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DIVERS ÉLOGES

DONNÉS

A LA VILLE DE ROUEN

Depuis le quatrième siècle jusques et y compris le
dix-neuvième,

PAR M. DE DURANVILLE.

Beaucoup de gens acceptent très volontiers, sans le moindre examen et sans la moindre vergogne, ce qu'on dit, soit à leur avantage, soit à celui de leur famille : ce travers de vanité leur est quelquefois funeste, et le ridicule est chargé de les punir. Il peut en être des villes ainsi que des hommes; elles peuvent accepter trop aisément ce qui leur semble honorable. Homère n'eut qu'une seule patrie; sept villes se disputèrent sa naissance; plusieurs de ces villes ne devaient alléguer que des preuves de bien mince valeur; et toutefois il est probable qu'elles n'auraient, pour quoi que ce fût, renoncé à leurs prétentions; dès lors elles avaient tort et méritaient le blâme. Les habitants de Rouen peuvent certainement accueillir avec un

noble orgueil, et mettre en relief les justes éloges donnés à leur ville; mais ils ne doivent pas plus estimer les éloges exagérés que reconnaître le roi Magus pour fondateur de Rouen; le discernement leur est nécessaire. Cependant il y a quelque chose d'intéressant à réunir plusieurs éloges, injustes aussi bien que justes donnés à la ville de Rouen. On sait combien nos prédécesseurs savaient au besoin donner aux éloges les proportions les plus démésurées; il suffit pour s'en convaincre, d'ouvrir les ouvrages de nos vieux écrivains normands; avec quelle prodigalité ne les distribuait-on pas et dans les livres et dans les épitaphes! Qu'on feuillette Ordéric, Vital ou la Neustria pia, et l'on verra combien de vertus s'y trouvent accumulées dans les éloges de tous les abbés, bienfaiteurs et nombre d'autres gens, à l'égard desquels on se montrait enthousiaste. L'usage voulait, au xvre et au XVIIe siècle, qu'on plaçât en tête de certains ouvrages des témoignages en leur faveur; les bibliophiles sont bien aises de rencontrer ces témoignages, quoique la vérité en soit souvent très contestable. Le motif de simple curiosité ne suffit-il pas pour recueillir ce qu'on a dit autrefois de la ville de Rouen, quelquefois à tort, quelquefois néanmoins avec conviction?

Le plus ancien éloge donné à la ville de Rouen se trouve dans une lettre adressée à son huitième évêque, saint Victrice, par saint Paulin, évêque de Nole. Il s'agit des progrès que le christianisme avait faits dans un lieu où, quatre cents ans auparavant, on ne voyait qu'un chétif amas de maisons, et que Jules César n'a pas mentionné dans ses Commentaires.

On a cité souvent les paroles adressées par l'évêque de Nole à ce prélat, qui travaillait lui-même à rouler des pierres pour la construction d'un temple chrétien les étrangers visitent la crypte de ce temple, à l'emplacement duquel nous voyons réapparaitre, depuis quelques années, l'architecture romane. «Enfin », écrivait saint Paulin, « nous enténdons << maintenant parler avec estime et avec vénéra«tion de la ville de Rouen, dans les provinces << qui en sont les plus éloignées, quoiqu'aupara« vant on en fit à peine mention dans celles qui en << sont voisines, et l'on glorifie Dieu de ce qu'on la « compte aujourd'hui parmi les villes les plus illus

tres par la multitude des lieux sacrés, honneur « qu'on lui défère avec justice, puisque, par les soins << de votre sainteté, toutes choses s'y voient en même « état qu'on nous les figure en Orient, dans la ville « même de Jérusalem, et qu'il semble qu'on y jouisse « de la présence des apôtres, qui, résidant en votre << personne, comme dans un sanctuaire tout à fait « digne d'eux, ont changé en un des siéges de leur empire une ville où ils étaient autrefois étran« gers, etc. >>

Le poëte Venance Fortunat, évêque de Poitiers, auteur d'une Vie de saint Martin, d'autres poésies de moindres dimensions, et qui vivait au vr° siècle, a fait aussi l'éloge de la ville de Rouen. D'autres éloges viendront successivement, sans présenter la teinte mystique de la lettre de saint Paulin.

Voici ce qu'Ordéric Vital écrivait au XII siècle : «La ville de Rouen est très peuplée et très riche par « différents genres de commerce; elle est très

agriable à cause de l'affluence de bâtiments qui se « réunissent dans son port, par le murmure de ses « eaux courantes et par l'agrément de ses prairies. « Une grande abondance de fruits, de poissons et de « toutes sortes de denrées ajoute encore a son opulence. Les montagnes et les forêts, dont elle est ‹ entourée de toutes parts, les murs, les retranche«ments et les autres constructions militaires la ren<dent très forte. Elle reçoit beaucoup de lustre de « ses édifices, ainsi que de l'aspect de ses maisons et de ses églises (1). »

Guillaume Litle, surnommé de Newbrige, du nom du collége où il habitait, et qui écrivait au XII° siècle, lorsque l'Angleterre était séparée de la Normandie, dit, dans son ouvrage intitulé De gestis Anglorum, que la ville de Rouen est une des plus remarquables de l'Europe (2).

M. Edouard Frère, dans l'introduction à une des réimpressions faites par la Société des Bibliophiles normands, a fait connaitre vingt vers latins, qui se trouvent à un folio d'un manuscrit de la Bibliothèque nationale, manuscrit ayant appartenu jadis à la bibliothèque des échevins de Rouen, qui l'offrirent à Colbert, grand amateur de livres, comme on sait. Le poëte nomme la ville de Rouen noble, antique, puissante, magnifique; la race normande l'a choisie pour commander sur elle en souveraine, et la faveur impériale la comble plus que toutes les autres villes :

(1) Traduction publiée par Guizot, t. II, p, 315.
(2) Cité dans le Rollo Northmanno-Britannicus, p. 176.

Rothoma nobilis, urbs antiqua, potens, speciosa,
Gens Normanna sibi te proposuit dominari;
Imperialis honorificentia te super ornat.

Ce dernier vers doit se rapporter au mariage de Mathilde avec l'empereur Henri V. Les vers sont incontestablement du XIIe siècle, puisque leur auteur félicite les Norman ls d'avoir pour duc Geoffroy Plantagenet:

Sub duce Gaufredo cadit hostis et arma quiescunt;
Nominis ore sui Gaufredus grandia fert dux:
Rothoma, lætaris, sub tanto principe felix.

Le poëte signale la ville de Rouen comme valant celle de Rome aussi bien par son nom que par son mérite. Il est vrai que, pour établir la ressemblance de nom, il emploie un procédé bien misérable, en retranchant trois lettres du nom Rothomagus:

Rothoma, si mediam removes. et Roma vocaris.

Pierre Grognet, poëte bourguignon du xvr siècle, a composé une Descriplion et louanges des excellences de la noble cité de Rouen; capitale de toute Normandie; cette description, en quatre-ving-six vers de huit syllabes, imprimée d'abord à Paris en 1573, dans un recueil de poésies, a été réimprimée, en 1872, par la même Société des Bibliophiles normands. Le poëte dit en parlant de la ville de Rouen :

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