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ler l'équivoque qu'il avait laissée en plusieurs endroits dans le mot d'idée, il le fait si imparfaitement, qu'on en demeure plus incertain de ce qu'il entend par ce mot, lorsqu'il déclare en tant d'endroits que l'âme ne le connaît point elle-même par son idée. C'est dans l'Éclaircissement sur le chap. 11 du liv. I, p. 489.

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Quand je dis que nous n'avons point d'idées des mystères de « la foi, il est visible, par ce qui précède et par ce qui suit, que je parle des idées claires qui produisent la lumière et l'évidence et par lesquelles on a compréhension de l'objet, si l'on peut parler « ainsi. Je demeure d'accord qu'un paysan ne pourrait pas croire, « par exemple, que le Fils de Dieu s'est fait homme, ou qu'il y « a trois personnes en Dieu, s'il n'avait quelque idée de l'union du «Verbe avec notre humanité, et quelque notion de personne. Mais, si ces idées étaient claires, on pourrait, en s'y appliquant, comprendre parfaitement ces mystères et les expliquer aux au«tres : ce ne seraient plus des mystères ineffables. »

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On ne parle plus ici de voir les choses en Dieu, pour expliquer ce que c'est que les voir par leurs idées. On laisse là cette notion du mot d'idée, comme si on ne la lui avait jamais donnée. Et on prétend seulement que voir une chose par son idée, c'est la voir par une idée claire, qui produise la lumière et l'évidence, et par laquelle on ait la compréhension de l'objet, si on peut parler ainsi. Et on prétend qu'on a pu dire qu'on n'avait point d'idée d'une chose, quand on n'en avait point une idée de cette sorte, c'est-àdire une idée claire, quoiqu'on en eût quelque idée et quelque notion. Et on applique cela à ce qu'on a dit si souvent touchant l'âme, qu'on ne la voit point par idée, et qu'on n'en a point d'idée.

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Je dis ici que nous n'avons point d'idée de nos mystères, « comme j'ai dit ailleurs que nous n'avons point d'idée de notre âme, parce que l'idée que nous avons de notre âme n'est point claire, non plus que celle de nos mystères. Ainsi ce mot idée « est équivoque. Je l'ai pris quelquefois pour tout ce qui représente « à l'esprit quelque objet, soit clairement, soit confusément. Je l'ai pris même encore plus généralement pour tout ce qui est l'objet << immédiat de l'esprit. Mais je l'ai pris aussi pour ce qui repré« sente les choses à l'esprit d'une manière si claire, qu'on peut « découvrir d'une simple vue si telles ou telles modifications leur appartiennent. C'est pour cela que j'ai dit quelquefois qu'on « avait une idée de l'âme, et quelquefois je l'ai nié. Il est difficile et quelquefois ennuyeux et désagréable de garder dans ses expres

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sions une exactitude trop rigoureuse. Quand un auteur ne se

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contredit que dans l'esprit de ceux qui le critiquent, et qui sou« haitent qu'il se contredise, il ne doit pas s'en mettre fort en peine et s'il voulait satisfaire par des explications ennuyeuses « à tout ce que la malice ou l'ignorance de quelques personnes - pourrait lui opposer, il ferait un fort méchant livre.

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Je commencerai par examiner cette réflexion de l'auteur : que si on voulait garder dans ses expressions une exactitude trop rigoureuse, en évitant les équivoques qui font paraître qu'on se contredit, on serait en danger de faire de méchants livres. C'est de quoi je ne saurais demeurer d'accord au regard des livres de science. Car, comme on n'écrit que pour se faire entendre, on ne saurait éviter avec trop de soin ce qui peut empêcher qu'on ne . comprenne bien notre pensée : et rien ne peut tant l'empêcher que quand nous prenons des mots essentiels et importants, et qui marquent ce que nous avons entrepris d'éclaircir en particulier, en des sens si différents et qui forment dans l'esprit des notions si opposées, qu'il se trouve que sans avoir averti le monde de ces équivoques nous disons le oui et le non de la même chose. N'estce pas la première règle, pour bien traiter une science, d'en définir les principaux termes, afin d'en fixer la notion à un seul et unique sens, pour peu qu'il y ait sujet d'appréhender qu'on ne les prenne en différentes manières ?

