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objective, un artifice objectif, etc. Car tout ce que nous conce«vons comme étant dans les objets des idées, tout cela est objec«tivement ou par représentation dans les idées mêmes.

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Il paraît par ces deux définitions, aussi bien que par beaucoup d'autres choses, qu'il dit dans sa troisième Méditation et dans la cinquième, que ce qu'il appelle idée, et sur quoi il fonde ensuite ses démonstrations de Dieu et de l'âme, n'est point réellement distingué de notre pensée ou perception, mais que c'est notre pensée même, en tant qu'elle contient objectivement ce qui est formellement dans l'objet. Et il paraît que c'est cette idée qu'il dit être l'objet immédiat de notre pensée, per cujus immediatam perceptionem, etc., parce que la pensée se connaît soi-même, et que je ne pense à rien, cujus non conscius sim. Et par conséquent, il n'a pas eu besoin, non plus que moi, d'avoir recours à un étre représentatif, distingué de ma pensée, pour admettre ces propositions qui sont très vraies étant bien entendues: Que ce sont les idées des choses que nous voyons immédiatement, ou que c'est ce qui est l'objet immédiat de notre pensée,

Ce n'est encore qu'en ce sens qu'il prend le mot d'idée dans cette proposition, qu'il prétend avec raison être le fondement de toutes les sciences naturelles: Tout ce que je vois clairement étre enfermé dans l'idée d'une chose peut avec vérité étre affirmé de cette chose. Si, consultant l'idée que j'ai d'un triangle (par une réflexion sur la perception que j'en ai), je trouve que l'égalité de ses trois angles à deux droits est enfermée dans cette idée ou perception, je puis affirmer avec vérité que tout triangle a trois angles égaux à deux droits.

Et enfin c'est en prenant toujours le mot d'idée dans le même sens, et non pour un être représentatif distingué de la perception, qu'il a prouvé l'existence de Dieu par une démonstration que l'auteur de la Recherche de la Vérité dit (p. 201) en être la plus belle preuve, la plus relevée, la plus solide, et la première, c'est-à-dire celle qui suppose le moins de chose. La voici:

Tout ce qui est manifestement enfermé dans l'idée d'une chose en peut être affirmé avec vérité.

Or, l'existence nécessaire est manifestement enfermée dans l'idée que nous avons tous de l'être infiniment parfait.

. On peut donc affirmer de l'être infiniment parfait qu'il est et qu'il existe.

Il est visible que dans cette démonstration le mot d'idée ne se peut prendre que pour la perception de l'être parfait, et non pour

l'être parfait même en tant qu'il est intimement uni à notre âme pour y tenir lieu de cet être représentatif, distingué des perceptions, dont on suppose que nous avons besoin pour concevoir les choses matérielles. Car, en prenant le mot d'idée dans ce dernier sens, cette démonstration que notre ami dit être si belle, si relevée et si solide, ne serait que le sophisme qu'on appelle pétition de principe; puisque je ne pourrais tirer la conclusion, donc l'être parfait existe, qu'en supposant dans la mineure qu'il est par luiméme intimement uni à mon âme, et par conséquent qu'il existe. J'aurai occasion de parler de cela plus au long en un autre endroit. Tout ce que j'en veux conclure ici est que je n'ai point besoin de reconnaître d'autres idées que celles que j'ai définies qui ne sont point distinguées des perceptions pour demeurer d'accord de la vérité de ces façons de parler: Nous ne voyons point immédiatement les choses, et ce sont leurs idées qui sont l'objet immédiat de nos pensées.

ON VOIT AUSSI ce qu'on doit entendre, quand on dit que c'est dans l'idée de chaque chose qu'on en voit les propriétés; et rien assurément n'est plus inutile pour cela que cet étre représentatif distingué des perceptions duquel on voudrait que notre esprit eût besoin pour concevoir les nombres et l'étendue.

Je ne puis mieux faire, ce me semble, pour éclaircir cela, que de proposer un exemple, où je ne supposerai rien que tout le monde ne reconnaisse se passer ainsi dans son esprit, pourvu qu'il ne porte point sa vue ailleurs, et qu'il ne se détourne point à penser comment se peut faire en lui ce qu'il ne peut pas douter qui ne s'y fasse.

