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« et de l'exécuter. Il ouvrit aux yeux des Grecs les << annales de l'univers connu, et leur offrit sous un << même point de vue tout ce qui s'était passé de « mémorable dans l'espace d'environ deux cent quaarante ans. On vit alors, pour la première fois, une « suite de tableaux, qui, placés les uns auprès des au<< tres, n'en devenaient que plus effrayants : les nations, toujours inquiètes et en mouvement, quoique jaa louses de leur repos, l'intérêt et rapdésunies par prochées par la guerre, soupirant pour la liberté et gémissant sous la tyrannie; partout le crime triomphant, la vertu poursuivie, la terre abreuvée de a sang, et l'empire de la destruction établi d'un bout « du monde à l'autre. Mais la main qui peignit ces ta« bleaux, sut tellement en adoucir l'horreur par les «< charmes du coloris et par des images agréables: aux « beautés de l'ordonnance, elle joignit tant de grâce, « d'harmonie et de variété; elle excita si souvent cette « douce sensibilité, qui se réjouit du bien et s'afflige du mal, que son ouvrage fut regardé comme une des plus « belles productions de l'esprit humain. Permettez« moi, poursuit Euclide, de hasarder une réflexion. Il « semble que dans les lettres, ainsi que dans les arts, « les talents entrent d'abord dans la carrière, et luttent pendant quelque temps contre les difficultés. Après « qu'ils ont épuisé leurs efforts, il paraît un homme de génie qui va poser le modèle au delà des bornes << connues : c'est ce que fit Homère pour le poëme épi« que; c'est ce qu'a fait Hérodote pour l'histoire gé«nérale. Ceux qui viendront après lui, pourront se

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distinguer par des beautés de détail et par une cri• tique plus éclairée ; mais par la conduite de l'ouvrage

<< et l'enchaînement des faits, ils chercheront, sans << doute, moins à le surpasser qu'à l'égaler

».

Vous voyez, Messieurs, que Barthélemy suppose que, dès le siècle qui suivit immédiatement celui d'Hérodote, on commençait, tout en admirant son talent, à remarquer des inexactitudes dans son ouvrage. Fort peu de temps après sa mort, il fut contredit par Ctésias, médecin d'Artaxerce, et auteur d'une histoire des Perses et des Assyriens en vingt-trois livres, outre la relation d'un voyage en Asie, des mémoires sur les Indiens, des traités sur les fleuves et sur les montagnes. Pour ne plus revenir sur cet écrivain, je dirai ici qu'il ne reste de ses livres que les extraits insérés dans la Bibliothèque de Photius et plusieurs fois publiés, soit séparément, soit à la suite d'Hérodote; que son style, fort inférieur à celui de ce grand historien, n'était pourtant pas sans mérite, de l'aveu de Denys d'Halicarnasse, et se distinguait surtout par une clarté parfaite. Du reste, ce n'était qu'en un bien petit nombre de détails relatifs à la Perse qu'on pouvait le trouver un peu plus exact que son rival: il l'est moins sur les autres matières. Aristote lui a reproché des erreurs graves en ce qui concerne les animaux et les productions naturelles de l'Inde. Lucien, dans le Traité de la manière d'écrire l'histoire, le représente comme un historien complaisant et vénal, mendiant et gagnant les faveurs des princes. Plutarque l'accuse de vanité, vice très-compatible avec la servile humblesse. D'autres le taxent d'imposture, d'ignorance, de jalousie. Ctésias avait entrepris de renverser tout le système historique d'Hérodote, et de décrier son ouvrage comme mensonger on fabuleux. Ce dessein de Ctésias est avoué

par Photius. Mais le médecin d'Artaxerce n'était pas moins enclin à la flatterie qu'à la contradiction, et il portait aussi fort loin la crédulité ou le goût du merveilleux; il n'a eu que trop d'influence, comme je l'ai exposé l'an dernier, sur la science chronologique; il a entraîné dans de très-fausses routes Diodore de Sicile, Trogue-Pompée, Justin et les chronographes ecclésiastiques: il a fallu beaucoup de temps pour revenir au système bien moins erroné d'Hérodote. Les livres de Ctésias étant perdus, il n'entre point dans notre plan de nous y arrêter davantage; mais nous avons dû y remarquer l'une des premières causes des préventions qui se sont accréditées contre le père de l'histoire.

