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et l'autre dans l'Église. Il fit Boileau historiographe de France; il nomma Racine son gentilhomme ordinaire et il l'admit dans sa familiarité. Il se déclara hautement le protecteur de Molière, et il répondit toujours par quelque nouveau bienfait aux attaques dont le grand comique fut l'objet de la part de ses ennemis. Il confia l'éducation de son fils et de ses petits-fils aux deux prélats les plus vertueux de son royaume; et il donna à l'un l'évêché de Meaux, à l'autre l'archevêché de Cambrai.

La générosité de Louis XIV ne fut point circonscrite aux limites du royaume. Il chargea ses ambassadeurs de lui signaler les hommes de lettres, les savants et les artistes les plus distingués. Les uns furent attirés en France; les autres obtinrent des pensions et des gratifications, accompagnées de lettres flatteuses de la main de Colbert.

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Quoique le Roi ne soit pas votre souverain, écrivait ce grand ministre, il veut être votre bienfaiteur; il m'a commandé de vous envoyer la lettre de change ci-jointe, comme un gage de son estime. »>

Un prince aussi magnifique devait être cher aux littérateurs et aux savants. Aussi était-ce surtout à lui qu'ils cherchaient à plaire. Sans doute, à ce royal patronage, les écrivains perdirent de leur indépendance, de leur franchise et de leur originalité; mais leur style y gagna de la dignité, de la solidité, de la mesure, de l'élégance et de l'urbanité.

A l'influence du, roi et de sa cour sur la littérature du grand siècle, il convient d'ajouter celle de l'antiquité.. classique. La pratique assidue et intelligente de ces éternels modèles du beau et du vrai préserva nos écrivains de l'enflure espagnole, de l'affectation italienne et des vagues rêveries des littératures du Nord. Unissant dans de sages mesures la raison et l'imagination, ils se distinguèrent par la précision et la justesse de l'expression, par une grande simplicité dans la forme, et par un goût épuré qu'on ne rencontre pas au même degré dans les autres littératures modernes.

La religion aussi marqua de son empreinte cette époque illustre. Elle donna aux productions des poëtes et des prosateurs, des historiens et des auteurs dramatiques, un singulier caractère de moralité et d'élévation. Corneille, Racine, Boileau, étaient des hommes profondément religieux. Molière, malgré sa profession de comédien, conserva toujours un grand respect pour la religion; les traits lancés dans le « Tartuffe » contre l'hypocrisie n'atteignent jamais la dévotion sincère. La Bruyère, en scrutant les caractères de son temps, reste un moraliste chrétien. Bossuet, Fénelon, Bourdaloue et Massillon ne sont pas moins admirables par leur piété que par leur éloquence. Enfin cette brillante pléiade de Port-Royal, Pascal, Arnauld, Nicole, Lancelot, Le Maistre de Sacy et leurs disciples, à qui nous devons tant d'excellents livres

T. I

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sur l'enseignement et la morale, c'est du sentiment religieux qu'ils tirent l'éclat, la force et l'élévation qui distinguent leurs écrits.

Gertes, le XVIIe siècle ne fut pas exempt d'écarts, de fautes ni d'erreurs. Les passions humaines y furent la source de bien des égarements. Mais on revenait tôt ou tard des séductions du monde; on se jetait dans les bras de la religion, et l'on finissait par une mort chrétienne. Ce siècle est, en effet, l'époque des conversions éclatantes. On cite celle de Louis XIV, du grand Condé, de Turenne, de Racine, de La Fontaine, de l'abbé de Rancé, l'austère réformateur de la Trappe, de Pascal et des autres PortRoyalistes, de la duchesse de Longueville, de madame de La Vallière, de madame de La Sablière, cette amie si dévouée de La Fontaine, et de beaucoup d'autres personnages moins illustres. C'est à cette alliance de la religion avec les lettres et les mœurs, que le xvIIe siècle doit le mérite inappréciable d'avoir été une digue entre la corruption du siècle qui le précéda et le scepticisme de celui qui le suivit.

IV

CORNEILLE.

(1606-1684)

Il n'est peut-être aucun écrivain français qui mérite mieux que Corneille le titre de génie créateur. Si l'on se représente l'idéal du poëme dramatique, il est permis de croire qu'il existe des ouvrages plus parfaits que les siens. Mais si l'on compare ses chefs-d'œuvre aux pièces informes de ses devanciers et de ses contemporains, on peut le considérer comme le plus grand nom de notre littérature. Avant lui, la scène française était dans le chaos; tout était à créer caractères, passions, style, conformité du drame avec la vie. Corneille créa tout. Nous lui devons la tragédie, la comédie de caractère, la comédie héroïque, la tragi-comédie qu'on appelle drame, et les pièces à machines et à décorations, qu'on accompagnait alors d'un peu de musique, et qui furent l'origine de l'opéra français. Outre les différentes branches

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de l'art dramatique, Corneille créa la langue tragique ; il lui donna une noblesse, une élévation, une vigueur, une fermeté, un mouvement, qui ne laissent rien à désirer, et il écrivit des morceaux au-dessus desquels il n'y a rien dans la littérature française. C'est surtout sur la scène tragique que Corneille sut monter à une hauteur dont le plus heureux de ses rivaux ne l'a pas fait descendre. A une époque où l'on n'y mettait que des aventures romanesques et des turlupinades, il donna à la tragédie un but moral, et la fit servir à élever l'âme de l'homme, en lui montrant sans cesse des caractères héroïques, des sentiments sublimes, des objets dignes d'admiration et propres à inspirer l'amour du devoir, l'enthousiasme de la vertu, le goût des grandes et belles choses. Nul doute que les chefs-d'œuvre de Corneille n'aient contribué à élever les idées de la nation française « La France doit peut-être à Corneille une partie de ses belles actions, disait Napoléon; aussi, s'il vivait, je le ferais prince. »

Pierre Corneille, le sublime peintre de l'héroïsme, naquit à Rouen, en 1606. Son père était maître des eaux et forêts et avocat du roi à la chambre de la table de marbre; c'est le nom qu'on donnait au tribunal chargé de juger tout ce qui avait rapport à l'administration des eaux et forêts. Les services qu'il rendit dans cette donble fonction lui valurent des lettres de noblesse ; et il ne

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