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que Dieu n'est pas divisible, que dans la page 494, c'est une des choses sur lesquelles il dit que personne n'hésite à répondre: « Car qui hésite, dit-il, à répondre lorsqu'on lui demande si Dieu est sage, juste, puissant; s'il est ou n'est pas triangulaire, divisible, mobile?»

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V. Mais ce qui est de plus embarrassant est de savoir si cette étendue intelligible infinie, laquelle il prétend qui est en Dieu, puisqu'il dit que Dieu la renferme, y est formellement ou seulement éminemment. Cette distinction est nécessaire pour expliquer comment les effets sont dans leurs causes. Il y en a qui croient que chaque plante est dans le germe d'où elle sort selon ses parties, mais plus petites à proportion, et cet auteur s'est déclaré pour ce sentiment dans le chap. vi du liv. I. Si cela est, on peut dire que chaque plante est formellement dans le germe qui la produit. Mais il n'en est pas ainsi des créatures à l'égard de Dieu; elles doivent être en lui comme dans leur cause, mais elles n'y peuvent pas être formellement, car tout ce qu'elles ont d'être et de perfection est borné, et par là est imparfait. Or il n'y a rien d'imparfait en Dieu; la matière surtout est nécessairement par sa nature divisible et figurée, et il n'y a rien en Dieu qui soit divisible ou figuré, comme dit notre auteur, page 200. Ainsi les créatures devant être en Dieu comme dans leur cause, et n'y pouvant être formellement, on a été obligé de chercher un mot pour marquer la manière dont elles y étaient, et on n'en a point trouvé de plus propre que de dire qu'elles y étaient éminemment, c'est-àdire d'une manière plus noble qu'elles ne sont en elles-mêmes, et qui est dégagée de toutes les imperfections qui sont inséparablement attachées à leur condition de créatures, quand on les compare à la perfection infinie du souverain Être. M. Descartes, qui n'était pas homme à se servir d'une distinction de l'école s'il ne l'avait jugée bien fondée, se sert de celle-ci en plusieurs endroits de ses ouvrages, et surtout dans la réponse aux secondes objections, où il devait parler avec plus d'exactitude, puisqu'il y entreprend de prouver par la méthode des géomètres l'existence de Dieu et la distinction réelle de notre âme d'avec notre corps. L'auteur de la Recherche de la Vérité ne se sert pas de ces mêmes mots, mais il s'explique en des termes qui reviennent au même sens, lorsqu'il dit que « Dieu est tout être parce qu'il est infini, « et qu'il comprend tout, mais qu'il n'est aucun être en particu«lier. » D'où il conclut qu'encore que nous voyons toutes choses

en Dieu (à ce qu'il s'est imaginé) « néanmoins nous ne voyons pas Dieu, parce que ce que nous voyons n'est qu'un ou plusieurs êtres, et que nous ne comprenons point cette simplicité parfaite «de Dieu, qui renferme tous les êtres. A quoi se rapporte ce qu'il avait dit auparavant en la page 198 : « Que toutes les créatures, même les plus terrestres et les plus matérielles, sont

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« en Dieu, quoique d'une manière toute spirituelle et que nous ne pouvons comprendre. »

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Mais on est bien empêché de savoir en laquelle de ces deux manières il a prétendu que Dieu renferme en lui-même cette étendue intelligible infinie, dans laquelle il veut que nous voyons toutes choses. On voudrait bien que ce ne fût qu'éminemment, car cela pourrait ne rien marquer qui ne fût digne de Dieu; on serait seulement en peine de deviner pourquoi tous les corps que Dieu a créés, et que nous avons besoin de voir, étant éminemment en Dieu, à plus juste titre que cette étendue intelligible infinie, il n'aurait pas plutôt dit que chacun de ces corps étant éminemment en Dieu, c'est là où nous les voyons, que de dire que nous les voyons tous dans cette étendue intelligible infinie, s'il avait cru qu'elle n'était, aussi bien que tous les corps particuliers, qu'éminemment en Dieu. C'est déjà une raison qui fait croire qu'il a pensé qu'elle y était formellement, et non-seulement éminemment, mais que cela était suffisamment adouci par le mot d'intelligible, auquel je ne vois pas qu'on puisse donner aucun bon sens en cet endroit-là.

