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pliquer ce qu'a voulu dire un auteur par des paroles obscures et ambiguës.

Les questions de choses peuvent se réduire à quatre principales espèces.

La 1re est quand on cherche les causes par les effets. On sait, par exemple, les divers effets de l'aimant ; on en cherche la cause: on sait les divers effets qu'on a accoutumé d'attribuer à l'horreur du vide; on cherche si c'en est la vraie cause, et on a trouvé que non on connaît le flux et le reflux de la mer; on demande quelle peut être la cause d'un si grand mouvement et si réglé.

La 2o est quand on cherche les effets par les causes. On a su, par exemple, de tout temps, que le vent et l'eau avaient grande force pour mouvoir les corps; mais les anciens n'ayant pas assez examiné quels pouvaient être les effets de ces causes, ne les avaient point appliqués, comme on a fait depuis, par le moyen des moulins, à un grand nombre de choses très utiles à la société humaine, et qui soulagent notablement le travail des hommes ; ce qui devrait être le fruit de la vraie physique : de sorte que l'on peut dire que la première sorte de questions, où l'on cherche les causes par les effets, fait toute la spéculation de la physique; et que la seconde sorte, où l'on cherche les effets par les causes, en fait toute la pratique.

La 3o espèce des questions est, quand par les parties on cherche le tout; comme lorsqu'ayant plusieurs nombres, on en cherche la somme, en les ajoutant l'un à l'autre ; ou qu'en ayant deux, on en cherche le produit, en les multipliant un par l'autre.

La 4 est quand, ayant le tout et quelque partie, on cherche une autre partie; comme lorsqu'ayant un nombre et ce que l'on en doit ôter, on cherche ce qui restera; ou qu'ayant un nombre, on cherche quelle en sera la tantième partie.

Mais il faut remarquer que, pour étendre plus loin ces deux dernières sortes de questions, et afin qu'elles comprennent ce qui ne pourrait pas proprement se rapporter aux deux premières, il faut prendre le mot de partie plus généralement pour tout ce que comprend une chose, ses modes, ses extrémités, ses accidents, ses propriétés, et généralement tous ses attributs de sorte que ce sera, par exemple, chercher un tout par ses parties, que de chercher l'aire d'un triangle par sa hauteur et par sa base; et ce sera, au contraire, chercher une partie par le tout et une autre partie, que de chercher le côté d'un rectangle par la connaissance qu'on a de son aire et de l'un de ses côtés.

Or, de quelque nature que soit la question que l'on propose à résoudre, la première chose qu'il faut faire est de concevoir nettement et distinctement ce que c'est précisément qu'on demande, c'est-à-dire quel est le point précis de la question.

Car il faut éviter ce qui arrive à plusieurs, qui, par une précipitation d'esprit, s'appliquent à résoudre ce qu'on leur propose avant que d'avoir assez considéré par quels signes et par quelles marques ils pourront reconnaître ce qu'ils cherchent, quand ils le rencontreront comme si un valet à qui son maître aurait commandé de chercher l'un de ses amis, se hâtait d'y aller avant que d'avoir su plus particulièrement de son maître quel est cet ami.

Or, encore que dans toute question il y ait quelque chose d'inconnu, autrement il n'y aurait rien à chercher, il faut néanmoins que cela même qui est inconnu soit marqué et désigné par de certaines conditions qui nous déterminent à rechercher une chose plutôt qu'une autre, et qui puissent nous faire juger, quand nous l'aurons trouvée, que c'est ce que nous cherchions.

Et ce sont ces conditions que nous devons bien envisager d'abord, en prenant garde de n'en point ajouter qui ne soient pas enfermées dans ce que l'on a proposé, et de n'en point omettre qui y seraient enfermées ; car on peut pécher en l'une et en l'autre manière.

On pécherait en la première manière, si, lors, par exemple, que l'on nous demande quel est l'animal qui, au matin, marche à quatre pieds, à midi à deux, et au soir à trois, on se croyait astreint de prendre tous ces mots de pied, de matin, de midi, de soir dans leur propre et naturelle signification; car celui qui propose cette énigme n'a point mis pour condition qu'on dût les prendre de la sorte; mais il suffit que ces mots puissent, par métaphore, se rapporter à autre chose; et ainsi cette question est bien résolue, quand on a dit que cet animal est l'homme.