Attaqué aussi au troisième siècle avant l'ère vulgaire par Manéthon, et depuis par d'autres annalistes, Hérodote a été vengé par son compatriote Denys d'Halicarnasse, qui n'a pas craint de le préférer à Thucydide, ce qui peut sembler fort injuste. Hérodote surpasse, selon Denys, tous les autres historiens par la composition générale de son ouvrage, par l'accent poétique de son style, par la riche variété des détails, quoiqu'il méprise ordinairement comme trop peu dignes de l'histoire, les descriptions de combats, les harangues étudiées et tous les ornements cherchés hors du sujet. Denys loue sa simplicité et sa sincérité : Hérodote a pris Homère pour modèle, il emprunte de ce poëte l'art d'exciter sans cesse la curiosité, de l'entretenir en la satisfaisant, d'embrasser plusieurs sujets et d'en former un tout dont les parties se correspondent avec un parfait accord.

Diodore de Sicile ne partage point cette admiration. Quoiqu'il reconnaisse dans Hérodote un écrivain cu

rieux et savant, il lui reproche, sans le prouver, d'avoir adopté des opinions contradictoires; et il embrasse pour son compte, celles de Ctésias, principalement en chronologie. Cicéron, juge plus désintéressé et plus éclairé, ne loue pas sans restriction celui qu'il qualifie le prince des historiens. Il y a, dit-il, dans Hérodote, le père de l'histoire, d'innombrables fables: Apud Herodotum patrem historia... sunt innumerabiles fabulæ. C'est un fâcheux correctif aux éloges que Cicéron donne à son style: Herodotus ille qui princeps hoc genus ornavit... tanta est eloquentia ut me, quantùm ego græcè scripta intelligere possum, magnopere delectet.... Sine salebris, quasi sedatus amnis fluit... Quid Herodoto dulcius? etc. Quintilien vante aussi sa grâce, sa douceur, sa fécondité : Dulcis et candidus et fusus Herodotus. Mais de quoi serviraient ces formes si belles, lorsqu'elles ne couvriraient qu'un tissu de contes paré du nom d'histoire? Or, Messieurs, Strabon semble croire qu'Hérodote n'a songé qu'à divertir ses lecteurs; qu'il a rassemblé, pour leur plaire, les relations les plus extraordinaires et les plus agréables; en un mot, qu'il a composé un poëme. Vous vous souvenez du reproche plus grave, et mal fondé sans doute, que lui adresse Dion Chrysostome, savoir, de s'être montré mercenaire, au point de supprimer ce qu'il avait dit d'honorable pour les Corinthiens, lorsqu'il se vit frustré du salaire qu'il leur demandait. On a lieu de présumer que Juvénal avait particulièrement en vue cet historien, lorsqu'il parlait de l'audace des Grecs à débiter des mensonges:

.....Quidquid Græcia mendax

Audet in historia........

Plutarque enfin, par zèle pour la gloire de la Béotie, sa patrie, a composé un traité de la malignité ou mauvaise foi d'Hérodote. Il commence par indiquer les signes auxquels on reconnaît un historien méchant ou infidèle : le choix des expressions malveillantes; la recherche de certaines particularités odieuses, indignes par ellesmêmes de figurer dans l'histoire; le mélange de la médisance aux éloges; le soin de présenter les faits sous des aspects défavorables; le penchant à prêter des intentions honteuses; l'artifice de l'exagération et celui du silence; les injures tantôt directes, tantôt obliques; les traits de calomnie lancés comme par hasard, et qu'on a l'air d'émousser par une apparente incrédulité; le fiel de la haine et de l'envie caché sous les dehors de la bienveillance. Voilà, Messieurs, les malversations dont Plutarque ose accuser le père de l'histoire; il le retrouve dans toutes ces classes de calomniateurs, même parmi ceux « qui obliquement comme deslâchants a des coups de flèches d'un lieu obscur, mettent sus « des charges et imputations, et puis tournants par « derrière et se pensants cacher, disent qu'ils ne croyent a pas ce qu'ils désirent être fort creu, et renient la

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malignité. » A l'appui de ces accusations, Plutarque cite et discute environ quarante articles de l'histoire d'Hérodote, presque tous relatifs à des cités grecques. Il prétend, par exemple, que le récit de la bataille de Marathon est injurieux aux Athéniens autant qu'aux Spartiates, et il interpelle l'historien en ces termes : En a promettant par l'inscription de ton histoire d'escrire a les faits des Grecs, tu employes ton éloquence à magnifier et amplifier les gestes des barbares; et faisant semblant d'être tout affectionné envers les

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