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sitions, en mettant dans chacune l'une des deux définitions en la place du défini.

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Voici la première, où le mot d'idée sera pris pour la perception même. Il faut bien remarquer qu'afin que l'esprit aperçoive ‹ quelque objet, il est absolument nécessaire que l'idée de cet objet, prise pour sa perception, lui soit actuellement présente; «< il n'est pas possible d'en douter, mais il n'est pas nécessaire qu'il y ait au dehors quelque chose de semblable à cette « perception. »

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Rien n'est plus vrai que cette proposition, prise en ce sens, dans toutes ces deux parties. Car comment notre esprit pourraitil apercevoir quelque chose s'il n'en avait l'idée, c'est-à-dire la perception. Il est certain aussi que la perception de plusieurs choses est actuellement dans notre esprit, quoique ces choses ne soient pas actuellement hors de nous.

Et voici la deuxième proposition ou le mot d'idée est pris comme dans le chap. I de la deuxième partie du livre III, qui est l'endroit que nous examinons présentement, pour un certain étre représentatif, distingué de la perception, qui supplée à l'absence des objets et met par là l'esprit en état de les pouvoir connaître.

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Il faut bien remarquer qu'afin que l'esprit aperçoive quelque objet, il est absolument nécessaire que cet être représentatif, à qui je viens de donner le nom d'idée, lui soit actuellement présent; il n'est pas possible d'en douter. Mais il n'est pas nécessaire qu'il y ait au dehors quelque chose de semblable à cet « être représentatif. »

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Mais cette proposition étant conçue en ces termes, non-seulement il est possible d'en douter, mais je la nie absolument dans sa première partie, ne voyant aucun besoin de ce prétendu étre représentatif pour connaître aucun objet ou présent ou absent. Et ainsi, supposer qu'il n'est pas possible de douter de la nécessité de cet étre représentatif, c'est manifestement supposer ce qui est en question. Et, pour la deuxième partie, s'il n'est pas nécessaire qu'il y ait au dehors quelque chose de semblable à l'être représentatif, il n'est pas plus nécessaire qu'il y ait au dehors quelque chose d'existant qui soit semblable à la perception que j'ai du soleil. D'où il s'ensuit que ce n'est pas une raison qui m'oblige d'avoir recours à ces étres représentatifs distingués des perceptions, de ce que je pourrais concevoir le soleil, quoiqu'il n'y eût point de soleil au monde. Car comme alors ce serait le soleil possible que je concevrais, et non le soleil existant, quoique par erreur je

pusse croire que ce serait le soleil existant, il en faudrait dire de même de l'être représentatif du soleil, supposé qu'il n'y eût point de soleil; savoir, qu'il me représenterait un soleil possible et non le soleil existant, et que ce me serait aussi une occasion d'erreur si je jugeais de là que le soleil existe.

CHAPITRE X.

Démonstration IV.

Rien ne doit être plus suspect à ceux qui philosophent raisonnablement que ces entités philosophiques, dont on n'a que des notions fort confuses, et qu'on voit assez n'avoir été inventées que pour expliquer de certaines choses que l'on a cru ne se pouvoir expliquer sans cela. Mais il n'y a pas lieu de douter qu'on ne les doive rejeter absolument, quand on peut montrer qu'on n'en n'a que faire et qu'on s'en peut fort bien passer. On est assuré que l'auteur de la Recherche de la Vérité ne contestera point cette maxime.

Il n'y a donc qu'à prouver que ces prétendus étres représentatifs, qu'il appelle idées, sont de cette nature, et qu'on n'en n'a nul besoin pour l'usage qu'il leur attribue, qui est de donner moyen à notre esprit de voir les choses matérielles, et cela est bien facile.

1. Dieu n'a point voulu créer notre âme et la mettre dans un corps qui devait être environné d'une infinité d'autres corps, qu'il n'ait voulu aussi qu'elle fût capable de connaître les corps, et que, par conséquent, il n'ait voulu aussi que les corps fussent conçus par notre âme.

Or, toutes les volontés de Dieu sont efficaces; il est donc certain que Dieu a donné à nos esprits la faculté de voir les corps, et aux corps la faculté passive, pour parler ainsi, d'être vus par notre esprit. Tout cela est plus clair que le jour; mais voici la suite.

