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sophiste ou d'un rhéteur du troisième ou du qua trième siècle de l'ère chrétienne.

Si vous voulez appliquer à la vie même d'Hérodot les règles de la critique historique établies dans no précédentes séances, vous devez d'abord apprécier le sources d'où je l'ai extraite. La plus sûre est l'ouvrag même de cet historien; mais tout ce que nous y ap prenons sur sa personne se réduit à dire qu'il était ne à Halicarnasse; qu'il vivait environ quatre cents an après Homère; qu'il a voyagé en diverses contrées de la terre, et qu'il écrivait encore en l'année 408 avant J. C. Nous ne savons que par Aulu-Gelle, qu'il avait cinquante-trois ans en 431, et par conséquent qu'il était né en 484. Les lectures publiques qu'il a faites de ses livres nous sont indiquées par Plutarque, Lucien, Aulu-Gelle, Dion Cassius et Marcellin; son séjour à Thurium par Aristote, Pline, Plutarque, Julien, Étienne de Byzance. Ces faits peuvent sembler fort croyables, sauf l'examen de quelques circonstances particulières. Sur le surplus, il n'existe que des rapports vagues, que des indications fugitives, et de plus en plus tardives: elles nous sont fournies par des auteurs qui n'ont vécu que six, douze ou dix-sept siècles après lui. Je les ai néanmoins toutes recueillies, en y joignant des observations critiques : seulement, pour rendre cet exposé moins confus, j'ai écarté jusqu'ici ce qui est rapporté par un grammairien d'Alexandrie nommé Ptolémée Chennus, fils ou père d'Héphestion. Ce grammairien avait laissé un recueil d'anecdotes ou de récits historiques en sept livres dont il existe des extraits dans la Bibliothèque de Photius. On y lit qu'Hé rodote légua tous ses biens à un jeune Thessalien,

appelé Plésirrhoüs, qui composait des hymnes. L'auteur du recueil ajoute qu'Hérodote avait commencé son premier livre par ces mots : Περσέων οἱ λόγιοι.... φασί. « les lettrés de la Perse disent, » et que ce fut Plésirrhoüs qui ajouta les lignes qui précèdent, et que l'on cite comme un exemple de la brièveté et de la simplicité qui conviennent aux exordes. A toute force il serait possible qu'un Plésirrhoüs eût fait cette addition; mais est-il raisonnable de le croire sur la foi d'un seul grammairien qui n'a vécu que six ou sept cents ans après Hérodote; d'un grammairien presque inconnu dont nous n'avons pas les livres, et dont nous ne possédons que des extraits recueillis sept autres siècles plus tard? Cependant, il est bien d'autres particularités de la vie d'Hérodote que nous ne trouvons énoncées pour la première fois que dans le lexique rédigé, après l'an 1100 de notre ère, par Suidas. Comme l'article où il les a rassemblées est fort court, et a fourni le premier fonds de toutes les notices biographiques sur le père de l'histoire, je vais le traduire littéralement. « Hérodote, fils de Lyxus et de Dryo, « naquit à Halicarnasse au sein d'une famille illustre. « Il eut un frère nommé Théodore. Il se retira à Sa<< nios à cause de Lygdamis, troisième tyran à partir a d'Artémise. Cette Artémise eut pour fils Pisindélis, a et Pisindélis Lygdamis. A Samos, Hérodote apprit « le dialecte ionique et composa une histoire en neuf « livres, commençant à Cyrus, roi de Perse, et à Candaule, roi des Lydiens. Rentré dans Halicarnasse, « il en chassa le tyran; mais, dans la suite, se voyant exposé à la haine de ses concitoyens, il se transporta

«

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a volontairement à Thurium, où les Athéniens con

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« duisaient une colonie. Il y mourut, et y fut inhumé « dans la place publique. Quelques-uns disent cepen« dant qu'il est mort à Pella. Ses livres sont intitulés << Muses.» Voilà, Messieurs, tout l'article: seulement Suidas y ajoute le texte de l'empereur Julien que je vous ai rapporté, et, à l'article Panyasis, il nous dit que ce poëte, victime de Lygdamis, était oncle d'Hérodote.

