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clair et très certain; mais je ne vois point de rencontre où il puisse jamais servir à nous donner aucune connaissance. Je crois donc que ceux-ci pourront être plus utiles. Je commencerai par celui que nous venons d'expliquer.

AXIOME I. Tout ce qui est renfermé dans l'idée claire et distincte d'une chose peut en étre affirmé avec vérité.

AXIOME II. L'existence, au moins possible, est renfermée dans l'idée de tout ce que nous concevons clairement et distinctement.

Car, dès-là qu'une chose est conçue clairement, nous ne pouvons pas ne point la regarder comme pouvant être, puisqu'il n'y a que la contradiction qui se trouve entre nos idées qui nous fait croire qu'une chose ne peut être; or il ne peut y avoir de contradiction dans une idée lorsqu'elle est claire et distincte.

AXIOME III. Le néant ne peut être cause d'aucune chose. Il naît d'autres axiomes de celui-ci, qui peuvent en être appelés des corollaires, tels que sont les suivants.

AXIOME IV, OU 1er COROLLAIRE DU 3o. Aucune chose ni aucune perfection de cette chose actuellement existante ne peut avoir le néant ou une chose non existante pour cause de son existence.

AXIOME V, OU 2o COROLLAIRE DU 3o. Toute la réalité ou perfection qui est dans une chose, se rencontre formellement ou éminemment dans sa cause première et totale.

AXIOME VI, OU 3o COROLLAIRE DU 3o. Nul corps ne peut se mouvoir soi-même, c'est-à-dire se donner le mouvement, n'en ayant point.

Ce principe est si évident naturellement, que c'est ce qui a introduit les formes substantielles et les qualités réelles de pesanteur et de légèreté; car les philosophes voyant, d'une part, qu'il était impossible que ce qui devait être mu se mût soi-même, et s'étant faussement persuadés, de l'autre, qu'il n'y avait rien hors la pierre qui poussât en bas une pierre qui tombait, ils se sont crus obligés de distinguer deux choses dans une pierre, la matière qui recevait le mouvement, et la forme substantielle aidée de l'accident de la pesanteur qui le donnait; ne prenant pas garde, ou qu'ils tombaient par là dans l'inconvénient qu'ils voulaient éviter, si cette forme était elle-même matérielle, c'est-à-dire une

vraie matière; ou que si elle n'était pas matière, ce devait être une substance qui en fût réellement distincte; ce qu'il leur était impossible de concevoir clairement, à moins que de la concevoir comme un esprit, c'est-à-dire une substauce qui pense, comme est véritablement la forme de l'homme, et non pas celle de tous les autres corps.

AXIOME VII, OU 4 COROLLAIRE DU 3e. Nul corps ne peut en mouvoir un autre, s'il n'est mu lui-même : car si un corps étant en repos ne peut se donner le mouvement à soi-même, il peut encore moins le donner à un autre corps.

AXIOME VIII. On ne doit pas nier ce qui est clair et évident pour ne pouvoir comprendre ce qui est obscur.

AXIOME IX. Il est de la nature d'un esprit fini de ne pouvoir comprendre l'infini.

AXIOME X. Le témoignage d'une personne infiniment puissante, infiniment sage, infiniment bonne et infiniment véritable, doit avoir plus de force pour persuader notre esprit que les raisons les plus convaincantes.

Car nous devons être plus assurés que celui qui est infiniment intelligent ne se trompe pas, et que celui qui est infiniment bon ne nous trompe pas, que nous ne sommes assurés que nous ne nous trompons pas dans les choses les plus claires.

Ces trois derniers axiomes sont le fondement de la foi, de laquelle nous pourrons dire quelque chose plus bas.

AXIOME XI. Les faits dont les sens peuvent juger facilement étant attestés par un très grand nombre de personnes de divers temps, de diverses nations, de divers intérêts, qui en parlent comme les sachant par eux-mêmes, et qu'on ne peut soupçonner d'avoir conspiré ensemble pour appuyer un mensonge, doivent passer pour aussi constants et indubitables que si on les avait vus de ses propres yeux.

C'est le fondement de la plupart de nos connaissances, y ayant infiniment plus de choses que nous savons par cette voie que ne sont celles que nous savons par nous-mêmes.

CHAPITRE VIII.

Des règles qui regardent les démonstrations.

Une vraie démonstration demande deux choses: l'une, que dans la matière il n'y ait rien que de certain et indubitable; l'autre, qu'il n'y ait rien de vicieux dans la forme d'argumenter; or, on aura certainement l'un et l'autre, si l'on observe les deux règles que nous avons posées.

Car il n'y aura rien que de véritable et de certain dans la matière, si toutes les propositions qu'on avancera pour servir de preuves sont :

Ou les définitions des mots qu'on aura expliqués, qui, étant arbitraires, ne peuvent être contestées;

Ou les axiomes qui auront été accordés, et que l'on n'a point dû supposer s'ils n'étaient clairs et évidents d'eux-mêmes par la 3e règle;

Ou des propositions déjà démontrées, et qui, par conséquent, sont devenues claires et évidentes par la démonstration qu'on en a faite;

Ou la construction de la chose même dont il s'agira lorsqu'il y aura quelque opération à faire, ce qui doit être aussi indubitable que le reste, puisque cette construction doit avoir été auparavant démontrée possible, s'il y avait quelque doute qu'elle ne le fût pas.

Il est donc clair qu'en observant la première règle, on n'avancera jamais pour preuve aucune proposition qui ne soit certaine et évidente.

