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comme étant au moins l'occasion qui fait que je les ai pourraitelle être en Dieu, s'il n'y avait point de corps ? Et n'aurait-il pas fallu au moins qu'il nous cût donné quelque moyen d'éviter l'erreur, où il était impossible que cela ne nous jetât 20?

RÉFLEXION III. Cette réflexion regarde l'objection qu'on a voulu prévenir dans la Recherche de la Vérité, et qu'il était bien aisé de prévoir. C'est que l'on doit être assuré qu'il y a des corps avant que d'avoir la foi, puisque la foi suppose des corps, des prophètes, des apôtres, une Écriture sainte, des miracles: à quoi il répond

en ces termes :

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Mais, si l'on y prend garde de près, on reconnaîtra que, quoi« qu'on ne suppose que des apparences d'hommes, de prophètes, d'apôtres, d'Écriture sainte, de miracles, etc. ce que nous avons appris par ces prétendues apparences est absolument incontestable; puisque, comme j'ai prouvé en plusieurs endroits de cet ouvrage, il n'y a que Dieu qui puisse représenter à l'esprit ces prétendues apparences, et que Dieu n'est point trompeur; car la foi même suppose tout ceci : or dans l'apparence de l'Écriture sainte, et par les apparences des miracles, nous apprenons que • Dieu a créé un ciel et une terre, que le Verbe s'est fait chair, et d'autres semblables vérités qui supposent l'existence d'un monde créé donc il est certain par la foi qu'il y a des corps, et toutes « ces apparences deviennent par elle des réalités.

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Je ne sais, Monsieur, si je me trompe, mais je ne crois pas qu'il y ait jamais eu de cercle plus vicieux. Car il s'agit de savoir si, ayant supposé qu'il n'y a point de corps, et qu'il n'y a que Dieu et mon esprit, je puis demeurer dans cette supposition jusqu'à ce que j'aie la foi, et ne la quitter que par la foi. Et je soutiens que cela est impossible, et que la raison de cet auteur ne le prouve en aucune sorte. Car, dans cette supposition, tant que j'y demeure, je suis obligé de croire qu'il n'y a que Dieu qui ait pu représenter à mon esprit tout ce que j'ai jamais lu de bon ou de mauvais dans les livres, que je sais bien n'avoir pas composés. Il m'aurait donc aussi bien représenté ce que je me suis imaginé avoir lu dans l'AIcoran, que ce que j'ai cru avoir lu dans un livre appelé la Bible: donc dans l'hypothèse qu'il n'y a que moi et mon esprit, si cette raison était bonne au regard de la Bible que : « Dieu n'étant point trompeur, et n'y ayant que lui qui ait pu représenter à mon esprit « ce que je me suis imaginé avoir vu dans la Bible, cela me doit « passer pour incontestable, » je ne vois pas pourquoi elle ne serait

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pas bonne au regard de l'Alcoran. Et ainsi je suis assuré que je ne pourrais sortir de cet embarras qu'en me servant de la maxime que Dieu ne peut être trompeur, pour me convaincre de la fausseté évidente de cette supposition qu'il n'y a point de corps, mais seulement Dieu et mon esprit; et non pour en conclure qu'avant même d'avoir reconnu l'absurdité de cette hypothèse, des apparences de prophètes, d'apôtres, d'Écriture sainte et de miracles, nous pourraient suffire, pour nous faire ajouter foi à l'Écriture, et changer par là ces apparences en réalités.

Si on me peut montrer qu'il n'y a point en cela de contradiction, j'avouerai ingénument ma bêtise; car j'y en crois voir une manifeste.

RÉFLEXION IV. Je ne sais comment il n'a pas pris garde que, si les principes qu'il a établis dans son Traité de la nature et de la gráce étaient véritables, il faudrait qu'il rétractât ce qu'il a dit si positivement dans la Recherche de la Vérité : qu'avant la foi je ne puis être entièrement assuré qu'il y ait autre chose que Dieu et mon esprit. Car il n'a point prétendu avoir tiré ces principes de la révélation divine, mais de l'idée de l'être parfait; et néanmoins j'en puis conclure évidemment qu'il est impossible qu'il n'y ait que moi et mon esprit : donc s'ils étaient vrais et nécessaires, comme le doivent être des principes, on peut être assuré de la fausseté de cette supposition, sans avoir recours à la foi. Je me contenterai d'en rapporter deux ou trois exemples.

