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capable d'idées, n'a la connaissance de ce bien particulier. Je « veux dire, pour me servir des termes ordinaires, que la volonté est une puissance aveugle, qui ne peut se porter qu'aux choses que l'entendement lui représente. De sorte que la volonté ne peut « déterminer diversement l'impression qu'elle a pour le bien, et « toutes ses inclinations naturelles, qu'en commandant à l'enten« dement de lui représenter quelque objet particulier. La force qu'a la volonté de déterminer ses inclinations renferme donc nécessairement celle de pouvoir porter l'entendement vers les objets qui lui plaisent. »

Il a bien vu qu'il s'ensuivait de là que notre esprit se pouvait donner de nouvelles perceptions, afin qu'il pût agir librement. La preuve en est démonstrative.

Car, selon lui, l'esprit, considéré comme poussé vers le bien en général, ne peut déterminer son mouvement vers un bien particulier, en quoi il fait consister sa liberté, que par le pouvoir qu'il a de faire en sorte que, comme capable d'idées, c'est-à-dire de perceptions, il ait la connaissance de ce bien particulier qu'il ne connaissait pas auparavant.

Or, il est impossible que notre esprit connaisse un objet qu'il ne connaissait pas auparavant, que par une perception qu'il n'avait pas auparavant.

Il s'ensuit donc que l'esprit ne saurait être libre, selon lui, s'il n'a le pouvoir de se donner de nouvelles perceptions, aussi bien que de nouvelles inclinations.

Je ne sais s'il a cru se pouvoir tirer de cette difficulté, parce qu'il dit sur cet endroit, dans ses Eclaircissements, p. 488; «Qu'il « ne faut pas s'imaginer que la volonté commande à l'entendement d'une autre manière que par ses désirs et ses mouvements, ni que l'entendement obéisse à la volonté, en produisant en lui-même les idées des choses que l'âme désire. Tout le mystère, dit-il, est que le désir qu'a mon âme de connaître un objet est « une prière naturelle qui est toujours exaucée. Et ainsi ce désir, « en conséquence des volontés efficaces de Dieu, est la cause de la présence et de la clarté de l'idée qui représente l'objet.

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Mais il n'a pas pris garde que tout ce qu'il fait par là est de changer le mot de commandement en celui de désir, ce qui ne lui est peut-être d'aucun usage pour se tirer de l'embarras où il s'est jeté par l'explication qu'il a voulu donner de la manière dont notre volonté est libre. Car il n'a point rétracté cette proposition générale.

. L'esprit considéré comme poussé vers le bien en généra « (c'est-à-dire comme volonté), ne peut déterminer son mouve«ment vers un bien particulier (en quoi il met la liberté); si k « même esprit, considéré comme capable d'idées (c'est-à-dir « comme entendement) n'a la connaissance de ce bien particulier.› Ni cette conséquence qu'il en tire:

La force qu'a la volonté de déterminer ses inclinations renferme donc nécessairement celle de pouvoir porter l'entendement vers les objets qui lui plaisent, c'est-à-dire de pouvoir faire par « ses désirs, ensuite des volontés efficaces de Dieu, que l'entende- ment lui représente les objets qui lui plaisent.

Or, cela ne se peut soutenir qu'on ne s'engage dans un cercle qui n'a point de fin. Car il dit au même endroit « que la volonté est une puissance aveugle qui ne peut se porter qu'aux choses que l'entendement lui représente. »

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Donc, afin qu'un objet lui plaise, il faut que l'entendement le lui représente.

Donc, afin qu'elle puisse désirer que l'entendement lui représente les objets qui lui plaisent, il faut que l'entendement les lui ait représentés.

Donc il faut que ce qu'elle désire qui se fasse se soit déjà fait. On trouvera la même chose, quand on retrancherait de cette proposition ces mots : qui lui plaisent, qu'il n'y a peut-être mis que par mégarde, et qu'on ne s'arrêterait qu'au désir qu'il suppose que doit avoir l'âme de connaître le bien particulier que nous appellerons A, pour pouvoir déterminer vers ce bien A le mouvement que Dieu lui donne vers le bien en général.