Il est aussi aisé de montrer qu'on ne péchera point contre la forme de l'argumentation, en observant la seconde règle, qui est de n'abuser jamais de l'équivoque des termes, en manquant d'y substituer mentalement les définitions qui les restreignent et les expliquent.

Car s'il arrive jamais qu'on pèche contre les règles des syllogismes, c'est en se trompant dans l'équivoque de quelque terme, et le prenant en un sens dans l'une des propositions, et en un autre sens dans l'autre, ce qui arrive principalement dans le moyen du syllogisme, qui, étant pris en deux divers sens dans les deux premières propositions, est le défaut le plus ordinaire des arguments vicieux. Or, il est clair qu'on évitera ce défaut si l'on observe celte seconde règle.

Ce n'est pas qu'il n'y ait encore d'autres vices de l'argumentation outre celui qui vient de l'équivoque des termes; mais c'est qu'il est presque impossible qu'un homme d'un esprit médiocre, et qui a quelque lumière, y tombe jamais, surtout en des matières spéculatives, et ainsi il serait inutile d'avertir d'y prendre garde et d'en donner des règles ; et cela serait même nuisible, parce que l'application qu'on aurait à ces règles superflues pourrait divertir de l'attention qu'on doit avoir aux nécessaires. Aussi nous ne voyons point que les géomètres se mettent jamais en peine de la forme de leurs arguments, ni qu'ils pensent à les conformer aux règles de la logique, sans qu'ils y manquent néanmoins, parce que cela se fait naturellement et n'a pas besoin d'étude.

Il y a encore une observation à faire sur les propositions qui ont besoin d'être démontrées. C'est qu'on ne doit pas mettre de ce nombre celles qui peuvent l'être par l'application de la règle de l'évidence à chaque proposition évidente; car si cela était, il n'y aurait presque point d'axiome qui n'eût besoin d'être démontré, puisqu'ils peuvent l'être presque tous par celui que nous avons dit pouvoir être pris pour le fondement de toute évidence: Tout ce que l'on voit clairement étre contenu dans une idée claire et distincte, peut en être affirmé avec vérité. On peut dire, par exemple:

Tout ce qu'on voit clairement être contenu dans une idée claire et distincte, peut en étre affirmé avec vérité :

Or, on voit clairement que l'idée claire et distincte qu'on a du tout, enferme d'être plus grand que sa partie:

Donc on peut affirmer avec vérité que le tout est plus grand que sa partie.

Mais, quoique cette preuve soit très bonne, elle n'est pas néanmoins nécessaire, parce que notre esprit supplée cette majeure, sans avoir besoin d'y faire une attention particulière; et ainsi voit clairement et évidemment que le tout est plus grand que sa partie, sans qu'il ait besoin de faire réflexion d'où lui vient cette évidence; car ce sont deux choses différentes, de connaître évidemment une chose, et de savoir d'où nous vient cette évidence.

CHAPITRE IX.

De quelques défauts qui se rencontrent d'ordinaire dans la méthode des géomètres.

Nous avons vu ce que la méthode des géomètres a de bon, que nous avons réduit à cinq règles qu'on ne peut trop avoir dans l'es

prit; et il faut avouer qu'il n'y a rien de plus admirable que d'avoir découvert tant de choses si cachées, et les avoir démontrées par des raisons si fermes et si invincibles, en se servant de si peu de règles de sorte qu'entre tous les philosophes ils ont seuls cet avantage d'avoir banni de leur école et de leurs livres la contestation et la dispute.

Néanmoins, si l'on veut juger des choses sans préoccupation, comme on ne peut leur ôter la gloire d'avoir suivi une voie beaucoup plus assurée que tous les autres pour trouver la vérité, on ne peut nier aussi qu'ils ne soient tombés en quelques défauts qui ne les détournent pas de leur fin, mais qui font seulement qu'ils n'y arrivent pas par la voie la plus droite et la plus commode; c'est ce que je tâcherai de montrer, en tirant d'Euclide même les exemples de ces défauts.

DÉFAUT I. Avoir plus de soin de la certitude que de l'évidence, et de convaincre l'esprit que de l'éclairer.

Les géomètres sont louables de n'avoir rien voulu avancer que de convaincant; mais il semble qu'ils n'ont pas assez pris garde qu'il ne suffit pas, pour avoir une parfaite science de quelque vérité d'être convaincu que cela est vrai, si de plus on ne pénètre, par des raisons prises de la nature de la chose même, pourquoi cela est vrai; car, jusqu'à ce que nous soyons arrivés à ce point-là, notre esprit n'est point pleinement satisfait, et cherche encore une plus grande connaissance que celle qu'il a : ce qui est une marque qu'il n'a point encore la vraie science. On peut dire que ce défaut est la source de presque tous les autres que nous remarquerons, et ainsi il n'est pas nécessaire de l'expliquer davantage, parce que nous le ferons assez dans la suite.

DÉFAUT II. Prouver des choses qui n'ont pas besoin de preuves.

Les géomètres avouent qu'il ne faut pas s'arrêter à vouloir prouver ce qui est clair de soi-même. Ils le font néanmoins souvent, parce que, s'étant plus attachés à convaincre l'esprit qu'à l'éclairer, comme nous venons de dire, ils croient qu'ils le convaincront mieux en trouvant quelque preuve des choses même les plus évidentes, qu'en les proposant simplement, et laissant à l'esprit d'en reconnaître l'évidence.

C'est ce qui a porté Euclide à prouver que les deux côtés d'un triangle pris ensemble sont plus grands qu'un seul 106, quoique cela soit évident par la seule notion de la ligne droite, qui est la plus

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