Le philosophe Thalès, ayant à payer 20 ouvriers à une drachme chacun, compte 20 drachmes et les leur donne. Cela ne s'est pu faire qu'il n'y ait eu au moins deux perceptions dans son esprit : l'une de 20 hommes, l'autre de 20 drachmes. Et j'avertis, une fois pour toutes, qu'idée et perception n'est dans mon Dictionnaire que la même chose et qu'ainsi, quand je me servirai du mot d'idée ou de l'idée d'un objet, je n'entendrai par là que la perception d'un objet.

Étant de loisir, il se met à rêver : et considérant ce qu'il y a de commun dans ces deux perceptions ou idées qui est que dans l'une ou dans l'autre il y a 20, il en retranche ce qu'elles ont de particulier, et il en fait une idée abstraite du nombre de 20 qu'il peut ensuite appliquer à 20 chevaux, à 20 maisons, à 20 stades. C'est une troisième idée ou perception.

Il s'avise de plus de réfléchir sur cette idée abstraite du nombre de 20, c'est-à-dire qu'il la considère avec plus d'attention par une vue réfléchie qui est une des plus admirables facultés de notre esprit. Et la première chose qu'il y découvre est qu'il peut être partagé en deux moitiés égales. Car il voit sans peine qu'en mettant 10 d'un côté et 10 de l'autre, cela fait 20; et il voit en même temps que, s'il avait ajouté 1 à 20, le nombre de 21 ne se pourrait pas partager en deux moitiés égales, parce que le plus près que l'on pourrait approcher du partage juste serait de mettre 10 d'un côté et 11 de l'autre. Et cela lui fait juger qu'il est bon de distinguer par des mots particuliers les nombres qui se peuvent ou ne se peuvent pas partager en deux moitiés égales, en appelant les uns pairs et les autres impairs.

Considérant ensuite ce qui est encore enfermé dans cette idée ou perception du nombre de 20, il recherche quelles mesures il peut avoir, c'est-à-dire quels nombres étant pris tant de fois font justement ce nombre de 20. Il commence par l'unité, et il voit tout d'un coup que l'unité en doit être une des mesures, puisque l'unité prise vingt fois fait 20. D'où il est aisé de faire une règle générale, qui est que l'unité est la mesure de tous les nombres, puisqu'elle l'est de soi-même, un étant un, et que chacun de tous les autres nombres n'est qu'une certaine multitude d'unités.

Il prend 2 ensuite, et il trouve que 2 est encore une mesure de 20. Car en comptant 2 à 2, 2, 4, 6, etc., après avoir fait cela dix fois, il arrive justement à 20.

Il prend 3, et il trouve que ce n'est point une mesure de 20. Car en comptant 3 à 3, 3, 6, 9, 12, etc., après avoir fait cela six fois, il arrive à 18, après quoi il n'y a plus que 2 jusqu'à 20.

Il prend 4, et trouve que c'est une mesure de 20, parce que 4 pris cinq fois fait justement 20.

Il trouve la même chose de 5, parce que 5 pris 4 fois fait justement 20.

Il trouve ensuite que ni 6, ni 7, ni 8, ni 9, ne peuvent être des mesures de 20, par la même raison qu'il a trouvé que 3 ne le pouvait être.

Mais il trouve que 10 en est une mesure, parce que dix fois 2 font 20.

Mais que ni 11, ni 12, ni 13, ni 14, ni 15, ni 16, ni 17, ni 18, ni 19, ne peuvent, étant pris tant de fois, faire justement 20, et ainsi n'en peuvent être la mesure.

Mais que 20 la peut être, parce qu'une fois 20 est 20.

Il fait ensuite sur tout cela diverses autres réflexions.

La première, que pouvant y avoir des nombres qui n'ont point d'autre mesure que l'unité et eux-mêmes, il est bon de leur donner un nom qui les distingue des autres, et qu'on les peut appeler nombres premiers.

La deuxième, que tous les nombres pairs, pouvant étre partagés en deux moitiés égales, ont tous 2 pour leur mesure.

La troisième, que de tous les nombres pairs il n'y a que 2 qui soit un nombre premier, parce qu'il est le seul de tous les pairs qui n'ait pour mesure que l'unité et soi-même.

