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Et cela n'est qu'un rêve!

Mais c'est charmant, mon cher; quel talent! que de sève!

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Un collègue de ce critique enthousiaste disait un jour à son souverain qu'il n'avait pas fait tirer le canon à son entrée pour plusieurs raisons, dont la première était que la ville ne possédait pas d'artillerie. « Je a vous dispense de me faire connaître les autres,» répondit le roi. J'ose espérer la même faveur, et je pense que vous trouverez suffisantes les considérations que vous avez entendues avec tant de bienveillance. Permettez-moi donc, Messieurs, de terminer des développements déjà trop longs, mais que je pourrais encore fortifier de plusieurs motifs, si j'avais à défendre votre décision.

Deux épreuves infructueuses nous forcent à retirer de notre programme un sujet qui nous a causé autant de déceptions qu'à ceux dont nous avions provoqué les travaux. Une compensation leur est offerte, et je suis heureux de la faire connaître. Lorsque les beauxarts et les sciences auront reçu les encouragements périodiques que la générosité de M. Bouctot leur attribue, un nom cher à ceux qui ont gardé le culte des lettres et l'amour de la poésie viendra solliciter les efforts de nombreux émules. L'auteur d'un conte dont auraient pu s'inspirer ceux dont nous venons de juger les essais, l'écrivain, qui nous a entraînés avec lui à la poursuite de Melonis dans les carrefours de la vieille Rome, qui a exprimé en un si beau lan

gage les nobles sentiments de Mme de Montarcy, qui a fait revivre en des scènes émouvantes la conjuration d'Amboise, avait droit à l'hommage solennel de ses compatriotes.

L'Académie, désirant que cette manifestation soit digne de celui qu'elle veut honorer, double la récompense affectée à ce concours, et elle décernera en 1882 un prix de 1,000 fr. à l'auteur de la meilleure Étude littéraire sur les œuvres de Louis Bouilhet.

RAPPORT

SUR

LE PRIX DUMANOIR

* PAR M. DANZAS.

L'Académie avait à comparer les titres de quatorze personnes recommandées à son choix pour le prix Dumanoir, opération délicate qui n'a jamais lieu sans laisser des regrets, non aussi sans apporter de vives jouissances morales. Il en coûte d'écarter des individualités intéressantes, dignes à divers points de vue de la récompense qu'une seule peut obtenir, et presque toujours on n'arrive qu'avec peine à déterminer le surcroît de mérite qui emporte la balance. Mais les juges rencontrent, jusque dans l'embarras de se décider, une source de satisfaction profonde. A considérer le but supérieur de leur mission, qui est moins de récompenser le bien que de le reconnaître et de lui rendre un hommage d'estime, pourraient-ils se plaindre de trouver devant eux,

comme aujourd'hui, trop de vertus pour le prix dont ils disposent, plus de beaux exemples qu'il ne leur est permis d'en couronner et d'en faire connaître ?

Je dois en effet me borner à une seule notice, celle des faits qui nous ont déterminés en faveur d'une personne, taire les autres, sans laisser ignorer qu'il en existe d'admirables, auxquels peut-être on reviendra plus tard. A ce devoir, qu'il m'est doux de remplir, s'attache une sorte d'embarras, et j'ai d'abord, envers la modeste et courageuse fille dont le nom va être proclamé, à m'excuser de faire une sorte de violence aux habitudes de sa vie, en la louant devant elle, en l'appelant à paraître au milieu de cette assemblée nombreuse et choisie.

Mlle Marie Dry a vu le jour à Dieppe, il y a quarante-six ans, dans une de ces familles laborieuses, aujourd'hui rares, où se conservait la foi des ancêtres avec la tradition du bon exemple. Son père était menuisier, simple ouvrier chez un patron. Il s'était uni à une ancienne domestique, distinguée à nos yeux par un mérite qu'on remarquait peu jadis, tant il était de règle, qui nous laisse encore des souvenirs et dont la génération prochaine pourra bien n'avoir plus l'idée l'attachement pour ses maîtres, qui l'avaient prise sous leur toit très jeune encore. En se mariant, elle sortit de chez eux, mais ce fut pour continuer à les servir comme ménagère à la journée, et il fallut le départ de la famille, que des intérêts appelaient ailleurs, ponr rompre ces relations de fidélité et de patronage. Après les maîtres de ses premières années, la femme Dry n'en voulut pas servir d'autres. La pensée lui vint d'entreprendre

un petit négoce, où elle ferait valoir ses épargnes. Mais la fortune lui fut contraire. La maladie, ce fléau terrible du travailleur, onze couches épuisantes, quelques-unes tout à fait malheureuses, et les péríodes d'infirmité qui succédèrent ne laissèrent à cette pauvre femme ni le temps ni la force de suivre ses affaires d'assez près. Le mari, occupé ailleurs, s'épuisait de travail, sans suffire aux besoins du jour. Les profits devinrent nuls, un passif s'accumula, la modeste entreprise dut disparaître; avec elle l'unique avoir du ménage fut anéanti. On restait à peu près sans ressources, et avec une lourde dette. Les maladies avaient emporté, l'un après l'autre, huit enfants. Trois survivaient, les deux plus jeunes n'étaient pas élevés.

Les parents se voyaient en présence de difficultés au-dessus de leurs forces. La subsistance n'était plus assurée; s'acquitter envers leurs créanciers semblait à jamais impossible. Marie, leur fille aînée, grandissait parmi ces dures épreuves, généreuse enfant qui devait les adoucir, et que la Providence avait réservée comme un opportun secours à la famille affligée. La jeune ouvrière se trouva douée d'un courage, d'un sentiment d'honneur et de devoir, d'un besoin de se dévouer et d'une confiance dans l'appui du ciel qui lui firent compter pour rien tous les obstacles. Mise en apprentissage à douze ans, à seize devenue coupeuse habile, elle prit tout sur elle, et le pain quotidien, et la vieillesse des parents, et l'avenir des jeunes frères, et les dettes à éteindre. Personne ne perdrait rien; et elle est arrivée à réaliser cette pensée presque audacieuse. Avec une énergie qui s'avivait à l'aspect

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