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ou de durée? Or il s'agit ici précisément du rapport de la cause et de l'effet entre eux et avec la durée.

Quant au troisième argument, Descartes a au moins sur Leibniz l'avantage de partir, comme saint Anselme, de l'idée de Dieu que j'ai en moi, et non pas de l'essence de Dieu considérée indépendamment de moi qui conçois cette essence. Toute affirmation de réalité doit être conclue au moins d'une prémisse concrète; et une proposition abstraite, plus l'affirmation de la possibilité de Dieu, ne peut donner pour résultat que la possibilité de Dieu. Cependant Descartes lui-même conclut l'existence de Dieu de l'inséparabilité de son essence et de son existence, et par là il tombe dans le même défaut que Leibniz. Sans doute, un être qui n'existe pas ne peut

1 Il est vrai que nous concevons Dieu comme parfait, il est vrai que l'existence est une perfection: il est donc vrai que nous concevons Dieu comme existant, en même temps et de la même manière que nous le concevons comme parfait. Or, comment concevons-nous Dieu comme parfait? Quand je dis: Je conçois un être parfait, cela veut dire « Je conçois qu'il y a ou qu'il pourrait y avoir un être parfait. » Et maintenant, si j'accorde que l'existence est une perfection, je dois dire : « Je conçois qu'il y a ou pourrait y avoir un être parfait, et qu'il ne pourrait être parfait qu'à condition d'exister. » A cela Descartes répond qu'à la vérité la conception de l'existence possible d'une chose n'en entraîne pas l'existence réelle; mais il soutient que nous concevons l'existence de Dieu, non comme possible, mais comme réelle et comme nécessaire. Et il prouve que nous la concevons comme nécessaire, parce que nous concevons que Dieu n'a besoin que de luimême pour exister, et que ce qui peut exister par sa propre force existe toujours. Mais de ce que Dieu a pu se créer lui-même, il ne s'ensuit pas que Dieu est, mais seulement qu'il peut être; en sorte que son existence n'est jamais conçue que comme possible. Il est vrai, et c'est la source de toute l'erreur, qu'une fois Dieu démontré, on peut soutenir qu'il a actuellement tout ce qu'on peut lui supposer en puissance; mais tant que Dieu n'est pas démontré, on ne peut pas conclure pour lui de la puissance à l'acte car supposer l'identité actuelle de la puissance parfaite et de l'acte parfait, c'est supposer Dieu, qui est en question.

être parfait; il n'est ni parfait ni imparfait, il n'est rien; mais ce n'est pas pour cela que la conception même de cet être implique son existence; car, la perfection ne pouvant se passer de l'être, si l'être parfait n'est pas, il ne s'ensuit rien sinon que la pensée de l'être parfait n'a point de réalité objective, et qu'elle est une chimère de l'entendement. Ce qui fait que cette idée prouve une réalité formelle égale à sa réalité objective, c'est que les facultés de l'esprit humain ne peuvent pas créer, mais simplement exagérer, et que l'idée de Dieu n'est pas une collection de perfections humaines, mais une idée toute spéciale que je ne puis avoir créée ni imaginée. La pensée de Dieu implique l'existence de Dieu, parce que si j'existe, moi imparfait, je ne puis supposer un seul instant, si j'applique ma pensée au parfait, qu'il n'existe point. Qu'est-ce qu'un être imparfait, sinon un être qui n'a point en soi de raison d'être ? et qu'est-ce qu'un être parfait, sinon un être qui possède en soi sa raison d'être? Et, s'il en est ainsi, qui accorde sa propre existence, c'est-à-dire l'existence d'un être imparfait, ne peut songer à l'existence de l'être parfait sans l'accorder immédiatement. Là est la puissance par laquelle l'idée de Dieu engendre la croyance à Dieu; ce n'est pas une donnée purement logique, mais une idée, un jugement, une conception appropriée au moi, et renfermant, comme toute pensée humaine, dans l'unité de la conscience, la conception du moi et la conception de l'être parfait, les deux pôles nécessaires de toute pensée. Or, la supposition de la non-existence de Dieu, si j'y applique sérieusement ma pensée, sans même recourir à la notion de cause, rend ma propre existence contradictoire

et impossible, c'est-à-dire ruine l'autorité de la conscience, qui pourtant échappe à tout scepticisme. Donc si je suis, et si je ne suis pas Dieu, Dieu est. Donc il faut dire avec Descartes : De cela seul que je suis et que j'ai la pensée de Dieu, il s'enb

suit que Dieu existe; et, quelques difficultés que l'on puisse faire sur la forme, la pensée de Dieu, qui est dans l'homme, prouve à elle seule l'existence de Dieu.

