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Mais ce qu'a trouvé cet auteur, pour accorder sa doctrine sur ce point des idées avec son autre doctrine que Dieu agit comme cause universelle, dont les volontés générales doivent être déterminées à chaque effet par ses causes qu'il appelle occasionnelles, est encore plus contraire à l'expérience. Car la cause occasionnelle, qu'il a cru déterminer Dieu à nous donner chaque idée en particulier, est le désir que nous en avons. C'est ce qu'il enseigne dans le deuxième éclaircissement, p. 488. « Il ne faut pas, dit-il, s'imaginer « que la volonté commande à l'entendement d'une autre manière « que par ses désirs et ses mouvements; car la volonté n'a point « d'autre action. Et il ne faut croire non plus que l'entendement « obéisse à la volonté, en produisant en lui-même les idées des « choses que l'âme désire; car l'entendement n'agit point : il ne fait que recevoir la lumière ou les idées de ces choses, par << l'union nécessaire qu'il a avec celui qui renferme tous les êtres d'une manière intelligible, ainsi qu'on l'a expliqué dans le troisième livre. Voici donc tout le mystère : L'homme participe à la « souveraine raison, et la vérité se découvre à lui à proportion « qu'il s'applique à elle, et qu'il la prie. Or le désir de l'âme est « une prière naturelle, qui est toujours exaucée; car c'est une loi << naturelle que les idées soient d'autant plus présentes à l'esprit, « que la volonté les désire avec plus d'ardeur. »

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Cela serait beau, s'il était vrai. Mais l'expérience y est si contraire, que je ne puis comprendre comment on se hasarde d'avancer de telles choses, sans s'être auparavant consulté soi-même. Si on l'avait fait, on n'aurait pas manqué de reconnaître qu'il y a bien des objets qui nous déplaisent, et que nous voudrions bien ne pas voir, dont les idées ne laissent pas d'être fort présentes à notre esprit, et que nous souffrons avec peine des représentations fâcheuses que nous souhaiterions fort de ne point voir, bien loin de les désirer.

Mais il est encore bien plus manifeste qu'au regard des essences des choses, de l'étendue et des nombres, à quoi il restreint quelquefois ce que nous voyons en Dieu, on ne peut dire avec vérité que ce soit une loi naturelle que les idées soient d'autant plus présentes à l'esprit que la volonté les désire avec plus d'ardeur. Je ne sais que confusément ce que c'est qu'une parabole : j'ai beau désirer d'en avoir une idée plus claire et plus distincte qui m'en puisse faire connaître les propriétés, je suis assuré que si je ne fais que le désirer, avec quelque ardeur que je le désire, je n'éprouverai point, ce qu'on me dit avec tant de confiance, « que le désir

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de l'âme, qui souhaite d'avoir l'idée d'un objet, est une prière naturelle qui ne manque jamais d'être exaucée, et que l'expé«rience nous apprend que l'idée de ce que nous avons envie de « connaître est d'autant plus présente et plus claire, que notre « desir est plus fort. » Car, tant s'en faut que l'expérience m'apprenne cela, qu'elle m'apprend certainement tout le contraire.

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Il en est de même des nombres. Car j'aurais beau désirer des années entières, et avec toute l'ardeur possible de savoir le nombre de la période julienne, dont j'ai parlé dans l'article précédent, qui a pour ses trois caractères, 5. 6. 7. on supposera tant qu'on voudra que Dieu est l'auteur de nos idées, il est certain que je me trouverai trompé, si je m'attends que l'envie que j'en ai sera la cause occasionnelle, qui déterminera Dieu à me rendre présente à mon esprit l'idée de ce nombre. Mais si je me sers pour le trouver de la méthode dont il est parlé dans un des journaux des savants, je ne me souviens pas de quelle année, soit qu'on ait peu d'envie de le savoir, ou qu'on en ait une fort grande, ce sera la recherche qu'on en fera par cette méthode que l'on pourra appeler une prière naturelle, qui ne manquera point d'être exaucée. Cependant on assure que le désir est cette prière, qui ne manque point d'être exaucée. Car, outre ce que j'ai déjà rapporté, on dit un peu plus bas « Nous ne souhaitons jamais de penser à quelque objet, « que l'idée de cet objet ne nous soit aussitôt présente : et, comme l'expérience nous l'apprend, cette idée est d'autant plus présente « et plus claire, que notre désir est plus fort........... Ainsi, quand j'ai dit que la volonté commande à l'entendement de lui présenter quelque objet particulier, j'ai prétendu seulement dire que l'âme, qui veut considérer avec attention cet objet, s'en approche par « son désir; parce que ce désir, en conséquence des volontés effi- caces de Dieu, qui sont les lois inviolables de la nature, est la « cause de la présence et de la clarté de l'idée qui représente cet objet. Je n'avais garde de parler d'une autre façon, ni de m'expliquer comme je fais présentement; car je n'avais pas encore prouvé que Dieu seul est l'auteur de nos idées, et que nos yolontés particulières en sont les causes occasionnelles. »