Supposons encore qu'on nous demande par quel artifice pouvait avoir été faite la figure d'un Tantale, qui, étant couché sur une colonne, au milieu d'un vase, en posture d'un homme qui se penche pour boire, ne pouvait jamais le faire, parce que l'eau pouvait bien monter dans le vase jusqu'à sa bouche, mais s'enfuyait toute sans qu'il en demeurât rien dans le vase aussitôt qu'elle était arrivée jusqu'à ses lèvres; on pécherait, en ajoutant des conditions qui ne serviraient de rien à la solution de cette demande, si on s'amusait à chercher quelque secret merveilleux dans la figure de ce Tantale qui ferait fuir cette eau aussitôt ARNAULD.

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qu'elle aurait touché ses lèvres, car cela n'est point enfermé dans la question; et si on la conçoit bien, on doit la réduire à ces termes, de faire un vase qui tienne l'eau, n'étant plein que jusqu'à une certaine hauteur, et qui la laisse toute aller, si on le remplit davantage; et cela est fort aisé; car il ne faut que cacher un syphon dans la colonne qui ait un petit trou en bas par où l'eau y entre, et dont la plus longue jambe ait son ouverture par-dessous le pied du vase: tant que l'eau que l'on mettra dans le vase ne sera pas arrivée au haut du syphon, elle y demeurera; mais quand elle y sera arrivée, elle s'enfuira toute par la plus longue jambe du syphon qui est ouverte au-dessous du pied du vase.

On demande encore quel pouvait être le secret de ce buveur d'eau qui se fit voir à Paris, il y a vingt ans, et comment il pouvait se faire qu'en jetant de l'eau de sa bouche, il remplit en même temps cinq ou six verres différents d'eaux de diverses couleurs. Si on s'imagine que ces eaux de diverses couleurs étaient dans son estomac, et qu'il les séparait en les jetant l'une dans un verre et l'autre dans l'autre, on cherchera un secret que l'on ne trouvera jamais, parce qu'il n'est pas possible: au lieu qu'on n'a qu'à chercher pourquoi l'eau sortie en même temps de la même bouche paraissait de diverses couleurs dans chacun de ces verres; et il y a grande apparence que cela venait de quelque teinture qu'il avait mise au fond de ces verres.

C'est aussi l'artifice de ceux qui proposent des questions qu'ils ne veulent pas que l'on puisse résoudre facilement, d'environner ce qu'on doit trouver de tant de conditions inutiles, et qui ne servent de rien à le faire trouver, que l'on ne puisse pas facilement découvrir le vrai point de la question, et qu'ainsi on perde le temps, et on se fatigue inutilement l'esprit en s'arrêtant à des choses qui ne peuvent contribuer en rien à la résoudre.

L'autre manière dont on pèche, dans l'examen des conditions de ce que l'on cherche, est quand on en omet qui sont essentielles à la question que l'on propose. On propose, par exemple, de trouver par art le mouvement perpétuel; car on sait bien qu'il y en a de perpétuels dans la nature, comme sont les mouvements des fontaines, des rivières, des astres. Il y en a qui, s'étant imaginé que la terre tourne sur son centre, et que ce n'est qu'un gros aimant dont la pierre d'aimant a toutes les propriétés, ont cru aussi qu'on pourrait disposer un aimant de telle sorte qu'il tournerait toujours circulairement; mais quand cela serait, on n'aurait pas satisfait au problème de trouver par art le mouvement perpé

tuel, puisque ce mouvement serait aussi naturel que celui d'une roue qu'on expose au courant d'une rivière.

Lors donc qu'on a bien examiné les conditions qui désignent et qui marquent ce qu'il y a d'inconnu dans la question, il faut ensuite examiner ce qu'il y a de connu, puisque c'est par là qu'on doit arriver à la connaissance de ce qui est inconnu; car il ne faut pas nous imaginer que nous devions trouver un nouveau genre d'être, au lieu que notre lumière ne peut s'étendre qu'à reconnaître que ce que l'on cherche participe en telle et telle manière à la nature des choses qui nous sont connues. Si un homme, par exemple, était aveugle de naissance, on se tuerait en vain de chercher des arguments et des preuves pour lui faire avoir les vraies idées des couleurs telles que nous les avons par les sens et de même, si l'aimant, et les autres corps dont on cherche la nature, était un nouveau genre d'être, et tel que notre esprit n'en aurait point conçu de semblable, nous ne devrions pas nous attendre de le connaître jamais par raisonnement; mais nous aurions besoin pour cela d'un autre esprit que le nôtre. Et ainsi, on doit croire avoir trouvé tout ce qui peut se trouver par l'esprit humain, si on peut concevoir distinctement un tel mélange des êtres et des natures qui nous sont connues, qu'il produise tous les effets que nous voyons dans l'aimant 97.

