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comme dépendance au cimetière de Balbina (1): ils purent creuser au-dessous des galeries funéraires sans altérer le gracieux aspect de la superficie. Comme les païens, ils se plaisaient à couvrir leurs chambres sépulcrales de peintures décoratives donnant l'illusion d'un verger ou d'un jardin. Le corridor que l'on trouve en entrant dans l'hypogée de Domitille est orné d'une belle vigne qui rampe sur ses voûtes, se répand sur ses murailles avec la souplesse et l'a. bandon de la nature. Un escalier de la catacombe de Thrason était décoré de stucs dont les reliefs figuraient des raisins et des pampres. Des vignes, des guirlandes de fleurs et de fruits, au milieu desquelles volent joyeusement des oiseaux, ornent le fond de nombreux arcosolia, les voûtes et les murailles de nombreuses chambres. Bien souvent des fleurs fraîches durent mêler leur éclat et leur parfum à ces élégantes décorations; les jardins de Théon, de Juste, d'Hilaria, de Philippe ou de Métrodore ne se transformèrent sans doute pas en des champs stériles après que les chrétiens eurent creusé au-dessous d'eux des cryptes décorées souvent avec tant d'art et un art si souriant.

(1) Constantinus Augustus obtulit basilicæ, quam cœmeterium constituit via ardeatina, fundum rosarium cùm omni agro campestri præstantem solidos XL. Lib. pont., in Marco, 83.

RICHER, POÈTE NORMAND,

XVIII. SIÈCLE,

PAR M. DECORDE.

La littérature subit assez souvent les caprices de la mode. Tel genre littéraire qui a fait les délices d'une époque est, à une autre époque, tout à fait abandonné et paraît même ridicule. Le goût se modifie suivant les âges, et la réputation des auteurs reçoit le contrecoup de ces variations du goût.

Ces réflexions me venaient à l'esprit en parcourant deux petits volumes in-12 publiés, dans la première moitié du XVIIIe siècle, par un poëte normand dont le nom est aujourd'hui peu connu et dont les œuvres ne se trouvent même pas dans la bibliothèque publique de notre ville, où il semble cependant que tout ce qui touche à l'histoire littéraire locale devrait se rencontrer.

Richer, c'est l'auteur dont je veux parler, est né à Longueil, canton d'Offranville, dans le pays de Caux, en 1685. Ce fut à la fois un érudit et un poëte. Comme érudit, on lui doit une vie de Virgile, une

autre de Mécène et une autre d'Esope, qui prouvent qu'il avait fait une étude très approfondie des littératures latine et grecque. Comme poëte, il a fait paraitre, de 1717 à 1748, époque de sa mort, des traductions en vers français des Héroïdes d'Ovide, et des Eglogues de Virgile; deux tragédies en vers: Sabinus et la Vengeance de Coriolan, dont la première fut représentée, à Paris, sur le Théâtre-Français, et enfin un recueil de Fables, qui eut jusqu'à quatre éditions.

Je n'ai pu me procurer à Rouen ni les tragédies ni la traduction des Héroïdes. Je dois la communication des Fables et de la traduction des Eglogues à la complaisance de notre nouveau confrère, M. Lormier, qui n'est pas bibliophile pour lui seul, mais qui est toujours prêt à mettre à la disposition de ses amis les trésors de sa riche bibliothèque, avec autant de largesse que d'aménité. Les fables seules peuvent d'ailleurs, au dire de tous les critiques, sauver de l'oubli la mémoire de notre poëte, et cette opinion paraît bien fondée, si l'on considère que, de l'aveu de ses biographes, sa tragédie de Sabinus n'eut que sept représentations, et si l'on peut juger, ce qui semble assez naturel, de sa traduction des Héroïdes par celle des Eglogues.

La versification des Eglogues est faible et traînante. C'est une longue paraphrase, bien plus qu'une traduction. L'auteur lui-même, dans l'avertissement au public, déclare qu'il ne la donne que « comme une « copie assez ressemblante à l'original. Je me suis même hasardé, dit-il, d'ajouter du mien dans quel«ques endroits. Le lecteur ; gera si j'ai eu tort de

le faire. Enfin, remarquant que tous ces traits d'amour de bergers qui règnent dans plusieurs Eglogues pourraient déplaire, j'ai substitué dans « tous les endroits des noms de bergères à celui des « bergers, pour rectifier la passion; tellement que la « seconde Eglogue qui, dans Virgile, a pour titre « Alexis, porte le nom de Clymène dans ma traduc<< tion. >>

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On comprend qu'avec ce système la traduction de Richer serait tout au plus une belle infidèle. Publiée en 1717, il la dédia au Roi, espérant, dit-il dans « l'épître dédicatoire, qu'elle obtiendra de sa Majesté « un regard favorable, puisque le soleil, qui est le « roi des astres, ne répand pas moins ses rayons sur <«<les cabanes des pasteurs que sur les palais les plus magnifiques. >>

Les temps et les styles sont aujourd'hui bien changés; les épîtres dédicatoires sont encore plus surannées que les églogues; mais au temps de Richer elles étaient de mode, et notre auteur y recourt volontiers, soit en prose, soit en vers.

Richer avait été reçu avocat au Parlement de Normandie. Il prend toujours ce titre dans les éditions. de ses œuvres publiées de son vivant. J'ai cherché cependant vainement son nom sur les tableaux imprimés du Collége des Avocats au Parlement de Rouen que j'ai pu retrouver. Peut-être a-t-il été seulement inscrit sur la feuille de deux ans réservée aux avocats stagiaires et qui n'était pas imprimée. Dans tous les cas, il n'a dû faire qu'un assez court séjour au barreau. Son goût pour la littérature l'en éloignait. Il

dut en être détourné aussi par un procès personnel qu'il eut à soutenir et auquel il fait allusion dans une épître publiée en 1717, avec quelques poésies fugitives, dans son édition des Eglogues.

Le Destin (y dit-il), contraire à mes désirs,
Me cause, à tous moments, de nouveaux déplaisirs.
Mille procès affreux, où sa haine m'engage,
Me font passer mes jours dans un dur esclavage.
Il faut plaider sans cesse ou bien solliciter;
Je passe quelquefois huit jours sans débotter
Pour sauver du naufrage un revenu bien mince
Qui fixe mon exil au fond d'une province,
Dans de larges marais, près d'une triste mer,
Dont les noires vapeurs ont empoisonné l'air.
(Eglogues, p. 148).

Une note de l'auteur nous apprend que ces larges marais et cette triste mer désignent son pays natal, Longueil, près de Dieppe. C'est assez dire que le traducteur des Eglogues n'aimait guère la campagne. Même dans ses fables, ses tableaux des champs n'ont rien de bien naturel. Il lui faut une campagne de convention, peuplée de faunes, de nymphes et de sylvains.

Avec cette tendance d'esprit et le dégoût de la procédure, il n'est guères étonnant qu'il ait abandonné de bonne heure le Palais et la province pour aller se fixer à Paris et s'y occuper uniquement de littérature. On reconnaît, du reste, dans plusieurs parties de ses œuvres, le transfuge du Palais. Tantôt ce sont les termes de pratique qui se retrouvent sous sa plume. Ainsi, dans la fable 3o du livre XI, le Renard et la Volaille, il dit :

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