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Il est assez difficile que deux personnes conviennent, quand l'une et l'autre se fondent sur des expériences contraires. Je m'imagine néanmoins qu'il ne sera pas difficile de juger laquelle de nos deux expériences sera plus conforme à celle des autres hommes. Et je viens de plus de trouver un passage de notre ami, que je ne vois pas comment il pourra accorder avec cette maxime des Éclaircis

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sements: Nous ne souhaitons jamais de penser à quelque objet, « que l'idée de cet objet ne nous soit aussitôt présente. » Car je ne sais si l'on peut former une proposition plus directement contraire à celle-là, que celle-ci de la p. 215 : « Il est absolument faux, dans l'état où nous sommes, que les idées des choses soient présentes « à notre esprit toutes les fois que nous les voulons considérer.

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CHAPITRE XVII.

Autre variation de cet auteur, qui dit tantôt qu'on voit Dieu en voyant les créatures en Dieu, et tantôt qu'on ne le voit point, mais seulement les créatures.

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Une autre variation de cet auteur, que j'ai touchée en passant, mais que je n'ai pas assez fait considérer, est qu'il dit tantôt -que l'on voit Dieu en voyant en lui les choses matérielles, et tantôt qu'on ne le voit pas, mais seulement les choses matérielles.

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Il dit qu'on le voit en la p. 20. Et il prétend même que Dieu n'a pu faire autrement, par ce raisonnement étrange, qu'il appelle une démonstration: « La dernière preuve, dit-il, qui sera peutêtre une démonstration pour ceux qui sont accoutumés aux rai« sonnements abstraits est celle-ci : Il est impossible que Dieu ait d'autre fin principale de ses actions que lui-même : il est donc nécessaire que non-seulement notre amour naturel, je veux dire le mouvement qu'il produit dans notre esprit, tende vers lui; mais encore que la connaissance, et que la lumière qu'il lui donne nous fasse connaître quelque chose qui soit en lui; car << tout ce qui vient de Dieu ne peut être que pour Dieu. Si Dieu faisait un esprit, et lui donnait pour idée ou pour objet immédiat de sa connaissance le soleil, Dieu ferait, ce me semble, cet esprit, « et l'idée de cet esprit pour le soleil et non pas pour lui. Dieu ne peut donc faire un esprit pour connaître ses ouvrages, si ce n'est « que cet esprit voit en quelque façon Dieu en voyant ses ouvrages. « De sorte que l'on peut dire que si nous ne voyions Dieu en quel« que manière, nous ne verrions aucune chose.

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J'ai appelé ce raisonnement étrange, parce qu'il l'est en effet, et que c'est un pur sophisme, bien loin d'être une démonstration. Car cet auteur prétend que notre âme se connaît elle-même sans se voir en Dieu, et sans rien voir qui soit en Dieu en se connaissant. Or cela ne donne pas lieu de dire que notre âme soit pour ellemême, et non pas pour Dieu. Encore donc que notre esprit eût le soleil pour objet immédiat de sa connaissance, on ne pourrait pas

dire pour cela que notre esprit fût pour le soleil et non pas pour Dieu. Et en effet, il n'y a aucune liaison de cette conséquence à l'antécédent. Car d'une part ce n'est pas tant ce que je fais au regard des choses purement naturelles, que la fin pour laquelle je les dois faire, autant que je puis, qui doit marquer que j'ai été créé pour Dieu; et de l'autre c'est par ma volonté, et non par mon esprit que je me dois rapporter à ma dernière fin. Tout ce que l'on peut donc dire au regard de la connaissance que j'ai du soleil est, que pour satisfaire pleinement à l'institution de ma nature, je ne dois pas voir le soleil seulement pour le voir et pour y chercher ma propre satisfaction, parce que ce serait alors qu'il pourrait sembler que j'aurais été fait pour le soleil, mais que je dois rapporter à Dieu la connaissance que j'ai du soleil, en le louant de ses ouvrages, et lui rendant grâce de l'utilité que j'en reçois. Voilà ce que l'on peut raisonnablement conclure à cet égard de la maxime générale : Que Dieu nous a faits pour lui. Mais je ne sais qui sont ces esprits accoutumés aux raisonnements abstraits, qui trouveront qu'on en doit conclure, que si Dieu ne nous faisait connaître quelque chose qui est en lui, en nous faisant voir le soleil, il semblerait qu'il aurait fait notre esprit pour le soleil et non pas pour lui.

