèrement les lois, la justice, et d'immoler au besoin sa vie à son devoir. Que si quelqu'un, après avoir reconnu publiquement ces mêmes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu'il soit puni de mort; il a commis le plus grand des crimes, il a menti devant les lois.

Les dogmes de la religion civile doivent être simples, en petit nombre, énoncés avec précision, sans explications ni commentaires. L'existence de la divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois; voilà les dogmes positifs. Quant aux dogmes négatifs, je les borne à un seul, c'est l'intolérance: elle rentre dans les cultes que nous avons exclus.

Ceux qui distinguent l'intolérance civile et l'intolérance

(a) César, plaidant pour Catilina, tâchoit d'établir le dogme de la mortalité de l'ame: Caton et Cicéron, pour le réfuter, ne s'amuserent point à philosopher; ils se contenterent de montrer que César parloit en mauvais citoyen et avançoit une doctrine、 pernicieuse à l'état En effet, voilà de quoi devoit juger le sénat de Rome, et non d'une question de théologie.

théologique se trompent, à mon avis. Ces deux intolérances sont inséparables. Il est impossible de vivre en paix avec des gens qu'on croit damnés; les aimer seroit haïr Dieu qui les punit: il faut absolument qu'on les ramene ou qu'on les tourmente. Par-tout où l'intolérance théologique est admise, il est impossible qu'elle n'ait pas quelque effet civil (a) ; et sitôt qu'elle en a, le souverain n'est plus souverain, même au temporel : dès lors les prêtres sont les vrais maîtres; les rois ne sont que leurs officiers.

Maintenant qu'il n'y a plus et qu'il ne peut plus y avoir de religion nationale exclusive, on doit tolérer toutes celles qui tolerent les autres, autant que leurs dogmes n'ont rien

(a) Le mariage, par exemple, étant un contrat civil, a des effets civils, sans lesquels il est même impossible que la société subsiste. Supposons donc qu'un clergé vienne à bout de s'attribuer à lui seul le droit de passer cet acte, droit qu'il doit nécessairement usurper dans toute religion intolérante; alors n'est-il pas clair qu'en faisant valoir à propos l'autorité de l'église il rendra vaine celle du prince, qui n'aura plus de sujets que ceux que le clergé voudra bien lui donner. Maître de marier ou de ne pas marier les gens, selon qu'ils auront ou n'auront pas telle ou telle doctrine, selon qu'ils admettront ou rejetteront tel ou tel formulaire, selon qu'ils lui seront plus ou moins dévoués, en se conduisant prudemment et tenant ferme, n'est-il pas clair qu'il disposera seul des héritages, des charges, des citoyens, de l'état même, qui ne sauroit subsister n'étant plus composé que de bâtards? Mais, dira-t-on, l'on appellera comme d'abus, on ajournera, décrétera, saisira le temporel. Quelle pitié! Le clergé, pour peu qu'il ait, je ne dis pas de courage, mais de bon sens laissera faire et ira son train; il laissera tranquillement appeler, ajourner, décréter, saisir, et finira par rester le maître. Ce n'est pas, ce me semble, un grand sacrifice d'abandonner une partie quand on est sûr de s'emparer du tout.

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de contraire aux devoirs du citoyen. Mais quiconque ose dire, Hors de l'église point de salut, doit être chassé de l'état, à moins que l'état ne soit l'église, et que le prince ne soit le pontife. Un tel dogme n'est bon que dans un gouvernement théocratique; dans tout autre il est pernicieux. La raison sur laquelle on dit que Henri IV embrassa la religion romaine la devroit faire quitter à tout honnête homme, et sur-tout à tout prince qui sauroit raisonner.

CHAPITRE IX.

Conclusion.

APRES avoir posé les vrais principes du droit politique et tâché de fonder l'état sur sa base, il resteroit à l'appuyer par ses relations externes ; ce qui comprendroit le droit des gens, le commerce, le droit de la guerre et les conquêtes, le droit public, les ligues, les négociations, les traités, etc. Mais tout cela forme un nouvel objet trop vaste pour ma courte vue ; j'aurois dû la fixer toujours plus près de moi.

FIN DU CONTRAT SOCIAE.

TABLE

DES

LIVRES ET CHAPITRES

CONTENUS DANS CE VOLUME.

LIVRE PREMIER,

Où l'on recherche comment l'homme passe de l'état
de nature à l'état civil, et quelles sont les con-
ditions essentielles du pacte.

CHAP. I. Sujet de ce premier livre,

CHAP. II. Des premieres sociétés,

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CHAP. III. Du droit du plus fort,

CHAP. IV. De l'esclavage,

CHAP. V. Qu'il faut toujours remonter à une premiere

convention,

CHAP. VI. Du pacte social,

CHAP. VII. Du souverain,

CHAP. VIII. De l'état civil,

CHAP. IX. Du domaine réel,

LIVRE I I,

Où il est traité de la législation.

CHAP. I. Que la souveraineté est inaliénable,
CHAP. II. Que la souveraineté est indivisible,
CHAP. III. Si la volonté générale peut errer,

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