Mais cela paraît encore en ce que rien ne peut manquer qu'une chose est formellement étendue, et non-seulement éminemment, que quand on y met ce en quoi consiste le plus l'imperfection de l'étendue, qui est d'avoir des parties distinctes réellement les unes des autres; de sorte qu'on y en peut prendre d'autres plus petites et d'autres plus grandes. Or c'est ce qu'il dit de son étendue intelligible infinie, comme nous avons déjà vu dans l'endroit que nous avons rapporté.

C'en est une autre de ce qu'il oppose l'étendue aux corps sensibles et au mouvement, et qu'il ne veut pas que les corps sensibles, ni le mouvement même intelligible, soient en Dieu en la même manière qu'il s'est imaginé que cette étendue y était. Cela est exprès pour les corps sensibles; car dans la même page où il dit que Dieu renferme l'étendue, il dit qu'il n'y a point en Dieu de corps sensibles, et qu'il n'est point nécessaire qu'il y en ait afin qu'on en voie en Dieu. Et pour le mouvement, voicì ce qu'il en dit au même endroit ; « On peut, dit-il, apercevoir le mouvement

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« d'une figure sensible, sans qu'il y ait même de mouvement « dans l'étendue intelligible; car Dieu ne voit point le mouvement des corps dans sa substance ou dans l'idée qu'il en a en lui-même, << mais seulement par la connaissance qu'il a de ses volontés; il ne « voit même leur existence que par cette voie, parce qu'il n'y a que sa volonté qui donne l'être à toutes choses. Les volontés de Dieu ne changent rien dans sa substance; elles ne la meuvent pas. Peut-être que l'étendue intelligible est immobile en tout - sens, même intelligiblement. »

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Je n'entends rien à tout cela et je n'y trouve pas un mot de vrai. S'il n'y a point de mouvement dans l'étendue intelligible, on peut bien voir le mouvement par une perception qu'on a d'ailleurs, mais il est impossible qu'on le voie dans cette étendue.

La preuve qu'on en apporte, prise de la science de Dieu à l'égard du mouvement, est une fausse supposition. Dieu voit toutes choses dans son essence, et soi-même et les créatures, et par conséquent voit le mouvement aussi bien que l'étendue.

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Il n'est pas moins certain qu'il voit le mouvement par l'idée qu'il en a lui-même. Car, comme nous l'avons déjà montré, il n'a rien fait dont il n'eût l'idée : or, il a créé la matière en mouvement, sans quoi elle n'aurait été qu'une masse informe, dont il n'aurait pu faire aucun de ses ouvrages: il a donc nécessairement l'idée de la matière en mouvement, non-seulement parce qu'il l'a créée dans cet état, mais encore parce qu'il la conserve toujours dans le même état; puisque c'est immédiatement par lui-même qu'il conserve la même quantité de mouvement dans le monde, en la faisant passer continuellement d'un corps dans un autre. Il est donc impossible qu'il n'ait pas en lui-même l'idée du mouvement, puisqu'il ne fait rien dont il n'ait l'idée, comme je l'ai montré ci-dessus par saint Augustin et par saint Thomas.

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Il n'est pas vrai, selon cet auteur même, que Dieu ne connaisse les mouvements que par la connaissance de ses volontés, qui les produisent. Car il suppose, dans son Traité de la nature et de la grâce, discours I, § 13, « que Dieu découvrant dans les trésors infinis de sa sagesse une infinité de mondes possibles, comme des suites nécessaires des lois des mouvements qu'il pouvait établir, s'est déterminé à créer celui qui aurait pu se produire « et se conserver par les voies les plus simples. » Il a donc connu les lois des mouvements dans les trésors infinis de sa sagesse, avant que de les connaitre dans ses volontés, puisque c'était avant qu'il se fût déterminé à créer le monde. Or, il ne pouvait pas connaître

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les lois des mouvements, sans connaître les mouvements. Il n'est donc pas vrai que ce n'est que dans la volonté qu'il a eue de produire les mouvements, qu'il connaît les mouvements.

Je ne puis aussi deviner pourquoi il dit que les volontés de Dieu ne changent rien dans sa substance, et qu'elles ne la meuvent pas. Est-ce que si Dieu connaissait les mouvements par son essence ou substance, et non-seulement par ses volontés, il serait à craindre que sa substance n'en fût changée? Et pourquoi donc ne pense-t-on pas aussi que, si Dieu connaît l'étendue par son essence, et non-seulement par sa volonté, il soit à craindre que son essence ne soit étendue, ce qui n'est pas moins contraire à la nature de l'être infiniment parfait, que si elle était en mouvement. Je ne vois donc pas pourquoi l'étendue en repos et immobile lui paraît plus digne d'être admise en Dieu que l'étendue en mouvement ou mobile. C'est assurément qu'il n'a pas assez consulté la vaste et immense idée de l'être infiniment parfait, quand il en a eu ces pensées.