Quoi qu'il en soit, il paraît par cette prétendue démonstration, bonne ou mauvaise, que son sentiment est « que tout ce qui vient « de Dieu ne pouvant être que pour Dieu, il ne peut faire un esprit « pour connaître ses ouvrages, si ce n'est que notre esprit voit en quelque façon Dieu, en voyant ses ouvrages.

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Et en la p. 200« Puisque Dieu peut faire voir aux esprits toutes choses, en voulant simplement qu'ils voient ce qui est au milieu d'eux-mêmes, c'est-à-dire ce qu'il y a dans lui-même qui a rap• port à ces choses et qui les représente, il n'y a pas d'apparence qu'il le fasse autrement. » Et un peu plus bas : « Nous voyons « tous les êtres créés, à cause que Dieu veut que ce qui est en lui qui les représente, nous soit découvert : » or ce qui est en Dieu qui représente les êtres créés, est Dieu même : cela ne peut donc nous être découvert que nous ne voyions Dieu : donc nous voyons Dieu en voyant les êtres créés.

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Et en la p. 202 : « Nous ne disons pas que nous voyons Dieu en voyant les vérités, mais en voyant les idées de ces vérités. » Il prétend donc qu'on voit Dieu en voyant l'idée du soleil et l'idée de la terre, mais non pas précisément en voyant cette vérité que le soleil est plus grand que la terre. Et un peu plus bas : Selon notre sentiment NOUS VOYONS DIEU, lorsque nous voyons des vérités éter

nelles non que ces vérités soient Dieu, mais parce que les idées, dont ces vérités dépendent, sont en Dieu. Il soutient donc encore que, lorsque nous disons que tout carré est la moitié du carré de la diagonale, nous voyons Dieu; parce que nous ne saurions assurer cela, sans que notre esprit voie ces deux carrés, et qu'il ne saurait voir ces deux carrés qu'en voyant Dieu.

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Et dans la p. 203: « Nous croyons aussi que l'on connaît en Dieu les choses changeantes et corruptibles, quoique saint Augustin < ne parle que des choses immuables et incorruptibles: parce qu'il n'est pas nécessaire pour cela de mettre quelque imperfection en Dieu puisqu'il suffit, comme nous avons déjà dit, que Dieu nous fasse voir ce qu'il y a dans lui qui a rapport à ces choses. » Or, ce qu'il y a dans Dieu qui a rapport aux choses changeantes et corruptibles est Dieu même : Nous ne saurions donc voir les choses changeantes et corruptibles que nous ne voyions Dieu.

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Cependant, dans la page 200, il semble dire tout le contraire après le premier des deux passages de cette même page que j'ai rapportés, et immédiatement avant le dernier. Car, afin qu'on ne pût pas conclure que nous voyons l'essence de Dieu de ce que nous voyons toutes choses en Dieu, il dit « qu'on ne voit pas tant les idées des choses, que les choses mêmes que les idées représentent; et que, lorsqu'on voit un carré, par exemple, on ne dit pas « que l'on voit l'idée de ce carré qui est unie à l'esprit, mais seu«lement le carré, qui est au dehors. »

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Et dans les avertissements, page 549, s'étant proposé cette objection, prise de saint Jean, I, 18 : « Que personne n'a jamais « vu Dieu, je réponds, dit-il, que ce n'est pas proprement voir « Dieu que voir en lui les créatures; ce n'est pas voir l'essence « des créatures dans sa substance; comme ce n'est pas voir un « miroir que d'y voir seulement les objets qu'il représente. »

Mais il faut remarquer que ce n'est que par nécessité, et pour s'échapper d'une objection qui l'incommode, qu'il parle de cette dernière sorte, c'est-à-dire qu'il semble nier que nous voyons Dieu en voyant les créatures. Car partout ailleurs il fait entendre que nous le voyons, et il est impossible qu'il puisse parler autrement en suivant ses principes. La comparaison qu'il apporte d'un miroir est très défectueuse, et ne prouve nullement que l'on puisse dire, selon sa doctrine, qu'en voyant les choses en Dieu, ce n'est point Dieu que nous voyons, mais seulement les créatures. Car un miroir n'a rien en soi qui représente les objets, mais il en renvoie seulement les images; selon la philosophie commune, ou, selon celle

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