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notre suffrage du conte: Normand et Champenois. L'anecdote est plaisante et l'on s'intéresse à cet habitant de Châlons qui fait si bien mentir le proverbe dans lequel on l'assimile à ses moutons et qui trompe notre madré compatriote en le prenant dans son propre piége. La protestation bouffonne, que Grosley nous a transmise contre le dicton populaire dans ses amusants mémoires de l'académie de Troyes (1), pouvait avoir un pendant spirituel dans l'histoire de ce rusé compère, prétendant que son cidre est préférable aux vins de la Champagne, profitant de l'absence momentanée du marchand de laines pour introduire un jambon dans le ballot qu'il a acheté, refusant le pesage de la marchandise, et forcé de payer une somme supérieure au prix convenu dans la crainte que l'ouverture du paquet ne trahisse sa fraude. Mais pourquoi cette donnée, développée en des vers souvent bien tournés, se trouve-t-elle gâtée par des exagérations de mauvais goût qui en dénaturent le caractère? Pourquoi le mot injurieux se substitue-t-il à la malice? L'auteur le sentait et cherchait à invoquer des circonstances atténuantes dans un court avant-propos sa défense n'a pas triomphé, et nous avons regretté de ne pouvoir l'accueillir.

De nobles sentiments, exprimés dans un langage un peu vague, nous ont fait distinguer la triste fin d'un beau jour, ou le corps et l'âme. Cette dualité de la pensée et de la matière qui a dicté ses plus belles

(1) Mémoires de l'Académie des Sciences, Inscriptions, BellesLettres, Beaux-Arts, etc., nouvellement établie à Troyes en Champagne. 1756. Tome II. Réflexions historiques, critiques el mo

rales sur un proverbe.

pages à Platon, cette latte incessante de nos instincts les plus vils avec nos aspirations les plus élevées, cette querelle entre l'âme et l'autre, entendue par un - voyageur célèbre (1), quoiqu'il n'ait parcouru que sa chambre, méritaient d'être chantées par la poësie et l'auteur n'a pas toujours été inférieur au beau sujet qu'il a choisi. Un souffle animé, des élans heureux, la verve, la couleur ne manquent pas à la description des plaisirs auxquels le corps se laisse entraîner et dont sa compagne n'ose le priver, bien qu'ils soient mortels.

Ecoutez, Messieurs, et vous penserez comme

nous;

Que d'herbes, que de fleurs foulées,
Combien de rameaux arrachés,
Et, pauvres mères désolées,
Combien de petits dénichés!

Ils revinrent de ce pillage

Et n'en pouvant mais, haletants,
Sous un frais berceau de feuillage
Ils s'endormirent..... pour un temps.

Dormez ! le sommeil c'est la trève,
C'est le repos!... Salut, sommeil,
Tombeau léger de l'heure brève
Et des soucis.... jusqu'au réveil.

Mais la brise à travers les branches
Apportait d'ineffables sons,

Qui résonnaient en notes franches

(1) Xavier de Maistre. - Voyage autour de ma chambre.

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La mort trouble ces fêtes et l'âme remonte à sa patrie céleste. Quelque soit le mérite de cette pièce, elle n'est pas un conte. La jument de Roland (1) n'a

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qu'un défaut : elle est morte; l'œuvre que nous avons analysée ne répond point aux conditions du programme, et nous ne pouvons que nous incliner devant la loi que nous avons édictée.

Ce ne devrait pas être quitter la poésie que se livrer à l'examen d'un rêve. Le réveil, je le crains, enlèvera plus d'une illusion au dormeur. Il entend en

songe:

de la nature un éloge enchanteur,

Grandiose en son sens.

et successivement il contemple la France, un théâtre Élyséen, la terre, l'immensité des mers, l'abeille, le papillon, sans paraître redouter le sort de Petit-Jean et l'interruption :

Quand aura-t-il tout vu (1) ?

Aujourd'hui tout ce qui ne vaut pas la peine d'être « dit, on le chante, » prétendait Figaro (2); soit! surtout si nos chanteurs d'opéras persistent à ne pas en faire entendre les paroles. Il serait bon, toutefois, de ne pas se fier trop à la définition du professeur de Monsieur Jourdain, de ne pas être absolument certain que « tout ce qui n'est point prose est vers (3), » et de ne pas imiter ces littérateurs dont Régnier écrivait que :

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C'est proser de la rime et rimer de la prose (1).

Je crois que l'auteur d'un Rêve a oublié ces salutaires préceptes. Boileau en donnait un autre :

Faites-vous des amis prompts à vous censurer (2).

Pourquoi notre rêveurvit-il dans l'intimité du maire de son pays, qui le juge avec une indulgence dangereuse? Il a lu ses vers et il lui a dit :

Voyez l'Académie où votre art poétique
Peut trouver un accueil pour vous honorifique.

....

Et pour notre commune est-il plus grand honneur
D'avoir donné le jour au poëte vainqueur?

Affrontez le concours et votre modestie
Aura dans l'assemblée accès et sympathie ;
Puis comme magistrat, qui vous donnai l'élan,
Si vous avez la palme.... il se peut qu'un ruban
De nuance incarnat vienne à ma boutonnière
Briller aux yeux de tous, et la commune entière
Comprendra que l'honneur fait à vous, lauréat,
Atteigne quelque peu son premier magistrat.

Je ne sais quel succès est réservé au désir de l'officier municipal, qui a sans doute plus de connaissances administratives que de discernement littéraire, mais je le trouve imprudent de subordonner ses chances à la fortune de son protégé, et je ne puis m'associer à cet éloge trop flatteur qu'il lui accorde :

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