Que si on doit avoir ce soin pour empêcher que le lecteur ne se brouille et prenne mal la pensée de l'auteur, combien plus l'auteur même doit-il éviter qu'il ne se brouille lui-même dans ses pensées, et qu'il ne tombe dans des contradictions apparentes, pour n'être pas constant à ne donner aux termes capitaux de ce qu'il traite que la même signification, ou au moins de ne leur en faire changer qu'après en avoir averti le monde? Que dirions-nous, par exemple, d'un géomètre qui dirait tantôt que la diagonale d'un carré est incommensurable au côté, et en d'autres endroits qu'elle peut être commensurable au côté? et qui répondrait pour se sauver de cette contradiction qu'il a pris le mot de carré dans le premier endroit pour un rectangle de quatre côtés égaux, et dans l'autre pour un quadrilatère de quatre côtés égaux qui ne seraient pas à angles droits? Trouverait-on cette explication fort raisonnable dans un livre dogmatique; et approuverait-on qu'il prît à partie ceux qui se plaindraient de son peu d'exactitude, comme des critiques injustes dont on ne devrait pas se mettre en peine, parce qu'on ne pourrait faire que de méchants livres si on les voulait contenter?

Je me trouve d'autant plus obligé de faire cette observation, que ce n'est pas seulement l'ambiguïté du mot d'idée qui fait beaucoup de brouillerie dans le premier ouvrage de cet auteur, mais que c'est un défaut répandu dans son Traité de la nature et de la grâce, où de semblables mots, qui se prennent en différents sens, semblent donner lieu à de grands mystères qui disparaîtront aussitôt qu'on en aura démêlé les équivoques.

Néanmoins ce n'est pas à quoi je trouve ici le plus à redire. Je lui pardonnerais qu'il ait pris le mot d'idée dans son livre de la Recherche de la Vérité dans des sens très différents, pourvu au moins que dans les avertissements qu'il y a joints à la quatrième édition, il eût pris soin de les bien marquer et d'en donner des notions bien distinctes. Mais, bien loin de cela, il n'y fait que brouiller de nouveau la signification de ce mot, et ce qu'il en dit ne s'accorde point avec ce qu'il en avait dit dans son troisième livre, où il traite à fond cette matière. Car toute la différence qu'il met dans ce troisième avertissement, page 489, entre les idées est la clarté et l'obscurité, ne donnant point d'autre solution à la contradiction qu'on lui avait objectée, sinon que quand il avait dit que nous n'avions point d'idée de notre âme, il avait parlé ainsi parce que nous ne la voyons point par ces idées claires, qui produisent la lumière et l'évidence, et par lesquelles on a la compréhension de l'objet, pour parler ainsi; et que, quand il a dit qu'on avait une idée de l'âme, il a pris ce mot plus généralement pour toute sorte d'idée claire ou obscure.

Mais cette explication est très défectueuse, et ne fait point bien entendre son sentiment des idées. Car le mot d'idée ne serait point équivoque, mais seulement générique, s'il ne signifiait que des idées d'une même nature, dont les unes seraient obscures et les autres claires. Et ce serait alors très mal parler de nier le mot d'idée d'une des espèces, quoique la moins noble. C'est comme qui dirait qu'un trapèze n'est pas un quadrilatère, parce qu'il en est l'espèce la plus imparfaite, et qu'un cheval n'est pas un animal, parce qu'il n'est pas un animal raisonnable. Il est vrai aussi qu'il n'est pas tombé dans cette faute, et qu'il pouvait se mieux défendre de la contradiction qu'on lui reprochait qu'il n'a fait dans cet avertissement. Car il pouvait et devait dire le mot d'idée est équivoque, parce qu'il signifie deux choses très différentes, et qui n'ont point proprement de notion commune. Et, selon que je l'ai pris en une ou en l'autre de ces deux manières, j'ai pu dire quelquefois que nous avons une idée de l'âme, et d'autres fois que

nous n'en avons point. J'ai pris dans le premier chapitre de mon premier livre l'idée d'un objet pour la perception d'un objet, et en prenant le mot d'idée en ce sens j'ai dû dire que nous avons une idée de notre âme; puisque nous ne la pourrions connaître, comme nous faisons, si nous n'en avions la perception. Mais dans la deuxième partie du livre III j'ai pris le mot d'idée pour un étre représentatif des objets, distingué des perceptions, lequel j'ai fait voir ne se pouvait trouver qu'en Dieu. Et c'est en prenant le mot d'idée en ce sens que j'ai dit en plusieurs endroits que nous n'avions point d'idée de notre âme, parce que mon sentiment est que nous ne la voyons point en Dieu, comme nous y voyons les choses matérielles, mais que nous la voyons seulement par conscience et par sentiment intérieur. Et ce qui me fait croire que nous ne la voyons point en Dieu, est que ce que l'on voit en Dieu, comme l'étendue, se voit bien plus clairement et plus parfaitement que nous ne voyons notre âme.

