Page images
PDF
EPUB

et poëte,

et cet attrait ne surprendra personne vers Richer, qui eut son heure de célébrité et qui est tombé depuis, comme tant d'autres, dans l'oubli. Né à Longueil, au pays de Caux, en 1685, Richer fut à la fois un érudit et un poëte. On lui doit une vie de Virgile, une vie de Mécène et d'Esope, des traductions en vers français des Héroïdes d'Ovide et des Eglogues de Virgile, deux tragédies en vers: Sabinus et la Vengeance de Coriolan, et enfin un recueil de fables qui a eu les honneurs de quatre éditions.

Richer avait été reçu avocat au Parlement de Normandie, mais il ne paraît pas qu'il y ait exercé. Son talent comme fabuliste, sa modestie et la douceur de son caractère lui méritèrent de nombreuses amitiés. Ses fables ont en effet une certaine valeur littéraire. Son recueil, divisé en douze livres, ne comprend pas moins de deux cent cinquante fables. On a dit de lui que, malgré la faiblesse de sa poésie et la sécheresse de son imagination, il a plus approché de La Fontaine que tous ses prédécesseurs. M. Decorde ratifie ce jugement, et reconnaît à Richer de l'esprit et du trait. Il a trouvé dans quelquesunes de ses fables de nobles pensées exprimées en beaux vers et des saillies mordantes contre les puissants et les grands, qui prouvent que Richer, sorti du tiers-état, avait conservé l'indépendance ordinaire au barreau et était bien de son siècle. Ses œuvres, qui ne se trouvent même plus dans la bibliothèque de notre ville, ne méritaient pas un pareil dédain. Elles devront à notre spirituel confrère un regain de notoriété, au moins au sein de l'Académie. M. Félix nous a rappelé à ce propos que Richer

avait été lauréat des Palinods, cette antique société religieuse et littéraire dont on aime toujours, dans notre Compagnie, à conserver l'aimable souvenir.

M. Hédou nous a restitué, dans tout son mérite, un de nos artistes rouennais trop oubliés par la critique d'art, Jean-Jacques-André Leveau, né à Rouen le 9 janvier 1729, et mort en 1786. C'était le fils d'un pauvre cordonnier établi sur la paroisse SaintMaclou. Son enfance fut éprouvée par une grave ma. ladie qui le contraignit à entrer à l'hôpital, où se manifesta sa vocation d'artiste. Ses essais, soumis à Descamps, le firent admettre au cours de dessin; puis, protégé par de généreux bienfaiteurs, Leveau put achever ses études à Paris.

Lebas et Noël Le Mire le reçurent successivement dans leurs ateliers et perfectionnèrent son talent. Leveau se fit connaître bientôt par des œuvres de mérite. Les vignettes dont il orna les principales publications de la librairie si somptueuse et si pleine de grâces du XVIII siècle supportent la comparaison avec les épreuves les plus vantées des Longueil et des De Launay. En 1775, il était arrivé à la notoriété et l'Académie de Rouen lui ouvrait ses rangs avec le titre d'associé adjoint. Notre compatriote n'a été jusqu'ici ni assez connu ni assez apprécié. Son nom est absent de l'ouvrage du baron Portalis sur les graveurs du xvir siècle. M. Hédou ne s'est pas borné à se faire le biographe de Leveau, il prépare une étude sur son œuvre, et espère, par cette publication, lui restituer aux yeux des connaisseurs la place et l'estime dont il est digne.

Si l'Académie accorde à l'histoire locale une atten.

tion filiale, il s'en faut qu'elle néglige la grande histoire, et elle accueille toujours avec sympathie les travaux qu'elle inspire. C'est ainsi qu'elle a écouté religieusement M. Paul Allard dans sa description d'un domaine funéraire païen et d'un domaine funéraire chrétien.