1. Si Dieu veut agir au dehors, c'est qu'il veut se procurer un << honneur digne de lui. Or d'une part je suis assuré qu'il a voulu agir au dehors, puisque je ne puis douter que je ne sois son ouvrage et de l'autre je sens bien que je ne suis pas capable de lui rendre un honneur digne de lui.

Donc il faut qu'en agissant au dehors il ait eu en vue quelque autre chose que moi, qui lui ait pu rendre un honneur digne de lui: donc je ne puis croire qu'il y ait seulement Dieu et mon esprit. 2. Il n'est pas digne de l'Etre parfait d'agir ordinairement par des volontés particulières; mais il est plus digne de lui d'agir

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« comme cause universelle, dont les volontés sont déterminées à des effets particuliers par des causes occasionnelles. »

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Or, si je n'avais point de corps, et que mon esprit fût sa seule créature, comme Dieu m'aurait créé par une volonté particulière, il ferait aussi mille et mille choses en moi par des volontés particulières, sans avoir de causes occasionnelles, surtout dans tout ce

qui me paraît regarder un corps que je n'aurais point, et d'autres corps qui ne seraient point aussi.

Donc il n'est pas vrai que je n'aie point de corps, et que mon esprit soit la seule créature de Dieu.

3. Dieu agit par les voies les plus simples, et selon les lois générales;» or, ce ne serait pas si je n'avais point de corps, et qu'il n'agit qu'envers moi seul : donc il n'est pas vrai, etc.

Je ne demeure pas d'accord de ces démonstrations, parce que je ne demeure pas d'accord que les principes dont on les tire soient assez généraux et assez nécessaires pour démontrer une proposition qui pourrait être contestée; mais il me semble que la conclusion en est bien tirée, et par conséquent il faut qu'il reconnaisse, ou que ces maximes ne sont pas telles qu'il les a crues, ou qu'il a eu tort de dire qu'il n'y a que la foi qui puisse nous assurer qu'il y a des corps.

CONCLUSION.

Voilà, Monsieur, mes premières difficultés sur les sentiments particuliers de notre ami. Cela ne regarde pas encore ceux du Traité de la Nature et de la Grâce; mais il a cru lui-même qu'ils y avaient bien du rapport, puisqu'il a souhaité qu'on les étudiat avant que d'examiner ceux de son Traité, et qu'il y renvoie expressément dans le premier chapitre de son troisième Discours. Je ne pouvais donc mieux faire, pour bien entrer dans les nouvelles pensées de son dernier ouvrage, que de commencer par là.

J'y ai trouvé de plus de l'avantage pour lui et pour moi. C'est que je n'ai point eu besoin de lui opposer l'autorité de celui-ci, ou de celui-là, ce qui jette souvent dans des questions de fait assez ennuyeuses, ni de le combattre par les vieilles règles et les vieux principes d'une philosophie qu'il n'aurait pas approuvée. Je n'ai eu le plus souvent qu'à l'opposer à lui-même, qu'à le prier de prendre plus garde à ce qui se passe dans son esprit, qu'à l'avertir, comme il a fait si souvent les autres, de plus écouter la raison que les préjugés, et de le faire souvenir des maximes qu'il a établies pour se bien conduire dans la recherche de la vérité.

Si j'y ai bien réussi, je ne prétends point en tirer de gloire; car je ne saurais dire comment tout cela m'est venu dans l'esprit, ne m'étant jamais formé jusqu'alors aucun sentiment sur cette matière; de sorte que si l'on trouve que j'y aie donné quelque jour,

j'avouerai sans peine qu'il faut qu'il y ait eu plus de bonheur que d'adresse.

Que si, au contraire, je m'étais trompé, et que je me fusse * ébloui moi-même, lorsque je me suis imaginé avoir découvert l'éblouissement des autres, il serait juste que j'en portasse la confusion. Et il me semble, autant que je puis sonder le fond de mon cœur, que je n'en appellerais point, et que je ne trouverais point mauvais que l'on me traitât comme je l'aurais mérité, si j'avais été assez imprudent pour parler avec tant de confiance, n'ayant pas raison. Car c'est une faute humaine et pardonnable de tomber innocemment dans quelque erreur qui n'a point de mauvaise suite; mais en quelque matière que ce soit, on a de la peine à excuser un homme qui ne se contente pas de combattre ce qu'il aurait dû approuver, mais qui le fait avec tant de présomption, qu'il entreprend de faire passer les égarements de son esprit pour de véritables démonstrations.