Or, c'est dans l'attention que l'on fait, à ce qu'il y a de connu dans la question que l'on veut résoudre, que consiste principalement l'analyse; tout l'art étant de tirer de cet examen beaucoup de vérités qui puissent nous mener à la connaissance de ce que nous cherchons.

Comme si l'on propose: Si l'âme de l'homme est immortelle, et que, pour le chercher on s'applique à considérer la nature de notre âme, on y remarque, premièrement, que c'est le propre de l'âme de penser, et qu'elle pourrait douter de tout, sans pouvoir douter si elle pense, puisque le doute même est une pensée. On examine ensuite ce que c'est que de penser; et, ne voyant point que dans l'idée de la pensée il y ait rien d'enfermé de ce qui est enfermé dans l'idée de la substance étendue qu'on appelle corps, et qu'on peut même nier de la pensée tout ce qui appartient au corps, comme d'être long, large, profond, d'avoir diversité de parties, d'être d'une telle ou d'une telle figure, d'être divisible, etc., sans détruire pour cela l'idée qu'on a de la pensée; on en conclut que la pensée n'est point un mode de la substance étendue, parce qu'il est de la nature du mode de ne pouvoir être

conçu en niant de lui la chose dont il serait mode. D'où l'on infère encore que la pensée n'étant point un mode de la substance étendue, il faut que ce soit l'attribut d'une autre substance; et qu'ainsi la substance qui pense et la substance étendue soient deux substances réellement distinctes. D'où il s'ensuit que la destruction de l'une ne doit point emporter la destruction de l'autre; puisque même la substance étendue n'est point proprement détruite, mais que tout ce qui arrive, en ce que nous appelons destruction, n'est autre chose que le changement ou la dissolution de quelques parties de la matière qui demeure toujours dans la nature, comme nous jugeons fort bien qu'en rompant toutes les roues d'une horloge, il n'y a point de substance détruite, quoique l'on dise que cette horloge est détruite: ce qui fait voir que l'âme, n'étant point divisible et composée d'aucunes parties, ne peut périr, et par conséquent qu'elle est immortelle.

Voilà ce qu'on appelle analyse ou résolution, où il faut remarquer 1o qu'on doit y pratiquer, aussi bien que dans la méthode qu'on appelle de composition, de passer toujours de ce qui est plus connu à ce qui l'est moins; car il n'y a point de vraie méthode qui puisse se dispenser de cette règle.

2o Mais qu'elle diffère de celle de composition, en ce que l'on prend ces vérités connues dans l'examen particulier de la chose que l'on se propose de connaître, et non dans les choses plus générales, comme on fait dans la méthode de doctrine. Ainsi, dans l'exemple que nous avons proposé, on ne commence pas par l'éta blissement de ces maximes générales: Que nulle substance ne périt à proprement parler; que ce qu'on appelle destruction n'est qu'une dissolution de parties; qu'ainsi ce qui n'a point de parties ne peut être détruit, etc.; mais on monte par degrés à ces connaissances générales.

3o On n'y propose les maximes claires et évidentes qu'à mesure qu'on en a besoin, au lieu que dans l'autre on les établit d'abord, ainsi que nous dirons plus bas.

4o Enfin, ces deux méthodes ne diffèrent que comme le chemin qu'on fait en montant d'une vallée en une montagne, de celui que l'on fait en descendant de la montagne dans la vallée; ou comme diffèrent les deux manières dont on peut se servir pour prouver qu'une personne est descendue de saint Louis, dont l'une est de montrer que cette personne a tel pour père, qui était fils d'un tel, et celui-là d'un autre, et ainsi jusqu'à saint Louis; et l'autre de commencer par saint Louis, et montrer qu'il a eu tels enfants, et

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