Car l'âme, comme volonté, ne peut désirer de connaître le bien A, que, comme entendement, elle n'en ait la perception; puisque la volonté « étant une puissance aveugle, ne peut se porter qu'aux 66 choses que l'entendement lui représente. » Il faut donc qu'elle ait la perception du bien A pour désirer de l'avoir; or, c'est son désir qui la lui doit faire avoir selon notre ami : il faut donc qu'elle ait ce qu'elle désire d'avoir pour être en état de désirer de l'avoir.

Que si on dit que cette perception du bien A, qu'elle a déjà, n'en est qu'une perception obscure enfermée dans ce désir, et qu'elle en désire une plus parfaite; donc, ce désir dépendant de nous selon notre ami, et, étant une modification que notre âme se peut donner, il faut qu'elle se puisse donner ce qui est essentiellement enfermé dans ce désir, et sans quoi on ne pourrait dire qu'elle eût ce désir sans une contradiction manifeste. Or, ce désir enferme

nécessairement une perception au moins imparfaite du bien A, puisqu'il est manifestement impossible que j'aie aucune volonté ni aucun désir, au regard du bien A, si je n'en ai aucune perception: Ignoti nulla cupido. Il est donc clair qu'on ne peut dire raisonnablement que je me puis donner le désir de connaître le bien A, et qu'en cela consiste ma liberté, qu'on ne reconnaisse en même temps que je me puis donner quelque perception du bien A.

On dira peut être que cela prouve seulement qu'il faut que j'aie déjà une perception obscure et confuse du bien A avant que mon âme puisse désirer de le connaître plus parfaitement.

Mais qu'entend-on par cette perception obscure et confuse du bien particulier que j'ai appelé A? Est-ce une idée ou une perception qui représente si confusément le bien A, qu'elle peut représenter également à notre âme le bien B, le bien C, le bien D, et une infinité d'autres biens particuliers vers lesquels mon âme peut déterminer son mouvement qu'elle a de Dieu vers le bien en général; ou si cette idée, quoiqu'on l'appelle obscure et confuse, ne représente à mon âme que le bien A?

Si on dit le premier, il s'ensuivra que cette idée ne donnera pas plus de pouvoir à mon âme de désirer le bien A, que de désirer le bien B, le bien C, le bien D, et une infinité d'autres choses semblables, à moins qu'elle ne choisisse le bien A dans cette confusion: ce qu'elle ne peut faire que par une perception du bien A, qui soit plus distincte et moins confuse que celle des autres biens, et laquelle par conséquent il faudra qu'elle se puisse donner à ellemême avant que de pouvoir désirer de connaître plus parfaitement le bien A.

Que si on dit le dernier, il faudra donc, ou, que notre âme ait tout ensemble les notions obscures et imparfaites de chacun de ces biens particuliers qui sont infinis, afin qu'elle puisse désirer de connaître plus parfaitement l'un d'eux plutôt que l'autre, ou qu'il ne dépende point de sa liberté de détourner vers lequel elle voudrait de ces biens particuliers le mouvement qu'elle a de Dieu vers le bien général, mais qu'elle ne puisse le détourner que vers le bien particulier dont elle a déjà une idée obscure. Outre qu'on sera obligé de rendre raison, d'où vient qu'indépendamment de sa liberté Dieu lui a donné l'idée obscure d'un bien particulier plutôt que d'un autre, sans qu'on puisse rapporter cela à ses désirs comme à des causes occasionnelles qui auraient déterminé les volontés générales de Dieu, parce que cela irait à l'infini. On ne voit donc pas que la manière, dont l'auteur de la Recherche de la Vérité a

prétendu expliquer la liberté, se puisse soutenir, sans qu'il soit obligé de reconnaître que notre âme se peut donner de nouvelles modifications au regard de ses idées aussi bien qu'au regard de ses inclinations.

III. Je ne sais si je dois répondre aux arguments qu'il apporte dans le livre III, deuxième partie, chapitre III, pour montrer que l'âme n'a pas la puissance de produire ses idées. Car j'ai déjà remarqué plusieurs fois que, dans ce livre III, ce ne sont pas les perceptions, mais les êtres représentatifs qu'il entend par le mot d'idées. Or, je n'ai garde de croire que notre âme a la puissance de produire ces étres représentatifs, ne croyant pas que ce soit autre chose que des chimères.