Mais je dis plus, Monsieur, quand il n'y aurait rien que de solide dans tout ce que j'ai écrit sur ce sujet des idées (comme je vous avoue de bonne foi qu'il m'est impossible de croire autre chose, tant que je n'aurai point d'autre lumière que celle que j'ai maintenant), je serai très aise que, si notre ami n'en est pas persuadé, et qu'il demeure toujours dans ses premiers sentiments, il les défende du mieux qu'il pourra, sans m'épargner, et en se servant des termes qu'il jugera les plus propres à faire voir qu'il n'a point tort; mais que c'est moi qui ai combattu mal à propos cette belle maxime si digne de Dieu que c'est en Dieu que nous voyons toutes choses.

NOTES

SUR LE TRAITÉ DES VRAIES ET DES FAUSSES IDÉES.

(1) Réponses aux sixièmes Objections.

(2) Voyez plus haut Objections contre les Méditations, p. 2.

(3) Reid partage entièrement la manière de voir d'Arnauld sur l'origine de l'hypothèse des idées représentatives. Voyez OEuvres complètes, t. III, p. 226 et suiv. Le même volume renferme un morceau remarquable de M. Royer-Collard sur le même sujet, p. 327 et suiv. Cf. II, p. 365 et suiv. (4) Cinquièmes Objections contre les Méditations, t. II, p. 273 de l'édition des OEuvres philos, de Descartes, publiées par M, Garnier.

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DES VRAIES ET DES FAUSSES IDÉES.

(5) Les Conversations chrétiennes sont un ouvrage de Malebranche. (6) Ces efforts d'Arnauld pour concilier sa propre théorie avec les façons de parler communes lui ont attiré les critiques de Reid (ŒEuv. compl., t. IV, p. 229). Ils sont en effet moins heureux que subtils; ce qui n'empêche pas que la critique de Reid ne soit fort exagérée, comme nous en faisons la remarque dans l'introduction.

(7) Malebranche dans sa Réponse, p. 138, a désavoué cette opinion. (8) Malebranche a également désavoué cette opinion. Voyez la Réplique d'Arnauld, Défense du Livre des vraies et des fausses Idées, p. 149.

(9) « La troisième réflexion que je présenterai au sujet des idées, dit Reid (OEuv. compl., III, p. 249), c'est qu'à l'exception de leur existence qui est universellement admise, tout ce qui les concerne est un sujet de dispute entre les philosophes. Si les idées ne sont pas des êtres imaginaires, nous devons les connaître parfaitement puisque nous avons avec elles le commerce le plus intime : cependant il n'y a rien sur quoi les philosophes aient autant différé. »

(10)« Lorsque nous voyons le soleil ou la lune, dit Reid, il nous semble assurément que les objets immédiats de notre vision sont très éloignés de nous et qu'ils le sont aussi l'un de l'autre. Nous ne doutons pas qu'ils ne soient ce même soleil et cette même lune que Dieu a suspendus à la voûte des cieux le jour de la création, et qui depuis n'ont pas cessé d'exécuter les révolutions qu'il leur avait prescrites. Cependant les philosophes nous avertissent que nous sommes dans une erreur grossière; que le soleil et la lune que nous voyons immédiatement ne sont point, comme nous le supposons, à des millions de lieues l'un de l'autre et de nous; qu'ils sont dans notre esprit ; qu'ils ont commencé d'ètre quand nous les avons aperçus ; qu'ils cesseront d'ètre lorsque nous cesserons de les voir; qu'en un mot, les objets que nous percevons ne sont que des idées en nous.... » OEuvr. compl., t. III, p. 232.

(11) Arnauld dans sa Défense, p. 275, est revenu fort au long sur ces variations de Malebranche.

(12) Aristote a présenté la critique du système de Platon dans la plupart de ses ouvrages, et en particulier au livre 1er et au livre XIII de sa Métaphysique. C'est d'ailleurs une question que de savoir si Platon a distingué les idées de l'intelligence divine ou les y a confondues. On trouvera un résumé substantiel de cette controverse dans les Études sur le Timée, par M. Henri Martin, Argum. § I, et notes 22 et 60.

(13) Arnauld, comme nous l'avons dit dans notre introduction, alla plus loin dans la Défense et soutint que Malebranche mettait formellement l'étendue en Dieu, en d'autres termes, faisait Dieu matériel. Malebranche se défendit victorieusement de cette imputation; Arnauld toutefois crut devoir insister de nouveau. Voyez Lettres au P. Malebranche, let

tres VIII et IX.

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