Il importe de remarquer que cette proposition, « de cela seul que j'ai l'idée de Dieu il s'ensuit que Dieu est,» ne tend pas à prouver que tous les hommes ont une foi déterminée à l'existence de Dieu, encore moins qu'ils aient une intelligence et une compréhension parfaite de ce qui est contenu dans sa nature. Il est très-vrai que l'idée de Dieu, c'està-dire l'idée de quelque être parfait et nécessaire, est une idée innée; et c'est une observation assez profonde de Locke, dans sa polémique contre les idées innées de Descartes, que s'il y a quelque idée innée, ce doit être celle de Dieu. Rien n'est plus vrai, et c'est même la seule idée innée que nous possédions; d'elle seule dérivent tous les principes que la raison nous fournit pour penser; et ces principes n'ont pas une essence propre, soit qu'on les considère dans l'esprit comme des idées nécessaires, ou dans les choses comme des lois, ou en dehors du monde comme des universaux. Ils ne sont rien que les conclusions immédiates. que tire nécessairement notre esprit de l'idée d'un être parfait qui lui est toujours présente. La méthode psychologique qui, après avoir analysé les divers principes de la raison, cherche à les réduire en les comparant et en les faisant naître les uns des autres, est certainement dangereuse, parce qu'elle court le risque de négliger des différences essentielles, pour courir après une régularité systématique; et de plus elle est inutile, car elle essaye d'introduire dans l'esprit ce que l'esprit possède déjà pleinement. La vraie méthode psychologique ne s'appuie pas sur des principes intermédiaires pour arriver au principe des principes ; elle ne laisse pas la réalité pour s'attacher aux ombres; elle ne reconnaît pas d'autre infini que l'infini, et par conséquent

elle ne voit pas dans l'idée de temps, dans l'idée d'espace, dans l'idée de la succession nécessaire des causes, l'infinité d'un attribut. Elle laisse à Spinoza cette distinction entre l'infini infiniment infini, et l'infinité du temps, de la cause, de la pensée, de l'étendue. Cette infinité båtarde, comme Platon l'aurait appelée, ne peut qu'égarer l'esprit et le tromper sur la vraie nature de l'infini et sur celle du fini. Entre ces deux êtres il n'y a pas d'intermédiaire; ce qui se rencontre dans le premier fait de conscience à côté de la conception du contingent externe et interne, ce n'est ni l'idée d'un temps absolu, ni celle d'un espace absolu, idées contradictoires et factices qui n'entrent jamais dans l'esprit; c'est l'idée même de l'absolu, de l'infini, laquelle par son opposition avec le fini nous fait concevoir que le fini multiplié ne peut épuiser la notion d'être, et que par conséquent aucun temps, aucun espace, aucune cause, ne peuvent égaler la notion d'absolu, et arrêter l'élan de la pensée, que Dieu seul épuise et surpasse. « Dieu, dit Spinoza avec profondeur, est la seule connaissance externe immédiate.

Cependant la présence nécessaire de cette idée de l'infini dans tout esprit qui pense, ne rend pas inutile toute démonstration de l'existence de Dieu. L'idée d'existence parfaite ou infinie ne pénétrera jamais dans un esprit qui ne la possède pas naturellement, si ce n'est par l'intuition immédiate d'un être possédant une telle existence. Mais il faut distinguer entre concevoir l'idée d'un être parfait, et connaître, non pas la nature, mais les conditions de la perfection. Là est toute la difficulté; difficulté d'autant plus grande qu'elle ne peut jamais être entièrement détruite. St Damascène ayant dit: La connaissance que Dieu est, est naturellement empreinte dans l'esprit de tous les hommes; donc c'est une

chose claire et qui n'a pas besoin de preuves pour être connue; St Thomas répond: Connaître que quelqu'un vient, ce n'est pas connaître Pierre, encore que ce soit Pierre qui vienne. L'idée de Dieu, c'est-à-dire d'un être parfait existant, laisse donc, quoique nécessaire, place à toutes les démonstrations et à toutes les spéculations de la métaphysique, depuis le fétichisme indien et la mythologie grecque, jusqu'au panthéisme des alexandrins et de Spinoza.

Hobbes et Bayle ont beau prétendre que si je ne comprends pas Dieu, je n'en ai absolument aucune idée. J'en ai l'idée, reprend Descartes, quoique je n'en aie pas une idée adéquate. H répugne que je sois fini et que j'aie une idée adéquate de l'infini. L'incompréhensibilité, dit-il encore, est contenue dans la raison formelle de l'infini; et plût à Dieu, ajoute Leibniz, qu'elle ne fût que là!

Gassendi disait à Descartes: Vous ne me connaissez pas parce que vous connaissez le bout d'un de mes cheveux. Mais, dit Descartes, je n'ai pas besoin, pour connaître le triangle, d'avoir épuisé ses propriétés.

C'est une des erreurs de Spinoza de prétendre que nous avons une idée adéquate de Dieu. Il avoue pourtant que ses attributs sont infinis et que nous n'en connaissons que deux. Pour avoir une idée adéquate de Dieu, il faut avoir les idées de tout ce qui entre dans sa nature, et que toutes soient adéquates.

Summum magnum, ex defectione æmuli, solitudinem quamdam de singularitate præstantiæ suæ possidens, unicum est 1.

DES RAPPORTS DE DIEU ET DU MONDE.

Dieu une fois démontré, surgit la question de ses rapports

Tertullien, adv. Marcion., 1. †, n. 4.

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