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Que si néanmoins on voulait appliquer ces mêmes arguments aux perceptions, il serait bien aisé d'en faire voir la faiblesse. (a) Personne, dit-il, ne peut douter que les idées ne soient des « êtres réels, puisqu'elles ont des propriétés réelles, que les unes « ne diffèrent des autres, et qu'elles ne représentent des choses toutes différentes. »

J'en demeure d'accord, pourvu que, par le mot d'être, on entende les manières d'être aussi bien que les substances.

. On ne peut aussi raisonnablement douter qu'elles ne soient spirituelles et fort différentes des corps qu'elles représentent. » Cela est encore vrai.

(b) « Et cela semble assez fort pour faire douter si les idées, par « le moyen desquelles on voit les corps, ne sont pas plus nobles « que les corps mêmes.» Cela est vrai en un sens, parce qu'elles sont spirituelles; mais cela n'est pas vrai en un autre sens, parce que les idées, prises pour des perceptions, ne sont que des manières d'être, au lieu que les corps sont des substances.

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(c) « Ainsi, quand on assure que les hommes ont la puissance de « se former les idées telles qu'il leur plaît, on se met fort en danger d'assurer que les hommes ont la puissance de faire des « êtres plus nobles et plus parfaits que le monde que Dieu a créé. » Je nie cette conséquence; car les idées, prises pour des perceptions, ne sont point des étres à proprement parler, mais seulement des manières d'être.

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(d) Mais quand il serait vrai que les idées ne seraient que des -êtres bien petits et bien méprisables, ce sont pourtant des êtres

(a) Page 193. (b) Ib. (c) Ib. (d) Id.

et des êtres spirituels; et les hommes n'ayant pas la puissance « de créer, il s'ensuit qu'ils ne peuvent pas les produire; car la production des idées, de la manière qu'on l'explique, est une véritable création.

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Je ne me mets pas en peine de quelle manière les autres expliquent la production des idées, ni ce qu'ils entendent par le mot d'idées. Mais, en prenant les idées pour des perceptions, comme on les doit prendre pour bien parler, et comme il les a prises luimême au commencement de son ouvrage, on ne peut dire raisonnablement qu'il faudrait que l'âme eût la puissance de créer, si elle avait le pouvoir de se donner quelques-unes de ses idées, c'est-à-dire de ses perceptions; car la création est la production d'une substance; et jamais on n'a dit que ce fût créer, en parlant proprement, que de donner une nouvelle modification à une substance. Cela se peut dire dans un langage figuré, comme quand David demande à Dieu qu'il crée en lui un cœur nouveau, et que saint Paul dit que nous avons été créés en Jésus-Christ dans les bonnes œuvres. Mais, en parlant exactement et philosophiquement, la création, comme j'ai dit, est la création d'une substance; or nos perceptions ne sont point des substances, ce ne sont que des manières d'être de notre âme. Il n'est donc pas vrai qu'elle ne se pourrait donner de nouvelles perceptions si elle n'avait la puissance de créer.

Et il faut bien que cet auteur en convienne; car il ne peut nier que nos inclinations et nos volontés particulières ne soient des manières d'étre de notre âme, aussi bien que nos perceptions: or il demeure d'accord que notre âme se peut donner de nouvelles modifications, au regard de ses inclinations et de ses volontés, sans qu'elle ait pour cela la puissance de créer : il n'est donc point nécessaire qu'elle ait la puissance de créer, pour se pouvoir donner de nouvelles modifications au regard de ses idées.

IV. Il me suffit d'avoir montré qu'on n'a point de raison de croire que notre âme n'étant point purement passive au regard de ses inclinations, elle le doive être au regard de ses perceptions: ce qui n'empêche pas qu'on ne puisse dire que notre âme n'est peut-être active qu'en tant qu'elle est volonté; parce que ce n'est peut-être qu'en le voulant que nous nous pouvons donner diverses perceptions.

J'en pourrais demeurer là; car je n'ai point assez de lumière pour pouvoir déterminer quelles sont les perceptions que nous tenons nécessairement de Dieu, et quelles sont celles que notre

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