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plus imparfaitement que nous ne faisons l'étendue. Cela me pa<< raissait si évident que je ne croyais pas qu'il fût nécessaire de le prouver plus au long. Mais l'autorité de M. Descartes, qui dit positivement que la nature de l'esprit est plus connue que celle de « toute autre chose, a tellement préoccupé quelques-uns de ses disciples, que ce que j'en ai écrit n'a servi qu'à me faire passer dans leur esprit pour une personne faible, qui ne peut se prendre et se tenir ferme à des vérités abstraites........ Cependant la « question présente est tellement proportionnée à l'esprit, que je « ne vois pas qu'il soit besoin d'une grande application pour la résoudre, et c'est pour cela que je ne m'y étais pas arrêté. »

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Écoutons donc ces raisons si faciles à trouver, et mettons pour la première celle qui est le fondement de toutes les autres, et qui nous donnera lieu de démêler ce qu'il a embrouillé par la définition d'une idée claire, qu'il a prise pour principe de tout ce qu'il dit sur cette matière.

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RAISON I. (a) Je prends pour la même chose n'avoir point d'idée d'un objet, et n'en avoir point d'idée claire; et je n'appelle idées claires que celles qui produisent la lumière et l'évidence, « et par lesquelles on a compréhension de l'objet (si on peut parler ainsi), c'est-à-dire qui sont telles (b) qu'en les consultant « on peut apercevoir d'une simple vue ce qu'elles enferment et co qu'elles excluent, et reconnaître par là toutes les propriétés de l'objet et les modifications dont il est capable. »

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Or nous n'avons point une telle idée de notre âme.

Nous n'en avons donc point d'idée claire, et cela suffit pour dire que nous n'en avons point d'idée.

Réponse. Pour pouvoir dire ce que je pense de la majeure, il faut savoir de lui s'il prétend que cette définition qu'il donne d'une idée claire doit être admise par tout le monde comme contenant la vraie notion de la clarté d'une idée, ou s'il n'a voulu que faire son dictionnaire particulier en nous avertissant que, sans se mettre en peine en quel sens les autres prennent le nom d'idée claire, il est résolu pour lui de ne se servir de ce mot qu'en le prenant dans le sens que j'ai marqué.

S'il prétend le premier, je nie sa majeure, et je lui soutiens qu'il (a) Page 489 (6) Pages 554, 555, 556.

se trompe manifestement s'il a supposé que tout le monde demeurait d'accord de sa définition d'une idée claire. Il est bien certain au moins que M. Descartes n'en demeure pas d'accord, puisqu'il enseigne en beaucoup de lieu que nous pouvons avoir une idée claire et distincte d'un objet sans connaître tout ce qui peut convenir à cet objet. C'est pourquoi il soutient partout que nous avons une idée claire et distincte de Dieu, quoiqu'elle ne soit pas telle qu'on la puisse appeler adæquatam (c'est le mot dont il se sert pour marquer une idée qui ferait connaître toutes les propriétés d'un objet) qualem nemo habet non modo de infinito, sed nec forte etiam de ullâ aliâ re, quantumvis parvâ. Et, dans la réponse aux quatrièmes Objections, il dit que les idées que nous avons de l'âme et du corps peuvent être claires et distinctcs, sans que l'une ni l'autre soit adæquata, c'est-à-dire qu'elle soit telle qu'elle nous fasse connaître tout ce qui convient à l'une et à l'autre de ces deux substances.

Il est donc certain qu'il n'a point cru qu'afin qu'une idée fût claire il fût nécessaire qu'elle enfermât toutes les propriétés de l'objet.

Et, en effet, peut-on douter qu'on n'ait eu avant Pythagore l'idée claire d'un triangle rectangle, quoique ce soit lui, à ce que l'on croit, qui en a découvert le premier cette belle propriété : que le carré de sa base est égal aux carrés des deux côtés? Est-ce de même qu'on n'a point eu d'idée claire de l'ellipse et de l'hyperbole avant M. Descartes, parce que c'est peut-être lui qui a le premier découvert les propriétés qu'il en a démontrées dans sa Dioptrique pour la réfraction des rayons?

