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que Ronsard était un poële plein d'imagination et de verve et qu'il avait une grande force de talent. Mais il manquait de goût et de jugement. Il ne comprit pas le génie de notre langue; il ne vit pas que c'est la clarté, la précision et la simplicité qui en sont les qualités distinctives. Il eut le tort de vouloir nous donner les formes savantes et compliquées de la phrase grecque et latine, les périodes longues, lourdes et obscures, un style diffus, emphatique et quelquefois barbare. Ainsi, il francise arbitrairement des mots grecs et latius, comme des « cornes rameuses », des « sources ondeuses », des << baisers turturins, etc.; et la forme latine des degrés dans l'adjectif : « docte, doctieur, doctime »; il compose une foule de mots, à la manière grecque, comme la toux, «ronge-poumons, le moulin, « brise-grain »>, etc. Souvent, il donne du grec tout pur. Il se plaint, par exemple, de ne pouvoir employer ces trois mots :

Ocymore, dyspotme, oligochronien.

et tout en s'en plaignant, il en fait un vers. Ronsard travailla donc contre la nature même de notre langue; il éprouva le sort de tous les novateurs qui, dans leur ardeur de réformer, ne consultent pas le génie des peuples à qui sont destinées leurs réformes. La langue érudite, étrangère, qu'il avait façonnée avec tant

de peine, disparut peu à peu. Mais ii rendit à notre poésie d'éminents services: elle lui doit le perfectionnement de la césure, l'alternative des rimes masculines et féminines, l'harmonie de la période poétique, cette couleur et ce mouvement qui en font de la poésie.

Régnier, le créateur de la satire française, sut se préserver des défauts de Ronsard et imiter les anciens, sans dénaturer notre langue. C'est le véritable successeur de Villon, de Marot, de Rabelais et de Montaigne; il a la même causticité, la même verve; et malheureusement la même licence. Sa vie est peu connue. Il naquit à Chartres, en 1573; il fut tonsuré de bonne heure, et nommé chanoine dans l'abbaye de Vaux-de-Cernay, quoiqu'il n'eût aucune vocation pour l'état ecclésiastique. Sa conduite fut aussi déréglée que celle du curé de Meudon. Il avoue lui-même «< qu'il vivait sans nul pensement, et qu'il se laissait doucement aller à la bonne loi naturelle. » Ce prêtre épicurien mourut à quarante ans, usé par les plaisirs.

Nourri de la lecture des poëtes latins, Régnier se proposa de les imiter, et se montra souvent l'égal de ses modèles. Boileau a dit de lui que c'est le poëte français qui, avant Molière, a le mieux peint les mœurs et le caractère des hommes. Régnier est, en effet, un grand peintre de mœurs. Ses satires sont une galerie de portraits, où l'on trouve tous les caractères de l'époque tra

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cés avec une verve, une vigueur et une vérité qui n'ont été surpassées que par Molière. Il y a le gascon, ce fanfa ron plein de jactance et de vanité,

Au feutre empanaché, relevant sa moustache.

Il y a le poëte, au rabat sale, à la mine étique, dont les guêtres lui vont aux genoux, et le pourpoint au coude :

Sans demander son nom, on le peut reconnaître ;

Si ce n'est un poëte, au moins il le veut être.

Пl accoste les passants :

Monsieur, je fais des livres;

On les vend au palais; et les doctes du temps,
A les lire amusés, n'ont d'autre passe-temps.

Voici l'avocat qui,

Une cornette au col, debout dans un parquet,

A tort et à, travers va vendre son caquet.

Et voici la femme hypocrite, l'aïeule de Tartuffe :

Son œil tant pénitent ne pleure qu'eau bénite.

Régnier a tracé une foule d'autres caractères avec la

même verve, la même moquerie tour à tour légère, vigoureuse et familière, et toujours spirituelle. Il peint admirablement; mais trop souvent il peint avec de la lie et de la boue.

Régnier n'avait pas eu la prétention de renverser Ronsard, dont il se fit le défenseur. C'est à son insu, et par instinct, par goût, qu'il s'éloigna de la pompe et de l'emphase de cette école. Il n'en fut pas ainsi de Malherbe. Après avoir « ronsardisé » quelque temps, Malherbe se proposa de réformer les défauts de la langue, et de lui rendre son caractère, que risquaient de lui faire perdre l'imitation inintelligente du grec, du latin, de l'italien, et l'emploi du gascon, mis en vogue par Henri IV et sa cour béarnaise.

François de Malherbe, fils d'un pauvre gentilhomme, naquit à Caen, vers 1555. Son père ayant embrassé la Réforme, il en eut « tant de déplaisir », qu'il quitta la maison paternelle. Après avoir été quelque temps secrétaire du duc d'Angoulême, fils naturel de Henri II, il entra dans l'armée et servit avec distinction. Il cultiva la poésie au milieu des camps; mais ses premiers essais furent faibles. Il avait quarante-sept ans, lorsqu'il écrivit la première pièce qui le fit connaître. C'est une ode, où il célébrait l'arrivée de Marie de Médicis, qui, en 1600, venait épouser le roi Henri IV. Le début respire la joie et le bonheur:

Peuples, qu'on mette sur la tête
Tout ce que la terre a de fleurs;
Peuples, que cette belle fête

A jamais tarisse nos pleurs.

Cette pièce commença la réputation de Malherbe, Le Cardinal Du Perron parla de lui au roi Henri IV, et dit que *ce gentilhomme de Normandie avait porté la poésie à un si haut point, que personne n'en avait jamais approché. » Malherbe étant allé à Paris pour ses affaires, le roi se le fit présenter. Il voulait lui faire du bien; mais le sévère Sully, qui sans doute se souciait peu de la poésie, refusa d'ouvrir le trésor en faveur du poëte. Henri IV, pour ne pas faire violence à l'économie de son ministre, pria le duc de Bellegarde, son grand écuyer, de donner à Malherbe le logement, la table et une pension de mille livres. C'est alors que notre poëte put se dévouer tout entier à sa réforme littéraire.

Malherbe possédait la plupart des qualités propres au succès de sa mission: il avait un bon sens profond, un goût sûr, une patience laborieuse, et un esprit dont les caractères étaient l'ordre, la logique, la discipline, la clarté, la dignité. Il se livra à une étude minutieuse des premiers éléments de la langue, du génie et des formes qui lui sont propres ; il examina, il pesa tout les mots, tous les tours, et il en régla l'emploi avec l'exactitude sévère

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