Dieu ne fait point par les voies composées ce qui se peut faire par des voies plus simples; c'est le grand principe de notre ami, dont il s'est servi dans cette matière même de la nature des idées.

Or Dieu ayant voulu que notre esprit connût les corps, et que les corps fussent connus par notre esprit, il a été sans doute plus simple de rendre notre esprit capable de connaître immédiatement les corps, c'est-à-dire sans êtres représentatifs distingués des perceptions (car c'est dans ce sens que je prendrai toujours

ici le mot d'immédiatement), et les corps capables d'être immédiatement connus par notre esprit, que de laisser l'âme dans l'impuissance de les voir autrement que par le moyen de certains êtres représentatifs, et d'une manière si embarrassée, qu'il n'y a point d'homme sincère qui puisse dire de bonne foi qu'il l'ait comprise.

Comment donc l'auteur de la Recherche de la Vérité, qui fait tant valoir cette maxime : que Dieu agit toujours par les voies les plus simples, qu'il la pousse quelquefois trop loin, s'est-il pu mettre dans l'esprit que notre âme n'était pas capable de voir les corps immédiatement, mais seulement par le moyen de ces prétendus étres représentatifs, à qui il donne sans raison le nom d'idées ?

2. Je suppose que mon âme ne pense à aucun corps, mais qu'elle est occupée de la pensée de soi-même, ou à rechercher la propriété de quelque nombre. Il s'agit de savoir comment il se pourra faire qu'elle passe de cette pensée à celle du corps A. Vous voulez qu'elle ne le puisse que par le moyen d'un certain étre représen– tatif de ce corps A; mais je vous demande s'il suffira que cet étre représentatif, quel qu'il soit, créé ou incréé, soit intimement uni à mon âme, sans qu'il se fasse aucune nouvelle modification dans mon âme, c'est-à-dire sans qu'elle reçoive aucune nouvelle perception. Il est visible que non, car cet étre représentatif ne lui peut servir de rien si elle ne l'aperçoit. Or je suppose qu'elle ne l'apercevait pas auparavant; il faut donc nécessairement qu'elle en ait une nouvelle perception; or cette nouvelle perception sera-elle seulement la perception de l'étre représentatif, que j'appelerai B, ou si elle le sera aussi du corps A?

Si elle l'est de l'un et de l'autre, donc l'un et l'autre sera en même temps objectivement dans mon esprit, donc ce sera la perception de l'un et de l'autre qui sera l'objet immédiat de ma pensée, et ni l'un ni l'autre n'en sera que l'objet immédiat, selon ce qui a été dit dans le chap. VI. Et ainsi, afin qu'on pût dire que je vois B immédiatement et A médiatement, il faudrait que je les visse par deux perceptions différentes, et que celle de B fût cause de celle d'A.

Que si l'on dit que cette première perception n'est pas que la perception de l'être représentatif, il en faudra donc encore une seconde qui soit la perception du corps A. Car c'est le corps Α j'ai besoin de voir, parce qu'il me peut être utile ou dommageable à la conservation de ma machine; au lieu que l'être représentatif

que

qu'on voudrait que je visse auparavant n'y saurait faire ni bien ni mal. Puis donc qu'il en faut venir à la fin à la perception du corps A, sans laquelle mon âme, qui a besoin de le voir, ne le verrait jamais, et avec laquelle il est impossible qu'elle ne le voie, pourquoi l'Être infiniment parfait, qui agit toujours par les voies les plus simples, n'y serait-il pas venu tout d'un coup? et quelle apparence qu'il eût été chercher un détour aussi inutile que celui qu'on lui fait prendre pour exécuter la volonté qu'il a eue de rendre mon âme capable de voir les corps, et les corps capables d'être vus par mon âme? Car, comme j'ai déjà dit, cela a dû être réciproque et sa volonté s'est dû étendre aussi bien à l'un qu'à l'autre; ce qui prévient ce que l'on pourrait dire, que l'âme d'elle-même serait bien capable de voir immédiatement les corps, c'est-à-dire sans êtres représentatifs, puisqu'elle peut bien se voir ainsi elle-même; mais que c'est que les corps sont trop grossiers et trop disproportionnés à la spiritualité de l'âme, pour pouvoir être vus immédiatement.

