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velle, et le général Lafayette, sur le balcon des Tuileries, avait convié la France à acclamer ce qu'il appelait « la meilleure des républiques » en attendant les autres.

Un homme d'infiniment d'esprit et de talent disait dernièrement à l'Académie française: Il est des écrivains qui attirent l'attention publique par des qualités d'un très-vif éclat. Cette impression subite est quelquefois très-prompte à s'effacer. D'autres se livrent moins, et veulent être un peu forcés dans le sens intime de leurs œuvres; mais cette habitude familière de leurs écrits devient bientôt la source des jouissances les plus délicates et les plus durables. »

C'est mon excuse dans cette étude sur Charles Brifaut, s'il fallait une excuse auprès des esprits bienveillants auxquels elle est destinée.

LA

RECHERCHE DE L'ÉTRANGE

EN LITTÉRATURE

PAR M. J.-A. DELÉRU E.

Faciendi plures libros nullus est finis.

SALOMON.

Sous le prétexte de s'éloigner de ce qu'elle considère comme trop simple, trop naïf, et, par suite, insuffisamment intéressant, la littérature actuelle, même en haut lieu, cherche à faire prévaloir, dans ses conceptions, l'étrangeté du fond se combinant avec les singularités de la forme.

Nous dirions que c'est la poursuite constante de l'excentricité, si ce mot, aujourd'hui très à la mode, était depuis plus longtemps français.

Nos écrivains, même parfois ceux que la réputation couronne, mais surtout ceux qui n'en sont encore qu'à aspirer au succès, s'évertuent à rencontrer, pour leurs compositions, des sujets outrés, que les metteurs-en-œuvre des faits de la vie sociale ou familière eussent naguère absolument repoussés.

Sous leur plume le moindre incident se développe sans mesure; il prend, souvent à contre-sens, des proportions dramatiques; et, se mettant à l'unisson de ces exagérations voulues, le style de leurs compositions, tantôt affecté et prétentieux, tantôt d'une énergie choquante, s'écarte trop volontiers aussi de ces règles que la tradition et le goût avaient posées et que recommandent les lois de la proportion aussi bien que celles de la décence.

C'est que, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, la règle est regardée non comme un soutien, mais comme une entrave et que la libre-pensée et la libre-action, qui ont successivement envahi les sommets philosophiques, ne pouvaient manquer d'étendre leur influence désorganisatrice dans l'expression des arts, à commencer par la littérature qui en est tout à la fois le langage et le modérateur. Une seule remarque à défaut de mille exemples qui frappent les yeux suffira pour montrer les

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dangers de cette évolution.

Ouvrez le premier venu de ces romans modernes que l'on baptise du nom ambitieux d'études morales, vous y verrez, ou bien la peinture crue des mœurs populacières, ou bien les agissements ingénieux de criminels de fantaisie poursuivis avec un génie non moins inventif par de célèbres détectives auxquels il n'a manqué que la moralité du caractère pour être des Ministres d'Etat; vous assisterez aux révolu tions intimes des ménages, à des associations interlopes où le contrebandier et le douanier, aux prises, sont également intéressants; dans d'autres on réveillera les causes célèbres du crime, célèbres unique

ment par l'horreur et le dégoût que leurs acteurs inspirent; enfin on vous montrera avec scrupule, entourés d'une auréole malsaine, tous ces fantoches, tous ces déclassés, tous ces monstres de la folie et du réalisme qui grouillent toujours quelque part dans les bas-fonds de toute société, et que, jusqu'à présent, par pudeur, la littérature intelligente s'était bien gardée de révéler à nos femmes et à nos enfants.

Or, ces tendances regrettables semblent s'affirmer de plus en plus, encouragées qu'elles sont, il faut bien l'avouer, par le goût dévoyé de la généralité des lecteurs.

Les conceptions étranges, le style désordonné, semblent avoir, seuls, à présent, la chance d'être accueillis et acclamés. On dirait que c'est au degré plus ou moins marqué de leurs dissonances qu'on jauge l'esprit et la puissance d'invention des auteurs.

Moins répandue peut-être dans les œuvres écrites pour le théâtre, où il faut d'avantage, pour réussir, compter avec les instincts naturels associés du logicien qui s'appelle tout le monde, cette exhubérance s'étale librement là où elle peut causer le plus de désordres intimes dans la presse et dans le roman à un sou. Et ce champ de propagande est devenu si vaste que l'ivraie qu'une telle littérature y sème quotidiennement menacerait d'envahir toute la surface des esprits s'il était possible que le faux goût eût les moyens de propagation et de durée qui, heureusement, lui manquent.

Toujours est-il qu'en ce moment l'observateur assiste à un spectacle singulier.

La clarté de l'expression, l'ordonnance logique des figures du discours, l'intérêt gradué des développements, toutes ces qualités qui constituaient autrefois l'élégance et la beauté souveraines du style français, sont regardées uniquement comme des préceptes d'école surannés, qu'il faut se hâter de proscrire dans le travail littéraire.

Il en résulte que la palme est à l'écrivain qui parvient le mieux, soit par le fond des idées, soit par la manière de les traduire, à surprendre l'esprit et l'entendement du lecteur.

Autrefois, pour acquérir une certaine réputation de prosateur, il fallait savoir employer le mot propre, l'expression convenable que chacun pût saisir sans effort; il fallait penser juste et dire avec clarté. Cela était simple et éminemment profitable. Quant au fond de l'œuvre, l'auteur ambitionnait de créer un sujet ou de présenter une thèse qui intéressât, qui séduisit, et qui, traité dans les conditions d'un utile enseignement, eût l'avantage d'ouvrir une voie sérieuse à la réflexion et à la pensée. C'est ce qui fait que dans la moindre des productions de ce temps, dans le livre le moins réussi, il y avait toujours quelque chose de sensé et d'ingénieux à recueillir. Et les bibliophiles, ces aimables conservateurs de l'esprit d'antan ne l'ignorent pas, quand ils défendent même les petits livres et les petits auteurs contre les injures contemporaines !

Quel juste triomphe aussi, quel légitime orgueil ne devait pas éprouver l'auteur sérieux quand il était parvenu à éclairer brillamment une question controversée, à populariser une idée féconde, à développer

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