Je ne pousse pas cela plus loin. Mais voici les réflexions que j'y fais. La première, que je ne suppose aucuns étres représentatifs, mais seulement que ce philosophe a eu d'abord les deux perceptions directes de 20 hommes et de 20 drachmes, sans se mettre en peine d'où il les a eues. Et je veux bien, si on le veut, que ce soit Dieu qui les lui ait données à l'occasion des mouvements corpore's qui se sont faits dans les organes de ses sens et dans son cerveau. Quoi qu'il en soit, de quelque opinion que l'on soit sur cela, on ne peut nier qu'il n'ait eu ces deux perceptions, puisque l'on suppose qu'il a aperçu, qu'il a connu ces 20 hommes et ces 20 drachmes, et qu'il n'est pas possible aussi qu'il n'ait aperçu, qu'il n'ait connu ces 20 hommes et ces 20 drachmes, pourvu qu'il ait eu ces deux perceptions, de quelque part qu'il les ait eues, ce qui ne regarde point la nature des idées, mais leur origine.

La deuxième est que ces deux perceptions que j'appelle idées étant une fois posées, on ne peut nier que notre esprit n'ait la faculté de faire tout ce que j'ai fait faire à ce philosophe. Car nous le faisons tous les jours; et ainsi nous sommes assurés que nous le pouvons faire, certissima scientia et clamante scientia, comme dit saint Augustin. Or c'est cela proprement qu'on doit appeler voir les propriétés des choses dans leurs idées : voir dans l'idée de l'étendue qu'elle doit être divisible et mobile : voir dans l'idée de l'esprit que ce doit être une substance distinguée réellement de la substance étendue: voir dans l'idée de Dieu, c'est-à-dire dans l'idée de l'être parfait, qu'il faut nécessairement qu'il existe : voir dans l'idée d'un triangle qu'il faut nécessairement que ces trois angles soient égaux à deux droits. On n'a besoin pour cela que de comprendre que notre esprit a le pouvoir de réfléchir sur ses pensées; et lorsqu'il a une fois la perception d'un objet, de le considérer avec plus d'attention.

On n'en peut douter: et c'est d'où dépendent toutes les sciences,

surtout les abstraites, comme la métaphysique, la géométrie, l'arithmétique, l'algèbre. Car on n'y fait autre chose que de concevoir nettement et distinctement les objets les plus simples, à quoi servent les définitions. On y joint les rapports les plus faciles à connaître entre ces objets simples, ce qui fait les axiomes. Et de là par de simples réflexions sur ces premières connaissances ( et non sur des étres représentatifs imaginaires) on tire cette chaîne admirable de conclusions, qui forcent par leur évidence tous les esprits raisonnables à s'y rendre, en vertu de cet unique principe: Que tout ce qui est contenu dans la vraie idée d'une chose (c'est-à-dire dans la perception claire que nous en avons) en peut être affirmé avec vérité. Et il faut que ce soit Dieu qui nous ait donné une inclination invincible d'acquiescer à cela, et de le prendre pour le fondement de toute la certitude humaine; puisque, s'il y a des gens qui peuvent dire de parole qu'ils n'y acquiescent pas, ils ne laissent pas d'y acquiescer en effet, comme il paraît en ce que les sciences, où l'on s'applique uniquement à consulter ces idées, c'est-à-dire les perceptions naturelles que nous avons des choses, et à pénétrer ce qui est enfermé dans ces idées, telles que sont l'arithmétique, l'algèbre, la géométrie, se font recevoir par tout le monde pour indubitables.

Mais, comme mon principal but dans ce chapitre a été de démêler l'équivoque du mot immédiatement, je déclare ici que, si par concevoir immédiatement le soleil, un carré, un nombre cubique, on entend ce qui est opposé à les concevoir par le moyen des idées, telles que je les ai définies dans le chapitre précédent, c'est-à-dire par des idées non distinctes des perceptions; je demeure d'accord que nous ne les voyons point immédiatement; parce qu'il est plus clair que le jour que nous ne les pouvons voir, apercevoir, connaître que par les perceptions que nous en avons, de quelque manière que ce soit que nous les ayons. Mais il est clair aussi que cela n'est pas moins vrai de la manière dont nous concevons Dieu et notre âme, que de celle dont nous concevons les choses matérielles. Que si par ne les pas connaître immédiatement on entend ne les pouvoir connaître que par des étres représentatifs distingués des perceptions, je prétends que selon ce sens ce n'est pas seulement médiatement, mais aussi immédiatement, que nous pouvons connaître les choses matérielles aussi bien que Dieu et notre âme, c'est-à-dire que nous ne les pouvons connaître sans qu'il y ait aucun milieu entre nos perceptions et l'objet je dis nos perceptions, parce que j'avoue que nous avons souvent besoin de la percep

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