Que si, ne pouvant pas prétendre que cette définition d'une idée claire soit admise par tout le monde, il est réduit à dire qu'il a pu prendre ce mot en ce sens, et n'appeler idée claire que celle qui aurait toutes les conditions qu'il a marquées, on le lui avoue; et on lui accorde aussi qu'en prenant en ce sens le mot d'idée claire, nous n'avons point d'idée claire de notre âme. Mais on lui soutient aussi qu'on n'en a point non plus de l'étendue, ni peut-être d'aucune autre chose du monde, comme M. Descartes l'a bien remarqué. Et ainsi tout se réduira, à l'égard de ses autres preuves, à montrer qu'elles ne sont pas plus concluantes contre l'idée claire de notre âme que contre l'idée claire de l'étendue.

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RAISON II. « Je crois pouvoir dire que l'ignorance où sont la plupart des hommes à l'égard de leur âme, de sa distinction d'avec le corps, de sa spiritualité, de son immortalité et de ses

« autres propriétés, suffit pour prouver évidemment que l'on n'en « a point d'idée claire et distincte. >>

Réponse. Si les erreurs des hommes et les doutes déraisonnables qu'ils ont tous les jours sur des choses très certaines peuvent être allégués pour prouver que nous n'avons point d'idées claires des choses dont il leur plaît de douter, il n'y a plus rien dont on puisse dire que nous ayons des idées claires. Car y a-t-il rien dont les sceptiques et les pyrrhoniens n'aient fait profession de douter? Il ne faudrait que leur appliquer ce qu'il dit en la page 557: « Faisons « justice à tout le monde : ceux qui ne sont pas de notre sentiment « sont raisonnables aussi bien que nous, ils ont les mêmes idées des choses, ils participent à la même raison. Pourquoi auraient<< ils douté de ce qui nous paraît de plus certain dans la géométrie « même, s'ils en avaient eu des idées claires? »

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Que si de ce général nous descendons au particulier, comment n'a-t-il pas vu qu'on n'avait pas moins de droit de conclure de ce qu'il dit que les hommes n'ont point d'idée claire et distincte de leur corps? Car les épicuriens n'ont nié la spiritualité et l'immortalité de l'âme que parce qu'ils ont cru que leur corps était capab'e de penser. Et il n'y a encore présentement que trop d'impies qui sont dans le même sentiment. Or si les uns et les autres avaient eu une idée claire de leur corps, ils n'auraient pas eu cette pensée puisque, selon cet auteur, « quand on a l'idée claire d'une chose, « on voit sans peine et d'une vue simple ce qu'elle enferme et ce qu'elle exclut.» Donc cette raison ne prouve rien, ou elle prouve autant contre la clarté de l'idée du corps ou de l'étendue la clarté de celle de l'âme.

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que contre

RAISON III. « L'idée du corps ou de l'étendue est si claire que « tout le monde convient de ce qu'elle enferme et de ce qu'elle exclut (car de ce qu'il y en a qui doutent si le corps est ou n'est pas capable de sentiment, c'est qu'ils entendent par le corps quelque autre chose que l'étendue, et qu'ils n'ont point d'idée « claire du corps pris en ce sens ), et que celle de l'âme est si con« fuse que les cartésiens mêmes disputent tous les jours si les mo❝difications de couleurs lui appartiennent. ›

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Réponse. J'examinerai cette fin, et j'en ferai une autre raison. Mais, pour ce qui est de la clarté de l'idée, de l'étendue, c'est le plus plaisant sophisme du monde. Car il prétend que tout le monde convient de ce qu'elle enferme et de ce qu'elle exclut, en même

temps qu'il avoue qu'il y en a qui distinguent le corps de l'étendue. Il est donc faux qu'ils aient une idée claire de l'étendue, puisqu'ils ne savent pas que le corps et l'étendue sont la même chose. Cependant ils ne nient pas que ce qu'ils appellent corps ne soit étendu ; ils prennent donc le corps pour une chose étendue. Comment peut-il donc dire «que tout le monde convient de ce que « l'idée d'une chose étendue enferme, et de ce qu'elle exclut; » puisqu'il demeure d'accord qu'il y en a qui doutent si une chose étendue n'est point capable de sentiment? Mais nous allons voir la même illusion dans la raison suivante.