L'histoire ancienne, tant littéraire que politique, s'est surchargée de détails qui ne sont fournis que par des grammairiens, des lexicographes, des chronographes et des scoliastes du moyen âge, compilateurs sans discernement et sans autorité; les uns infidèles, les autres ignorants et crédules, presque tous indignes de confiance. On ne manque guère de les trouver en défaut, quand on a quelque moyen de vérifier les faits qu'ils rapportent on reconnaît alors immédiatement leurs erreurs ou leurs mensonges. Mais le plus souvent il n'est pas possible de prouver matériellement la fausseté de leurs rapports, en sorte qu'il devient presque aussi téméraire de les rejeter que de les admettre. On est réduit à considérer les faits en euxmêmes, à estimer ce qu'ils ont, par leur propre nature, d'invraisemblance ou de probabilité. Toujours demeurent-ils au moins incertains; car, après tout, un auteur du sixième, du douzième siècle de notre ère ne saurait nous garantir des récits qui remontent à trois, quatre ou cinq cents ans avant J. C., surtout lorsqu'il ne cite pas les sources où il prétend les avoir puisés. C'est précisément le cas où nous sommes en ce qui concerne non-seulement les noms du père, de la mère, du frère et de l'oncle d'Hérodote, mais aussi

la

part qu'il a pu prendre à l'expulsion de Lygdamis et aux troubles civils dont elle a été suivie. Il est éton

nant qu'il faille attendre Étienne de Byzance pour apprendre quelques-uns de ces détails, et Suidas pour les savoir tous. Voilà, Messieurs, l'une des principales causes des incertitudes d'un grand nombre d'articles de l'histoire ancienne. Mais ce qui a dû y jeter bien plus de confusion, y répandre bien plus d'erreurs, c'est l'usage que les savants modernes ont jugé à propos de faire de toutes ces notes ou notices tardives. Ils ont commencé par supposer qu'Étienne de Byzance, Georges le Syncelle, Suidas, et je ne sais combien d'autres compilateurs des moyens siècles, avaient d'excellents matériaux aujourd'hui perdus, et qu'en les employant, ils ont été toujours attentifs, toujours fidèles. En conséquence, le nom de témoignage a été hardiment étendu aux extraits rassemblés en de si misérables recueils, et les articles de ces chronographies et de ces lexiques n'ont presque plus été distingués des relations authentiques et originales qui nous restent de l'antiquité. Les recueils modernes se sont indifféremment composés de ces éléments divers; et chaque érudit, selon la mesure de sa crédulité, ou selon le but de ses travaux, a confondu, commenté, rapproché tous ces textes pour en tirer les conséquences qui convenaient à ses systèmes chronologiques, historiques ou littéraires. C'est ainsi que l'histoire avait perdu, avant le dix-huitième siècle, presque tout caractère d'exactitude : la critique seule pouvait la mieux diriger; et malheureusement on avait donné ce nom de critique à l'érudition la plus vaine et à la logique la plus fausse, à des procédés arbitraires qui tendaient

à trouver toujours le merveilleux possible, le possible probable, et le probable certain. Si nous voulons, Messieurs, acquérir en histoire des connaissances exactes, pareilles à celles que nous cherchons dans les autres genres d'études, accoutumons-nous à discerner les sources de chaque récit, et à ne prendre les résultats que pour ce qu'ils valent.

Ayant ainsi recueilli tout ce qu'on a écrit sur la vie d'Hérodote, et nous étant efforcés d'apprécier ce qu'il y a d'avéré ou de croyable dans le petit nombre d'actions et d'aventures qu'on lui attribue, nous devons nous livrer à l'étude bien plus importante de ses ouvrages. Mais, conformément à l'une des règles générales que nous nous sommes prescrites, et afin d'être avertis de ce qu'il conviendra de remarquer et d'examiner dans ces livres, nous avons besoin de savoir comment ils ont traversé l'espace compris entre l'historien et nous, et comment ils ont été jugés dans le cours d'environ vingt-trois siècles. Vous savez quel succès obtint la lecture qu'il en fit aux jeux Olympiques. Il paraît que les Grecs en avaient conçu dès lors une très-haute idée, qui, malgré certaines critiques, ne s'était point affaiblie au temps de Philippe, père d'Alexandre. Barthélemy, en recueillant les souvenirs des hommages qu'on rendait alors à ce grand ouvrage, fait parler Euclide de Mégare à Anacharsis en ces termes << Tous s'étaient bornés à tracer l'histoire « d'une ville ou d'une nation; tous ignoraient l'art « de lier à la même chaîne les événements qui inté<< ressent les divers peuples de la terre, de faire « un tout régulier de tant de parties détachées. Hé<< rodote eut le mérite de concevoir cette grande idée,

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