Mais ce qui me semble plus considérable, c'est qu'il paraît par là qu'il veut que, pourvu que son étendue intelligible infinie soit immobile, elle puisse être en Dieu d'une manière en laquelle l'étendue mobile et en mouvement n'y peut pas être non plus que les corps sensibles qu'il dit aussi n'être pas en Dieu. Or, il ne peut avoir nié que l'étendue mobile et en mouvement, aussi bien que les corps sensibles, ne soient en Dieu éminemment, c'est-à-dire de cette manière toute spirituelle, et dégagée de toutes les imperfections qui ne peuvent manquer de se trouver dans les créatures, selon laquelle il avoue en un autre endroit que les choses les plus matérielles et les plus terrestres sont en Dieu. Il faut donc, ou qu'il se soit contredit, ou qu'il ait prétendu que l'étendue intelligible infinie n'était pas seulement en Dieu éminemment, mais qu'elle y était aussi formellement : ou bien qu'il ait mis hors de Dieu cette étendue intelligible infinie, comme Aristote a cru que Platon y avait mis ses idées 12, n'ayant pas assez pris garde que c'était en Dieu, et non pas hors de Dieu, qu'il la devait mettre, puisqu'il n'y avait eu recours que faute d'autre meilleur moyen de nous faire voir toutes choses en Dieu. Quoi qu'il en soit, on ne peut guère faire concevoir plus grossièrement une étendue formelle en ce qui est de l'étendue, qu'il fait celle-là quoiqu'il la nomme intelligible. Il est seulement vrai qu'il en a voulu ôter, je ne sais pourquoi, une des principales propriétés de l'étendue que Dieu a créée, qui est la mobilité, et qu'il lui a plu la considérer comme l'espace de gas

sendistes qu'ils veulent aussi qui soit immobile. Mais je ne vois pas, comme je le viens de montrer, que cela la rende plus capable d'être admise en Dieu; et je m'en vas faire voir, dans le chapitre suivant, que cela la rend beaucoup plus incapable de nous servir d'étre représentatif pour y voir tous les corps et tous les nombres 13.

CHAPITRE XV.

Que l'étendue intelligible infinie ne nous saurait être un moyen de voir les choses que nous ne connaissons pas et que nous voudrions connaître.

On vient de voir, dans l'article précédent, que rien n'est plus inintelligible que cette étendue intelligible infinie, que cet auteur a inventée pour nous donner moyen de voir les choses en Dieu, s'étant persuadé, sur de faux principes, que nous ne pouvions voir autrement aucun des objets qui sont hors de nous.

Mais, ce qui n'est pas moins étrange, est qu'il ait si mal rencontré dans ce prétendu moyen de voir les choses en Dieu, qu'en lui accordant tout ce qu'il suppose, il est impossible que cette étendue intelligible infinie, dans laquelle il prétend que nous devons voir toutes choses, nous soit un moyen d'en voir aucune de toutes celles que nous ne connaîtrions pas, et que nous voudrions con

naître.

Je commence par les nombres; car il les met entre les trois choses que nous ne voyons qu'en Dieu, parce que nous les voyons par lumière et par une idée claire. Je voudrais bien savoir quel est le nombre qui, étant divisé par 28, il reste 5; et étant divisé par 19, il reste 6; et étant divisé par 15, il reste 7; c'est-à-dire que je voudrais bien savoir l'année de la période julienne, qui a ces trois caractères, cinq du cycle solaire, six du nombre d'or, et sept de l'indiction. A quoi, je vous prie, me pourrait servir, pour connaître ce nombre, l'étendue intelligible infinie entièrement unie à mon âme? Me dira-t-on que tous les nombres y sont, parce qu'on la peut distinguer par l'esprit en une infinité de parties? Cela veut dire que tous les nombres y seront quand mon esprit les y aura mis. Mais, quand ils y seraient comme dans un livre où tous les nombres seraient comptés depuis un jusqu'à cent millions (car je suis certain que le nombre que je cherche ne va pas jusque-là) me serait-ce un grand avantage pour le trouver ? Non certainement. Car, quand je me résoudrais à parcourir tous ces nombres, jusqu'à ce que je l'eusse rencontré, ce serait inutilement, parce que, ne le

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