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RAISON IV. (a) On ne peut faire de demande sur ce qui appartient ou n'appartient pas à l'étendue, à laquelle on ne puisse répondre facilement, promptement, hardiment, par la seule considération de l'idée qui la représente. Tous les hommes convien« nent de ce que l'on doit croire sur ce sujet. Car ceux qui disent « que la matière peut penser ne s'imaginent pas qu'elle ait cette faculté à cause qu'elle est étendue : ils demeurent d'accord que « l'étendue, précisément comme telle, ne peut penser.

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Réponse. Ce précisément comme telle est une pure équivoque. Car il est vrai qu'ils ne croient pas que toute étendue puisse penser, et en ce sens on peut dire qu'ils ne croient pas que l'étendue, comme telle, puisse penser (ce qui ne convient pas au genre, ne pouvant être attribué à l'espèce quand on la considère précisément selon l'idée générique), mais ils croient qu'il y a quelques étendues qui pensent. C'est ce qui paraît par ce qui est dit dans les cinquièmes Objections proposées à M. Descartes sur sa deuxième Méditation, 2: « Pourquoi, ô mon âme, ne pourriez-vous pas encore être un vent, ou plutôt un esprit très délié et très subtil qui se forme par la chaleur du cœur du plus pur sang, et qui étant répandu par les membres leur donne la vie, voit avec l'œil, entend avec l'oreille, pense avec le cerveau, et fait les autres fonctions qu'on « a accoutumé de vous attribuer ? Si cela est ainsi, pourquoi n'au« riez-vous pas la même figure que votre corps, comme l'air a la - même figure que le vaisseau qui le contient? Car le corps gros« sier auquel vous êtes unie a une infinité de petits pores dans lesquels vous êtes répandue, de sorte que vous n'avez pas raison de dire qu'il n'y a rien en vous de ce qui appartient à la nature du corps. N'est-ce pas prétendre qu'il y a une substance étendue qui peut penser et avoir divers sentiments, savoir : celle qui (a) Page 553,

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étant très subtile est répandue dans les pores de la substance du cerveau et dans les organes des sens. Je demcure d'accord qu'il n'y a rien de plus déraisonnable et qui choque plus le bon sens que ces pensées impies. Mais ce n'est pas seulement ce que dit cet auteur selon ses principes, il faudrait que personne ne les pût jamais avoir. Car il prétend que l'idée que nous avons de l'étendue est si claire que les femmes et les enfants, les savants et les ignorants, les plus éclairés et les plus stupides, conçoivent sans peine, par l'idée qu'ils en ont, ce qui lui convient et ce qui ne lui peut convenir. » Il faut donc nécessairement qu'ils conviennent qu'il n'y a point de substance étendue qui puisse penser et avoir des sentiments. Or ceux dont je viens de parler, et dont M. Gassendi propose les sentiments, bien loin de convenir de cela, soutiennent que la substance étendue qui est dans les pores de la substance de notre cerveau a la faculté de penser. Il paraît donc que l'auteur de la Recherche de la Vérité n'appuie ses nouvelles opinions que sur des hypothèses visiblement fausses, qu'il propose comme indubitables.

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RAISON V. Pour s'assurer si les qualités sensibles sont ou ne . ne sont pas des manières d'être de l'esprit, on ne consulte point « l'idée prétendue de l'âme : les cartésiens même consultent, au contraire, l'idée de l'étendue, et ils raisonnent ainsi : La chaleur, la douleur, la couleur, ne peuvent être des modifications de « l'étendue : car l'étendue n'est capable que de différentes figures « et de différents mouvements; or il n'y a que deux genres d'être des esprits et des corps : donc la douleur, la chaleur, la couleur, « et toutes les autres qualités sensibles appartiennent à l'esprit. Puisqu'on est obligé de consulter l'idée qu'on a de l'étendue, « pour découvrir si les qualités sensibles sont des manières d'être de son âme, n'est-il pas évident qu'on n'a point d'idée claire de l'âme ? Autrement s'aviserait-on jamais de prendre ce détour? »

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Réponse. Je ne sais pas qui sont ces cartésiens qui raisonnent comme on les fait raisonner ici; et j'ai de la peine à croire qu'îl y en ait. Au moins je sais bien que M. Descartes n'a jamais raisonné de la sorte. Il ne faut que l'entendre parler dans la première Partie de ses Principes, no 68 et 70.

Mais, afin que nous pui ons distinguer ici ce qu'il y a de clair en nos sentiments d'avec ce qui est obscur, nous remar«querons en premier lieu que nous connaissons clairement et

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