Mais, comme on ne peut avoir que cette défaite, il est bon de l'examiner encore en particulier. Rien en vérité ne me paraît plus. étrange que de dire que les corps sont trop grossiers pour pouvoir être vus immédiatement par notre âme, car on aurait raison d'alléguer la grossièreté et l'imperfection des corps, s'il s'agissait de les rendre connaissants, comme on ne fait que trop souvent dans la philosophie commune, où l'on veut que les bêtes connaissent et que les plantes choisissent leur aliment, et que toutes les choses pesantes aillent chercher le centre de la terre comme le lieu de leur repos, ce qui ne se pourrait sans connaissance. Mais quand il s'agit seulement d'être connu, que peut faire à cela l'imperfection des choses matérielles? Connaître est sans doute une grande perfection en ce qui connaît, et ainsi ce qui est dans le plus bas degré de la nature intelligente est quelque chose sans comparaison de beaucoup plus grand et plus admirable que tout ce qu'il y a de plus accompli dans la nature corporelle; mais être connu n'est qu'une simple dénomination dans l'objet connu, et il suffit pour cela de n'être pas un pur néant, car il n'y a que le néant qui soit incapable d'être connu, et être connaissable, pour parler ainsi, est une propriété inséparable de l'être, aussi bien que d'être un, d'être vrai et d'être bon, ou plutôt c'est la même chose que d'être vrai, ce qui est vrai étant l'objet de l'entendement, comme ce qui est bon est l'objet de la volonté. De sorte que c'est l'imagination du monde la plus mal fondée de vouloir qu'un corps, comme corps,

ne soit pas un objet proportionné à l'âme pour ce qui est d'en être connu.

Il paraît aussi que l'auteur de la Recherche de la Vérité ne s'arrête point à la matérialité des corps, pour les rendre incapables d'être connus immédiatement par mon âme; puisque, si on l'en croit, elle ne saurait non plus connaître immédiatement les âmes des autres hommes. Et comme il prétend en même temps que nous ne les connaissons ni en elles-mêmes ni par idée, il se réduit à dire que nous ne les connaissons que par conjecture: sur quoi j'aurais bien des choses à dire, mais cela me détournerait trop de mon sujet.

A quoi donc en reviendra-t-on? Ce sera sans doute à cette union intime, que l'on prétend que tous les objets de notre esprit doivent avoir avec notre âme, afin d'être en état d'en pouvoir être connus immédiatement. Or ni les corps, quels qu'ils soient, ni les âmes des autres hommes, ne peuvent être unis intimement à mon âme : donc ils n'en peuvent être connus immédiatement.

Mais n'y a-t-il qu'à donner à Dieu des lois bizarres et sans fondement? N'y a-t-il qu'à l'assujettir aux vaines imaginations des philosophes, pour l'obliger, lui, qui agit toujours par les voies les plus simples, à prendre un aussi étrange circuit que l'on voudrait qu'il prît pour exécuter la volonté qu'il a de faire connaître à notre âme les choses matérielles? Je n'aurai donc qu'à dire aussi qu'on ne peut concevoir qu'un corps sorte de son repos, qu'on ne le pousse; et qu'il ne saurait être poussé que par quelque vertu, ni continuer son mouvement que cette vertu ne continue de le pousser, et que c'est ce qui s'appelle vertu impresse : et qu'ainsi, puisque l'on veut maintenant que ce soit Dieu qui donne le mouvement à tous les corps particuliers, il faudra que ce soit aussi par une vertu impresse, qui n'est guère moins universellement reconnue par les philosophes de l'école que ces étres représentatifs des objets. Car, quelle raison pourra-t-on avoir pour rejeter cette dernière pensée, que je n'aie aussi pour rejeter la première ?

On dira que la nécessité de cette vertu impresse, pour faire continuer le mouvement aux corps que l'on jette, est une imagination que l'on a supposée sans l'avoir bien examinée, et qu'on ne saurait appuyer d'aucune preuve valable. J'en dis autant de la prétendue nécessité que l'on a supposé avec aussi peu de fondement qu'avaient tous les objets de notre esprit d'être unis intimement à notre âme, afin d'être en état d'en pouvoir être connus. On dira que, laissant là cette vertu impresse, il est impossible

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