Cette solution aurait été bien plus raisonnable et plus conforme à sa doctrine des idées, que ce qu'il dit d'une manière fort confuse dans ce troisième avertissement. Mais de quelque manière que l'on s'y prenne pour accorder cette contradiction apparente, cela ne laissera pas d'être embarrassé de difficultés insurmontables contre nous, comme nous l'allons faire voir dans les chapitres suivants.

CHAPITRE XXII.

Que s'il était vrai que nous vissions les choses matérielles par des êtres représentatifs (ce qui est la même chose à cet auteur que de les voir en Dieu), il n'aurait eu nulle raison de prétendre que nous ne voyons pas notre âme en cette manière.

On peut bien croire que prétendant avoir démontré l'inutilité de ces étres représentatifs distingués des perceptions et des objets, et le peu de raison qu'on a eu de fonder sur cela cette mystérieuse pensée que nous voyons en Dieu les choses matérielles, mon dessein n'est pas de prouver que nous voyons notre âme en cette manière. Mais, pour montrer de plus en plus combien cette philosophie des idées s'entretient mal, il ne sera pas inutile de faire voir que s'il était vrai que nous vissions les choses matérielles par des étres représentatifs (ce qui est la même chose à cet auteur que de les voir en Dieu), il n'aurait point dû prétendre que nous ne voyons point notre âme en cette manière.

Je n'ai pour cela qu'à appliquer à notre âme les raisons géné

rales que cet auteur apporte pour rendre probable cette nouvelle pensée que nous voyons toutes choses en Dieu. C'est le titre de son sixième chapitre de la deuxième partie du livre III.

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1o Il suppose, ce qui est vrai, que Dieu a en lui les idées de toutes choses; 2o que Dieu est intimement uni à nos âmes par sa présence. D'où il conclut que « l'esprit peut voir ce qu'il y a dans Dieu, qui représente les êtres créés, puisque cela est très spirituel, très intelligible et très présent à l'esprit : et qu'ainsi l'esprit peut voir en Dieu les ouvrages de Dieu, supposé que Dieu veuille bien lui découvrir ce qu'il y a dans lui qui les représente.» Or, l'idée de notre âme n'est-elle pas en Dieu, aussi bien que celle de l'étendue? Et ce qu'il y a en Dieu, qui représente notre âme, n'est-il pas aussi spirituel, aussi intelligible et aussi présent à l'esprit que ce qui représente les corps? Et il est même sans difficulté que ce qu'il y a dans Dieu, qui représente notre âme, qui a été créée à son image et à sa ressemblance, parce qu'il a voulu qu'elle fût comme lui une nature intelligente, est plus propre à faire que notre âme se puisse voir en Dieu, que ce qu'il y a en lui qui représente les corps, qui, ne pouvant être qu'éminemment et non pas formellement étendu, figuré, divisible, mobile, ne peut être propre à les faire voir à notre esprit, qui les doit concevoir étendus, figurés, divisibles, mobiles. Pourquoi donc, si notre âme voyait les corps en Dieu, ne s'y verrait-elle pas elle-même ?

Tout ce que peut dire cet auteur est, que Dieu n'a pas voulu découvrir à notre âme ce qui est dans lui qui la représente; au lieu qu'il veut bien lui découvrir ce qui est dans lui qui représente les corps. Mais qui lui a appris que Dieu veut l'un, et qu'il ne veut pas l'autre? N'appréhende-t-il point, en mettant comme il lui plaît ces inégalités dans la conduite de Dieu, ce qu'il témoigne appréhender si fort en d'autres rencontres, qu'elle n'ait pas assez les caractères qu'il prétend se devoir toujours rencontrer dans la conduite de l'être parfait, qui est d'être uniforme, constante, réglée. Car y pourrait-on trouver de l'uniformité, si au regard de la même âme, à qui il a bien voulu être intimement uni, il lui découvrait celles de ses perfections qui représentent les plus viles de ses créatures, savoir, les choses matérielles, en lui cachant celles qui représentent les plus nobles, savoir, les spirituelles? Quelle uniformité pourrait-on trouver en cela?

J'ajoute une autre règle, que cet auteur fait souvent valoir : c'est que la volonté de Dieu est toujours conforme à l'ordre. Or n'estil pas de l'ordre que notre âme soit pour le moins autant éclairée

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