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d'un honneur qui est le sien, lorsqu'elle met en plein jour ce qui est en elle de plus excellent et de plus beau; elle fait chose aussi éminemment utile de montrer aux hommes la puissance de bien qui est départie à leur nature, et jusqu'où peut atteindre la bonté de cœur et la droiture de la volonté. Spectacle fait pour éclairer, pour encourager, pour fortifier, et d'où naît, ce me semble, une impression de sécurité particulière.

Si le mal, en effet, est contagieux, le bien, heureusement, se communique. Dans la nature visible, la lumière pure ne tranche pas avec les ténèbres; elle s'accompagne de teintes harmoniques, de reflets qui émanent de sa substance. De même une belle vie, une âme parfaite ne s'isole pas. La beauté morale a la puissance d'assortir ce qui l'approche à sa nature exquise, pourvu qu'elle ne rencontre pas une résistance voulue. Ainsi l'influence du bien va se multipliant dans la vie humaine, luttant sur tous les points avec l'influence opposée, hélas! non moins active. Combien, dans le monde, de vertus admirables encore inaperçues, combien s'ignorent ellesmêmes, combien que personne ne connaîtra jamais. Même oubliées de tous, elles nous sont encore une force et une sauvegarde, s'il est permis de croire, avec de très grands esprits, qu'une coordination secrète unit les causes naturelles et celles de l'ordre moral, de telle sorte que, plus une nation renferme d'âmes pures, vouées obscurément au devoir et à l'abnégation, plus aussi la bonté divine étend sa protection sur elle. Est-il rien que d'avantageux à penser, comme j'en ai, pour mon compte, la persuasion

intime et indubitable, que la patrie est gardée par l'amour du bien.

Mule Marie Dry est invitée à recevoir le gage de profonde estime que l'Académie se fait un honneur de lui offrir.

. RAPPORT

SUR LES

PRIX DE LA REINTY ET MARIE ARMAND

PAR M. O. MARAIS.

Des esprits chagrins se plaisent à accuser notre époque s'il fallait les en croire, l'égoïsme régnerait en maître sur notre société vieillie. L'homme, pressé de jouir du présent ou impatient de se créer un avenir, n'aurait plus le temps de songer aux infortunés que le hasard de la vie à fait naître, vivre et souffrir à ses côtés.

L'expérience de chaque jour apporte, heureusement, son démenti à ces exagérations. Quel siècle fut plus fécond que le nôtre en œuvres généreuses et charitables? Est-il une infortune qui ne sache à quelle porte elle doit frapper? Est-il un malheureux qui ne rencontre un bienfaiteur? Loin de moi la pensée de manquer au respect que je dois à nos vénérables aïeux des siècles passés, mais je suis très fermement convaincu que si nous ne valons

pas mieux qu'eux, au moins ne sommes-nous pas pires. L'homme ne change guères, au fond. Les générations ont beau se succéder sur la scène du monde, on y joue toujours à peu près les mêmes pièces. Ne disons pas trop de mal des acteurs.

Ces pensées, Messieurs, se présentèrent naturel lement à mon esprit quand je commençais l'étude de ce rapport. Des donateurs généreux sont venus à vous et ils vous ont dit : « Nous voulons faire le bien, mais nos moyens d'investigations sont insuffisants. Il faut decouvrir des dévouements ignorés ou des misères qui se cachent. Aidez-nous. Voici notre obole. » Et vous avez cherché, Messieurs; est-il besoin de le dire? Vous avez trouvé. Le résultat de vos démarches a même dépassé les ressources dont vous disposiez.

On devait, hélas ! le prévoir aisément. Devant cette triste découverte, l'Académie n'a pas hésité; elle aussi, a voulu donner son denier et c'est ainsi que nous sommes appelés à décerner quatre allocations au lieu de deux prévues dans le programme de 1878. Sans votre générosité quel choix votre commission aurait-elle pu vous proposer pour le prix Marie Armand? Les infortunes et la misère étaient égales chez les candidats, - cruelle égalité! Votre décision a mis nos scrupules d'accord avec nos secrets désirs. Les malheureux que vous allez secourir, vous remercient, Messieurs, par la voix du rapporteur de votre commission.

Le prix La Reinty, de 500 fr., a été fondé pour récompenser les services ou soulager la misère des marins de l'ancien pays de Caux. A défaut de marins,

il peut être décerné à leurs veuves les plus dignes d'intérêt par leur pauvreté ou leur bonne conduite. Cette année notre choix a dû s'exercer sur cette dernière catégorie de candidats et il s'est arrêté sur la veuve Delahaye, des Petites-Dalles.

L'histoire de cette femme est aussi courte que triste. Benoni Delahaye, son mari, était pêcheur pendant l'hiver; pendant l'été, il dirigeait le modeste établissement des bains des Petites-Dalles. Les époux Delahaye avaient eu cinq enfants. L'aîné, marin au service de l'Etat, mourut en 1874; le second, un garçon de vingt ans, idiot de naissance, et les trois autres, âgés de moins de dix ans, étaient à la charge de leurs parents. La vie était rude dans ce pauvre ménage; mais enfin, on vivait.

Un jour du mois d'août 1876, un baigneur, méprisant les sages observations de Delahaye, se met à la nage. La mer était houleuse. Soudain, une vague énorme l'enlève vers le large. Le malheureux pousse un cri de détresse, ses forces le trahissent, il va périr. Alors Delahaye n'écoute que son courage : oubliant que cet homme a refusé d'obéir à ses conseils, dédaignant les supplications de ceux qui voudraient le retenir, il se précipite tout habillé dans la mer. Il s'approche du baigneur et dirige vers lui une planche qui doit assurer leur retour au rivage. Mais tout à coup, et sans qu'on ait pu encore expliquer la cause de cet événement, Delahaye tourne sur lui-même et disparaît sous les flots.

Pendant ce temps, le baigneur, soutenu par la planche, s'avançait péniblement vers le bord. Il est douteux qu'il y fût arrivé si le sieur Alexandre, fac

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