Notre savant confrère nous a conduits dans la Rome païenne, d'il y a dix-sept siècles, et nous a fait assister au spectacle mouvementé de la ête des morts des Parentalia du 13 au 22 février. Les morts étaient encore en honneur dans cette Rome dégénérée. Laisser après soi un tombeau magnifique était une des vanités du riche et du parvenu. Le petit bourgeois, l'homme du peuple même consacraient à ce luxe posthume une partie de leurs économies, et voulaient y être entourés, à certaines époques fixées, de fètes et de souvenirs. M. Allard décrit à l'aide de documents authentiques, et dans les moindres détails, la composition variée d'un domaine funéraire. Les vastes parcs qu'on rencontrait, de place en place, le long des voies romaines, encadrant dans la verdure et les fleurs un édifice qui ressemblait parfois plutôt à un château qu'à un sépulcre, étaient protégés par les lois et devenaient sacrés et inviolables. Certains colléges, des associations d'artisans, les citoyens d'un même quartier, pouvaient se rendre et se rendaient en effet propriétaires d'un domaine funéraire, où ils se réunissaient à certains jours pour honorer leurs morts et se livrer à des réunions joyeuses et à des repas de corps. Des legs fréquents et considérables venaient augmenter la propriété de certains colléges et pourvoyaient aux

sacrifices et aux offrandes aux jours des Parentalia et des Rosalea.

Les domaines funéraires pouvaient être possédés par les chrétiens. Aucune loi ne les empéchait d'avoir des propriétés dans les campagnes et dans la banlieue des villes. Les terrains qu'ils destinaient à la sépulture des leurs, participaient à la situation légale faite aux païens. A la vérité, le caractère religieux ne protégeait pour les chrétiens que l'espace occupé par le tombeau lui-même. Pour les édifices accessoires, ils ne devenaient sacrés que par l'intervention des rites idolâtriques pratiqués par les Pontifes, dont ne pouvaient user les chrétiens. Même en temps de persécution, ils jouissaient presque toujours en fait d'une complète liberté de sépulture. C'est ainsi qu'il leur était permis de relever les restes de leurs martyrs et de les transporter dans le tombeau qu'une main pieuse ou prévoyante leur avait préparé. On comprend comment, à mesure que la lumière de l'Evangile se répandit dans l'Empire, Rome et toutes les grandes villes purent se trouver entourées de tombeaux chrétiens, et comment aussi naquirent peu à peu, autour des tombeaux, par un développement insensible et spontané, ces vastes nécropoles auxquelles l'usage donne indistinctement le nom de catacombes. M. Allard fait à ce propos l'historique de l'hypogée de Lucina où fut enterré au ir siècle le pape martyr saint Corneille. Presque toute les catacombes ont eu pour origine des domaines privés ouverts par la charité des riches chrétiens à la sépulture de leurs frères. Quant aux terrains entourant les hypogées, ils étaient plantés et

orn ́s avec le même goût et la même grâce, la même piété filiale qui distinguaient les monuments funéraires des païens. Ils se plaisaient, dit Prudence, à renouveler les violettes et les feuillages verts sur la sépulture de leurs morts. Ils purent creuser audessous des galeries funéraires sans altérer le gracieux aspect de la superficie. Les jardins de Theon, de Juste, d'Hilarius, de Philippe et de Métrodore ne se transformèrent pas en des champs stériles après que les chrétiens eurent ouvert au-dessous des cryptes décorées elles-mêmes souvent avec tant d'art et un art si souriant.

M. Allard s'occupe dans deux lectures suivantes, des marbres païens qui ornent en si grand nombre les tombeaux chrétiens des catacombes. Il ne croit pas qu'ils aient été soustraits aux tombeaux païens, mais choisis seulement parmi les pierres délaissées et hors d'usage, qui s'offraient au premier occupant. La législation, sous les empereurs devenus chrétiens, prit garde de froisser trop brusquement la conscience des païens, et maintint, dans les villes, le respect des temples et des monuments du vieux culte. S'il en fut autrement dans les campagnes, c'est que la superstition et avec elle les débauches du paganisme, s'était réfugiée là. Dans ces villages isolés, dans ces bois épais, dans ces lointaines retraites où ne pouvait atteindre le regard des magistrats, c'étaient la violence, l'orgie, la révolte en permanence. Ainsi s'explique l'ordre donné en 399 d'éteindre ces derniers foyers de superstition.

Prudence au Ive siècle a parfaitement indiqué l'esprit de mesure et de sagesse qui présida à la

« PreviousContinue »